« Tout l'enjeu est de faire du handicap, qui est une réalité de la vie, une réalité pleinement reconnue par la société. Répondre à l'exigence fondamentale d'égalité des chances et de dignité doit être l'ambition de la République. » Ces mots fixaient un cap qui transforma profondément la société. Ce sont les mots que le président Jacques Chirac prononçait en février 2005, quelques jours après l'adoption de la loi du 11 février. Cette loi est une grande loi de la République. Elle fut courageuse et dépassa les questions strictement institutionnelles, budgétaires et techniques pour franchir une grande étape.
La proposition de loi que j'ai l'honneur de vous présenter ce matin au nom de mon groupe politique n'a pas l'ampleur de la loi de 2005 mais elle en a l'ambition de justice sociale et de transformation profonde de notre société.
Le chemin vers l'égalité des droits pour les personnes en situation de handicap est long et laborieux. Ce serait mentir de dire qu'aujourd'hui, aucune injustice ne demeure. Pour plusieurs formes de handicap, les injustices sont bien réelles, qu'il s'agisse de mener une vie conjugale, d'accéder à l'école ou aux loisirs. Nous les connaissons tous et, depuis des années parfois, les solutions sont connues et partagées par tous. Malgré cela, elles restent souvent des promesses, sans acte. Aussi longtemps qu'une personne en situation de handicap subira une injustice liée à son handicap, aussi longtemps notre devoir de député, de l'opposition comme de la majorité, sera de nous mobiliser. Sans relâche, sans faiblesse, sans nous chercher des excuses souvent confortables pour repousser l'action à plus tard. La vie de millions de nos concitoyens en situation de handicap n'est pas confortable. Elle ne peut pas attendre. La seule ambition de notre proposition de loi est d'améliorer la vie de ces femmes et de ces hommes qui attendent et espèrent beaucoup de notre travail.
Avant de détailler les mesures, je veux vous dire très sincèrement dans quel état d'esprit mon groupe et moi-même abordons ce texte.
La cause du handicap est fondatrice de mon engagement politique. C'est également le cas de plusieurs d'entre nous ici. C'est cette histoire qui m'a poussé, en 2018, à porter une première proposition de loi pour tenter d'améliorer le sort des enfants scolarisés en situation de handicap et des femmes et des hommes qui les accompagnent au sein de l'école. J'ai gardé, comme beaucoup d'entre nous, de la majorité comme de l'opposition, un souvenir douloureux de la manière dont ce texte avait été rejeté brutalement, sans débat. Il était, pour mon groupe politique et moi-même, essentiel d'y revenir avec un esprit différent, pour faire avancer la cause.
Cette proposition de loi trouve sa place dans la journée réservée au groupe Les Républicains. Gagnons du temps et soyons directs. Il y a deux manières d'aborder une proposition venue d'un groupe parlementaire d'opposition. La première consiste à en faire un temps de friction politique, de débat stérile entre opposition et majorité. Vous savez faire ; moi aussi. Nous avons déjà eu cette expérience. C'était le 11 octobre 2018. Notre texte en faveur de l'inclusion des enfants en situation de handicap au sein de l'école de la République avait été rejeté sans ménagement par la majorité. Chacun se souvient du retentissement particulièrement négatif de cet épisode. Ce fut un échec cuisant pour la majorité comme pour l'opposition. Personne, je pense, n'a envie qu'il se reproduise, surtout pas moi. En tant que rapporteur, je consacrerai toutes mes forces à convaincre ceux qui ne le seraient pas encore de soutenir les propositions d'amélioration de notre texte, d'où qu'elles viennent, et à rassembler celles et ceux qui veulent faire progresser la cause du handicap.
Nous avons déjà fait l'expérience de propositions de loi venues de l'opposition et adoptées sur tous les bancs de notre assemblée. Ce fut notamment le cas de celle destinée à lutter contre les violences conjugales. Ce texte nous a rendu fiers collectivement et il n'appartient désormais pas plus à l'opposition qu'à la majorité. Il a fait avancer la société, c'est l'essentiel.
L'opposition pourrait faire le choix de la polémique pour la polémique. Nous ne le ferons pas. La majorité pourrait décider le rejet aveugle du texte sans proposition alternative ni argument solide. Vous ne le ferez pas, je crois, car vous savez que certains sujets méritent bien plus que des oppositions brutales et des réflexes politiciens.
