Au moment du bilan de l'intégration du RSI au régime général, il faut tout de même se rappeler que nous revenons d'extrêmement loin. Je pense que celles et ceux qui ont connu, à titre personnel ou au titre de leur entourage ou dans leur institution, les difficultés considérables rencontrées principalement entre 2008 et 2013, avec des calculs de cotisations faux et des droits à retraite non alimentés, peuvent mesurer combien nous étions revenus à une situation tout à fait satisfaisante en 2019, juste avant que la crise sanitaire éclate. Satisfaisante ne signifie pas qu'il n'existait pas des points d'amélioration, bien entendu, mais tous les indicateurs étaient orientés favorablement.
Les restes à recouvrer sont bien entendu tributaires de la situation économique mais, dans la situation de crise du RSI durant les années 2008 et suivantes, ce montant de non‑recouvrement avait augmenté du fait d'une véritable crise de confiance de la part des indépendants face aux échéanciers qui leur étaient envoyés. Le fait que nous soyons revenus à des niveaux tout à fait satisfaisants avant la crise montre que la confiance était revenue. Nous étions également revenus à de niveaux de réclamations historiquement bas, à des délais de traitement historiquement bas également. Cela ne signifie pas qu'il n'existait pas de difficultés, notamment dans les départements d'outre-mer, où nous rencontrions des difficultés multifactorielles, avant la crise et encore aujourd'hui. Elles sont liées aux fragilités économiques et sociales que connaissent ces territoires, qui se traduisent particulièrement chez les travailleurs indépendants, ainsi qu'au cumul des difficultés de fonctionnement – que je reconnais – des caisses générales de sécurité sociale (CGSS).
Il faut toutefois se garder d'un propos globalisant s'agissant des départements d'outre-mer car il existe autant de situations que de départements d'outre-mer. Les situations économiques, les situations de recouvrement et de fonctionnement des organismes n'ont rien à voir d'un département à l'autre. Dans certains de ces territoires, les organismes de sécurité sociale rencontrent des difficultés de fonctionnement qui peuvent se traduire dans la qualité du service rendu, dans les réponses apportées aux indépendants et donc dans le niveau de recouvrement mais, au-delà des seuls travailleurs indépendants, nous constatons des difficultés de consentement à payer le prélèvement obligatoire.
Cela ne concerne pas uniquement les travailleurs indépendants mais aussi les employeurs, voire les employeurs publics qui ne font pour certains pas preuve de bonne volonté pour payer les cotisations dans ces territoires. Je dois le reconnaître et ce n'est pas réjouissant. Je mets de côté le cas de Mayotte, qui pose des difficultés particulières en termes de cotisations sociales.
En dehors de cette situation propre aux départements d'outre-mer et par ailleurs des points structurels sur lesquels je reviendrai ultérieurement, la situation était vraiment revenue à des niveaux de service satisfaisants. Cela se traduisait également dans les enquêtes de satisfaction réalisées auprès des indépendants.
Je pense qu'il faut maintenant parler des mesures tout à fait exceptionnelles mises en œuvre pendant la crise. Les premières mesures, massives, ont visé à éviter d'attaquer la trésorerie des travailleurs indépendants dans le contexte de crise sanitaire, avec la suspension de tous les paiements de cotisations entre mars et août 2020. En septembre et octobre 2020, les prélèvements de cotisations ont repris mais sur la base d'échéanciers divisés par deux pour éviter de créer un ressaut trop fort sur les paiements des indépendants. En novembre et décembre, nous avons de nouveau tout suspendu. Nous avons repris les prélèvements en janvier 2021, toujours sur une base divisée par deux et à l'exclusion des indépendants relevant des secteurs touchés par la crise, c'est-à-dire les secteurs dits S1 et S1 bis. Nous avons donc suspendu les prélèvements jusqu'en août dernier pour plus de 30 % des travailleurs indépendants. Depuis ce mois, nous sommes entrés dans une phase de normalisation des prélèvements : nous avons repris les prélèvements sur l'ensemble des indépendants, sans constater d'impayés anormaux par rapport à ce que nous avions avant la crise, ce qui est plutôt rassurant sur la capacité des indépendants à honorer leurs échéances courantes. Nous n'en sommes pas encore à une normalisation du recouvrement puisque les impayés actuels continuent à ne pas donner lieu à majoration de retard ou pénalités. C'est tout à fait normal, assumé et nous effectuons un retour progressif à la normale.
Je souhaite insister sur deux points de l'accompagnement de la crise. D'une part, au moment de l'urgence, comme cela a été mentionné par Mme Duprez – et je tiens à rendre hommage à l'action du CPSTI –, des aides financières exceptionnelles à destination des chefs d'entreprise ont été mises en place. Il faut bien avoir en tête que les aides telles que le fonds de solidarité étaient destinées à maintenir la viabilité de l'entreprise mais ne garantissaient pas le maintien d'un revenu pour le chef d'entreprise lui-même. Du fait de l'organisation de la protection sociale des indépendants, notamment de l'absence de couverture sociale contre la perte d'activité, des indépendants se sont trouvés dès le mois de mars sans aucun revenu.
