Intervention de Sophie Duprez

Réunion du mercredi 22 septembre 2021 à 10h00
Commission des affaires sociales

Sophie Duprez, présidente du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI) :

Les premiers propos de M. Chevée sont tout à fait juste et je les compléterai par des exemples concrets.

Dans les départements et territoires d'outre‑mer se trouve une population qui n'a parfois pas fait beaucoup d'études. Beaucoup n'ont pas le baccalauréat, c'est un fait. Ce sont des gens compétents, travailleurs, qui passent beaucoup de temps dans leur entreprise et délaissent le plus souvent les formalités administratives. Elles ne les intéressent pas ; ils ne se sentent pas concernés par cette « tambouille » qu'ils confient, au mieux, à leur expert-comptable. Toutefois, les experts-comptables se cantonnent aux formalités et n'indiquent pas à leur client le montant des cotisations qu'il aura à payer. Ils ont d'ailleurs eux-mêmes tellement de difficultés à les appréhender qu'ils préfèrent ne pas lancer dans une expertise de ces montants qui peuvent varier à la demande du chef d'entreprise, celui-ci pouvant modifier leur assiette.

La difficulté à laquelle toutes les branches du régime général sont confrontées avec la suppression du RSI est que, lorsqu'un travailleur indépendant se présente à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) ou à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF), la secrétaire qui le reçoit a parfois une vraie formation et peut demander au chef d'entreprise son statut mais, parfois, elle n'a pas cette formation et c'est alors un dialogue de sourds. Elle lui demande parfois son chiffre d'affaires, parfois son bénéfice et, rarement, sa rémunération de gérant. Un gérant de société peut vous répondre lorsque vous lui demandez son bénéfice mais il ne s'agit pas d'une assiette sociale.

Ainsi, prenez le cas de trois restaurants ayant le même chiffre d'affaires et la même activité mais des statuts différents. Le bénéfice du premier, en entreprise individuelle, ne sera connu que lorsque son expert-comptable l'aura déterminé après un calcul compliqué et son assiette sociale sera constituée de la totalité des bénéfices calculés, ce qui est complètement décalé par rapport aux capacités de trésorerie de l'entreprise. Si le gérant du deuxième restaurant a choisi le statut de société à responsabilité limitée (SARL), il se votera en assemblée générale sa propre rémunération qui servira d'assiette de ses cotisations. Il aura alors la chance de pouvoir choisir cette assiette en fonction des capacités de trésorerie de son entreprise, tant pour le paiement de sa propre rémunération que pour le paiement de ses charges sociales. Enfin, le troisième qui aura choisi la forme microsociale aura une assiette calculée en fonction de son chiffre d'affaires par un abattement fixé par le législateur – trois sont possibles – et n'est pas au courant du montant de sa rémunération. Il connaît son chiffre d'affaires et la « tambouille » de la détermination de l'assiette se fait dans les branches. Pour un artisan par exemple, 50 % du chiffre d'affaires serviront d'assiette pour calculer ses droits à retraite et ses droits maladie. Bien entendu, le gérant majoritaire verra, en fonction de son capital social, une partie de ses bénéfices retraités en rémunération. Je ne parle pas du gérant de société par actions simplifiée puisque ce n'est pas un indépendant, même s'il pourrait y être assimilé.

Le Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants propose donc de revoir les assiettes des indépendants de façon à ce qu'elles soient identiques et se calquent sur celle des gérants majoritaires de SARL par vote en assemblée. L'idée serait qu'il puisse exister dans les entreprises individuelles une assiette sociale et une assiette fiscale de l'entreprise. Passer en option les entreprises individuelles à l'impôt sur les sociétés permettrait à l'indépendant d'avoir une assiette plus proche de ses capacités de trésorerie.

Se pose ensuite la difficulté que peuvent rencontrer les chefs d'entreprise dans la déclaration de leurs revenus puisqu'elle se fait habituellement une fois par an, sauf en microentreprise. La grande révolution que M. Le Bont a mise en œuvre avec M. Amghar au sein des services de l'URSSAF est la possibilité de télédéclarer mensuellement ou trimestriellement les revenus d'un indépendant. C'est formidable et c'est ce que la CPME a toujours demandé mais le problème est que la personne en entreprise individuelle ne peut pas connaître son bénéfice mensuel ou trimestriel. Nous voyons que les restaurateurs tentent de le faire calculer par leurs comptables mais les experts-comptables refusent d'effectuer ce travail trop compliqué, trop long et trop coûteux. La mesure qui vous sera donc probablement proposée dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) est de permettre l'auto-modulation des cotisations mais ce ne sera permis que pour les gérants de SARL, soit 30 % des indépendants.