Pour préparer notre proposition de loi, nous avons auditionné plus de vingt acteurs, durant plus de vingt-cinq heures. Un déplacement d'une délégation de députés en Seine‑et‑Marne, auquel vous étiez tous conviés, nous a permis d'échanger avec les élus départementaux, les professionnels des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et des personnes en situation de handicap. Nous n'avons rien laissé au hasard et plusieurs de mes amendements témoigneront de notre volonté de perfectionner notre texte pour le rendre plus efficace.
Trois chantiers nous apparaissent aujourd'hui prioritaires.
Le premier est celui de la déconjugalisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Nous avons, à ce sujet, avec plusieurs députés de la majorité, un désaccord de fond. Le mode de calcul et de plafonnement de cette allocation entrave significativement l'autonomie des personnes, en les maintenant dans une dépendance financière injuste et inacceptable vis-à-vis de leur conjoint. Cette dépendance est particulièrement difficile à vivre. Elle fait naître chez les personnes un sentiment d'inutilité, de dépendance et de perte de dignité. Ce mode de calcul absurde entraîne souvent un « prix de l'amour » insupportable pour les personnes en situation de handicap. Nombre d'entre elles refusent ainsi de se mettre en couple ou de vivre avec leur conjoint pour ne pas perdre leur allocation ou la voir diminuer. Qui peut accepter une telle situation contraire à nos principes républicains ?
En maintenant un mode de calcul et de plafonnement de l'AAH fondé sur les revenus du foyer, la France viole ses engagements en matière de défense des droits humains. C'est ce que nous a rappelé hier la Défenseure des droits, mais ce sont aussi les observations du comité des droits des personnes handicapées des Nations Unies, devant lequel la France a été auditionnée du 18 au 23 août dernier : le comité a recommandé à la France de réformer la réglementation de l'AAH.
Cette question est portée légitimement, et depuis longtemps, par les personnes en situation de handicap et les associations qui les représentent. Elle a fait l'objet d'un travail acharné de notre collègue Marie-George Buffet, qui fut rapporteure de textes examinés en 2018 et 2019, de nos collègues Jeanine Dubié, Yannick Favennec-Bécot ou Stéphane Peu à l'Assemblée nationale. Cette proposition de loi, adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale et le Sénat dans le cadre d'un vote qui a rassemblé l'ensemble des groupes à l'exception de la majorité présidentielle, a été vidée de son contenu par un amendement du Gouvernement repris dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2022.
Cette proposition de loi vise à rappeler l'impérieuse nécessité de ne pas abandonner ce combat fondamental. C'est l'objet des articles 4 à 7. Aussi longtemps que demeurera cette honteuse injustice, nous devrons la porter dans le débat public sans jamais faiblir.
Le deuxième chantier est celui de l'élargissement et de la modernisation de la prestation de compensation du handicap (PCH). Nous avons, en ce domaine, oppositions et majorité présidentielle confondues, un terrain de rassemblement. Nous sommes d'accord sur le constat : le dispositif ne remplit plus ses objectifs, définis dans la loi du 11 février 2005. Celle-ci consacre, en son article 11, un droit à la compensation des conséquences du handicap, quels que soient l'origine et la nature de la déficience, l'âge ou le mode de vie de la personne handicapée. Ce droit est désormais inscrit à l'article L. 114-1-1 du code de l'action sociale et des familles. Or les personnes qui présentent des altérations de leurs fonctions psychiques, mentales ou cognitives accèdent difficilement à la PCH, notamment au volet relatif à l'aide humaine.