Le CPSTI a décidé de verser des aides financières exceptionnelles aux indépendants en difficulté, en deux vagues correspondant aux deux vagues épidémiques que nous avons connues. Lors de la première vague, des aides ont été versées à près de 48 000 travailleurs indépendants pour un montant de 38 millions d'euros. Lors de la deuxième vague, à l'automne 2020, des aides ont été versées à près de 196 000 travailleurs indépendants – ceux qui œuvraient dans les secteurs les plus touchés par les restrictions – pour un montant de plus de 171 millions d'euros. Il faut le mentionner car cela a permis de faire bénéficier d'une aide financière immédiate des indépendants pour lesquels la couverture sociale était déficiente.
Le point important aujourd'hui est de savoir comment accompagner les indépendants vers la sortie de crise. 11,7 milliards d'euros de dettes vis-à-vis des URSSAF ont été accumulés par les travailleurs indépendants. Nous prévoyons donc un accompagnement dans la durée et nous mettons en place des propositions de plan d'apurement long – jusqu'à trois ans – avec possibilité de négociation entre le travailleur indépendant et l'URSSAF sur l'échelonnement de ce plan, sur sa date de départ.
J'en parle au présent car nous avons commencé cette opération mais elle est encore largement devant nous. Nous avons ce mois-ci envoyé près de 300 000 plans. Nous progressons bien sûr de manière graduelle, c'est-à-dire que nous attendons plutôt la fin de l'année pour les indépendants relevant des secteurs les plus fragilisés de façon qu'ils aient autant que possible pu reconstituer quelques mois d'activité normale avant de recevoir ces plans d'apurement et de voir quand le paiement peut commencer.
S'agissant des éléments plus structurels et prospectifs, certains relèvent de simplifications. Dès avant la crise, malgré les progrès de l'intégration du RSI au régime général, nous connaissions – et nous connaissons encore – des difficultés relevant de complexités administratives. Je peux par exemple mentionner l'accès des travailleurs indépendants à la formation professionnelle, qui est rendu assez difficile du fait des frontières pas toujours simples entre les fonds de formation. Je mentionne aussi le fait que, comme le disait la présidente Duprez, la notion de revenu d'un travailleur indépendant peut paraître simple vue de loin mais devient très compliquée dès que l'on entre dans ce que sont les différents statuts des travailleurs indépendants et dans la prise en compte du revenu pour les prestations sociales, les prestations des caisses d'allocations familiales (CAF) ou la prime d'activité par exemple. Quiconque a fait l'exercice d'aider un travailleur indépendant à remplir une demande de prime d'activité voit que ce n'est pas intuitif de savoir précisément ce qui lui est demandé.
C'est pourquoi l'URSSAF s'est organisée en lignes de services dédiés aux travailleurs indépendants dès l'intégration du RSI au régime général, considérant que prendre en charge un travailleur indépendant consiste à prendre en charge des complexités différentes de celles de nos autres usagers tels que les entreprises employeurs. Nous avons aussi mis en place des accueils communs qui permettent d'aider les travailleurs indépendants à avoir un premier niveau d'information sur l'accès aux prestations maladie, retraite, CAF et Pôle emploi, avec également un lien vers la sphère fiscale. Nous travaillons beaucoup avec la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) car une part importante des indépendants sont des publics précaires qui peuvent être éligibles, sans d'ailleurs forcément y recourir, aux prestations CAF. Nous avons donc mené un travail avec la CNAF pour faciliter cet accès aux droits.
Au-delà de ces éléments, il reste deux difficultés structurelles. L'indépendant doit faire lui-même des démarches qui sont accomplies par l'employeur pour un salarié, c'est‑à‑dire qu'il doit calculer ses revenus puis les déclarer, et je pense impossible de surmonter cette difficulté structurelle. L'autre difficulté est que tout indépendant dont le revenu s'apprécie sur un bilan annuel se heurte à un décalage entre la perception des revenus et le paiement des cotisations. La seule exception concerne les autoentrepreneurs qui déclarent et paient au fil de l'eau mais parce que l'assiette est très simplifiée, très sommaire même. Nous essayons d'y répondre par la modulation des cotisations en temps réel, promue par le plan du ministre Griset. Ce système peut apporter une vraie facilité à ces indépendants pour affronter les variations de revenus en modulant de manière plus intuitive leurs échéances. Même si cela ne résout pas toutes les difficultés, je pense que cela s'inscrit dans cette démarche de prise en compte des difficultés.