Une autre difficulté est liée à la générosité de Pôle emploi qui continuera à verser les indemnités chômage des indépendants démarrant à leur compte. En fonction du statut choisi par l'indépendant, il percevra 100 % ou 0 % de ces indemnités chômage car Pôle emploi déduit des montants qu'il verse la rémunération de l'indépendant. Si celui-ci est micro-entrepreneur, la totalité de sa rémunération déclarée mensuellement sera donc déduite par Pôle emploi et la tentation serait donc de ne pas déclarer la totalité du bénéfice puisqu'elle est perdue après la déclaration. En revanche, si l'indépendant est en société, il peut se voter une faible rémunération, laisser le bénéfice dans les réserves de l'entreprise et percevoir la totalité des indemnités Pôle emploi. Le dispositif conduit donc à ce que des chefs d'entreprise ayant la même activité soient dans des situations totalement différentes.

Je ne parle pas des personnes des services administratifs qui se trouvent face à un indépendant et essaient de connaître sa rémunération pour lui donner un revenu de solidarité active (RSA) ou sa prime d'activité... Il faut que la personne soit à mon niveau de qualification pour essayer d'expliquer à l'indépendant quelle prestation il touchera puisqu'il faut d'abord savoir ce qu'il gagne.

Pour arrêter d'appuyer sur la tête d'indépendants qui n'ont rien compris, qui ne savaient pas ce qu'ils auront comme factures, qui n'ont pas pu les anticiper, il faut vraiment que nous revoyions les mécanismes de fond. Je félicite et remercie l'URSSAF pour toutes les mesures prises pendant la période covid. Elle a vraiment aidé les indépendants à ne pas être écrasés par la dette mais, par contre, la dette est là. Il faudra la recouvrer avec des temps d'apurement. Tout le monde a-t-il conscience du montant de la facture qui est présentée ?

Reprenons l'exemple des restaurateurs. Celui en entreprise individuelle qui a touché 100 000 euros du fonds de solidarité aura gagné 100 000 euros de bénéfices non imposables socialement et fiscalement donc aura mis 100 000 euros dans sa poche. Grâce au plan des indépendants, il bénéficiera de plus de quatre trimestres de retraite, si vous allez dans ce sens en accordant des trimestres aux personnes qui n'ont pas eu de rémunération puisque cette somme sort de l'assiette. En revanche, dans le cas du restaurateur en société, le restaurant aura perçu 100 000 euros, sans impôt sur les sociétés sur ces 100 000 euros mais, si le gestionnaire prend 100 000 euros en rémunération ou les a déjà pris en pensant que cette somme était exonérée, l'URSSAF lui demandera 47 000 euros cette année. Les deux restaurants sont donc traités très différemment et c'est injuste, tout simplement.

Je vous invite à lire le rapport de M. Libault, qui signale que les 47 % de cotisations payés par un travailleur indépendant représentent une somme énorme. Pour la même rémunération, l'employeur paie au total 15 % pour un salarié et le salarié bénéficie de plus du chômage et des accidents du travail, donc d'une protection complète dont ne bénéficie pas l'indépendant.

Si un indépendant gagne 6 000 euros, il paiera l'année suivante 3 000 euros. Trouvez-vous surprenant qu'il n'y arrive pas ? De plus, ces cotisations minimales ne servent pas à le couvrir dans sa protection sociale puisque, s'il a par ailleurs une activité salariée et est indépendant en activité secondaire, il lui sera tout de même demandé de payer une cotisation minimale de façon à être couvert alors que cette cotisation minimale ne porte pas d'effet social.

Ces sujets sont donc compliqués et le CPSTI est à votre disposition. Nous produisons beaucoup d'écrits, nous faisons beaucoup de propositions. Cette instance a pour objectif de juger de la qualité du service rendu, de faire des propositions et gérer le fonds de retraite. Elle est composée des quatre organisations représentatives des travailleurs indépendants et je pense qu'elle répond à un besoin.

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