Cette situation particulièrement regrettable s'explique d'abord par des critères d'éligibilité trop stricts et inadaptés aux personnes en situation de handicap psychique. Seules sont éligibles à la PCH les personnes ayant une difficulté absolue ou deux difficultés graves à réaliser quatre actes dits d'entretien personnel – toilette, alimentation, élimination, habillage – ou se mettant continuellement en danger à la suite de graves troubles du comportement. Ces critères excluent par définition les personnes souffrant d'un handicap psychique, mental ou cognitif, relativement autonomes dans les actes d'entretien personnel et ne se mettant pas en danger quotidiennement. Au-delà de la capacité à réaliser certains actes, l'attribution de la PCH repose également sur une évaluation du niveau de difficulté rencontré par les personnes : les textes mentionnent ainsi des difficultés graves ou absolues. Or ces termes sont inadaptés pour caractériser les personnes en situation de handicap psychique, mental ou cognitif, car le niveau de difficulté pour accomplir certains actes ne peut pas toujours être défini objectivement. Ces restrictions sont contraires à la loi du 11 février 2005 et relèvent uniquement de critères établis par voie réglementaire. Chacun conviendra que la pratique réglementaire ne saurait dénaturer la volonté du législateur.
Les besoins de compensation qui pourraient être pris en charge au titre de la PCH sont, eux aussi, peu adaptés à la spécificité des handicaps psychiques. L'inadéquation de la PCH, en particulier son volet relatif aux aides humaines, aux personnes en situation de handicap psychique est largement constaté, en particulier par le docteur Leguay, président de Santé mentale France, à qui la secrétaire d'État chargée des personnes handicapées et le ministre des solidarités et de la santé ont commandé un rapport sur l'adaptation de la PCH aux handicaps psychiques.
La réforme de cette prestation représente un engagement de longue date de ce Gouvernement. En 2017, l'engagement a été pris devant le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) de poursuivre les travaux pour exécuter les mesures du comité interministériel du handicap, en particulier l'évolution de la PCH. Le Président de la République lui-même a lancé le 11 février 2020, lors de la conférence nationale du handicap, des travaux pour adapter la PCH au handicap psychique et aux troubles du neuro-développement. Tout le monde partage le constat. Un an plus tard, il est temps de passer des paroles aux actes.
Nous avons l'ambition, par ce texte, de garantir aux personnes porteuses d'un handicap psychique, mental ou cognitif, le droit à la compensation qui leur est reconnu par le code de l'action sociale et des familles. L'article 1er de notre texte vise à adapter les modalités de l'aide humaine de la PCH aux besoins spécifiques de ces personnes, en précisant que cette aide peut être affectée à des missions de surveillance et d'assistance, de soutien à l'autonomie globale et de participation à la vie sociale et citoyenne.
L'article 2 de la proposition de loi prévoit d'élargir les critères d'accès à la PCH, notamment au volet relatif à l'aide humaine, aux personnes en situation de handicap psychique, mental ou cognitif. Il vise à rendre possible cet accès en cas d'altération des capacités, quelles qu'elles soient, et à revenir sur la nécessité de constater une difficulté absolue, impropre à qualifier la situation des personnes dont le handicap n'est pas physique ou sensoriel.
Enfin, le troisième et dernier chantier est celui de l'humanisation des procédures d'attribution de la PCH. Ce sujet n'est pas anodin. Dans un rapport, la Cour des comptes précise que la part des décisions sur liste, dans le total des décisions rendues, peut être estimée à 95 % au minimum, seules 5 % faisant l'objet d'une présentation et d'une discussion en séance de la MDPH. Cela signifie que, pour 95 % des décisions, la commission compétente prend une décision qui engage la vie des personnes, sans jamais les avoir rencontrées. Ce sujet est majeur. Il nourrit de profondes incompréhensions et rompt la confiance. Tous les acteurs, y compris au sein des MDPH, le regrettent. Il revient à la loi de rappeler qu'il est prioritaire d'évaluer personnellement les besoins d'une personne. L'article 3 de ce texte prévoit ainsi de garantir à la personne ou à son représentant d'être entendue avant tout refus d'attribution de la PCH. Une telle rencontre est essentielle pour les personnes en situation de handicap psychique, mental ou cognitif.
Aussi longtemps que demeurent ces injustices, la représentation nationale a le devoir de les corriger sans relâche et sans faiblir. La dignité et l'autonomie réelle des citoyens en situation de handicap sont deux enjeux majeurs et prioritaires pour notre société. La justice sociale ne saurait souffrir des positions partisanes. Nous voici arrivés à quelques mois du terme de notre mandat. Ce texte vous offre l'ultime moyen de répondre à l'attente de plusieurs millions de nos concitoyens et de leurs familles. Nous n'avons pas le droit de les décevoir.