Intervention de Aurélien Pradié

Réunion du mercredi 29 septembre 2021 à 9h35
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélien Pradié, rapporteur :

Personne n'ignore la matière dont nous traitons, l'une des plus humaines et des plus sensibles. Dans ce type de débat, des arguments expéditifs, sans autre objet que de ne pas prendre de décision, n'ont pas leur place. J'invite chacun à faire preuve d'une rigueur absolue et à ne pas se chercher continuellement des excuses pour ne pas agir. Je ne le ferai pas et je ne pense pas que les députés de la majorité aient davantage de raison d'agir ainsi.

Par ailleurs, sur ce sujet, un peu d'humilité collective ne nous fera pas de mal. Si je partage certains de vos propos, madame Cloarec-Le Nabour, l'un d'entre eux est factuellement faux : cette majorité n'est pas celle qui a fait le plus dans le domaine du handicap. Il se trouve qu'en la matière, le chemin a commencé en 1975. La loi de 2005 a poursuivi dans la même direction.

Ce texte a eu le courage de définir et de nommer spécifiquement les handicaps. Nous n'aurions pas le courage politique de présenter une telle loi aujourd'hui – le débat autour de la PCH le prouve. Une pudeur excessive conduit certains à considérer qu'il ne faut pas définir le handicap dans la loi. Or c'est exactement ce qu'a fait la loi de 2005, et c'est précisément pour cela qu'elle a représenté une révolution. Ceux qui étaient députés à l'époque se souviennent que le cœur du débat était déjà de savoir s'il fallait nommer les formes de handicap. Si les parlementaires et le gouvernement de l'époque, par faiblesse ou par lâcheté, avaient refusé de le faire, cette loi n'aurait pas transformé la société comme elle l'a fait.

Depuis 2005, sous les gouvernements de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, des avancées ont aussi eu lieu, avec notamment la création, dans les écoles, des unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS). S'agissant de la question du handicap, l'histoire est donc longue, et elle n'a pas commencé en 2017.

En ce qui concerne l'AAH, plus j'entends les arguments de la majorité, plus je me dis qu'il y a là un point de désaccord fondamental et de principe. Adrien Quatennens a raison de rappeler l'humiliation dont peut être porteur le message consistant à vouloir régler par des moyens exclusivement fiscaux et techniques ce qui est au contraire une question de principe, à savoir que l'on ne saurait pénaliser une femme ou un homme en situation de handicap au motif qu'il vit en couple. Mme la secrétaire d'État chargée des personnes handicapées avait même avancé un argument invraisemblable, que je suis heureux de ne plus entendre : selon elle, on ne pouvait pas avancer vers la déconjugalisation de l'AAH parce que les logiciels ne le permettaient pas.

Je me réjouis de constater que le débat sur la question a progressé. Mon groupe et moi-même assumons totalement de la mettre à nouveau sur la table. Le rôle de notre assemblée est de débattre, particulièrement lorsqu'une injustice aussi grande que celle-ci demeure. Nous assumons de ne pas escamoter le débat, de ne pas faire passer par pertes et profits un sujet aussi essentiel. Nous avons donc décidé d'inscrire cette disposition dans le texte. Nous pensons qu'elle n'est pas contestable sur le principe et qu'il est urgent de la mettre en œuvre.

S'agissant de la PCH, vous vous trompez lorsque vous indiquez qu'il est hasardeux, maladroit, voire risqué d'indiquer dans la loi le périmètre du handicap. La loi de 2005 a donné du handicap la définition suivante : « toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant ». Aucune autre loi de la République n'est allée aussi loin dans cette définition. Les mots que nous utilisons pour élargir le périmètre de la PCH figurent déjà dans la loi de 2005. Il est donc faux de dire que nous prenons un risque inconsidéré. C'est même le contraire, car nous faisons avancer les choses. Nous ne pourrons pas faire évoluer le périmètre de la prestation de compensation du handicap si nous ne nommons pas directement les handicaps dans la loi.

Il n'en demeure pas moins que nous laissons toute latitude au pouvoir réglementaire pour définir les modalités d'application de la prestation de compensation du handicap, à l'image de ce qui a été fait dans l'annexe 2-5. En aucun cas nous ne neutralisons le pouvoir réglementaire. Nous précisons simplement que, par principe, désormais, des personnes en situation de handicap psychique, cognitif ou neurologique pourront entrer dans le périmètre de la prestation de compensation du handicap, libre ensuite au pouvoir réglementaire d'en définir les détails.

À vous entendre, nous avancerions à marche forcée et de manière précipitée. Or, dès le lendemain du vote de la loi de 2005, il a été question d'élargir le périmètre de la prestation de compensation du handicap : le débat a commencé en 2006. Depuis lors, les majorités se sont succédé et de nombreuses missions ont été confiées aux uns et aux autres. On n'a cessé de tourner autour du pot : par pure lâcheté politique, la question n'a jamais été remise à l'ordre du jour. Récemment encore, la mission confiée au professeur Leguay est parvenue, au terme de plusieurs mois de travail et d'approfondissement, à des conclusions qui sont exactement celles de notre proposition de loi – l'expression que nous utilisons pour définir l'extension de la PCH est au mot près celle que le professeur Leguay a proposée au Gouvernement. Je rappelle aussi que le gouvernement d'Édouard Philippe s'était engagé à revoir le périmètre de la PCH, comme nous le proposons. Le Président de la République s'y était également engagé, dans des termes qui sont exactement ceux que nous utilisons, puisqu'il avait évoqué une adaptation effective de la PCH aux handicaps psychiques et aux troubles du neurodéveloppement.

Autrement dit, notre proposition de loi ne vient pas de nulle part : nous avons repris et traduit l'ensemble des travaux des professionnels et des engagements politiques qui ont été pris devant les Français, notamment par le Président de la République.

En ce qui concerne le coût et l'impact de la mesure, il est assez difficile de préciser le nombre de bénéficiaires supplémentaires. Néanmoins, le travail des associations, notamment, permet d'évaluer ce nombre à 60 000 personnes environ. Je précise, à cet égard, que nous étendons le périmètre de l'accès à l'aide humaine et non celui de la PCH dans son intégralité, ce qui limite le champ d'application du dispositif. L'idée selon laquelle la disposition créerait un appel d'air considérable est donc fausse : le nombre de bénéficiaires supplémentaires est tout à fait supportable sur le plan budgétaire. Il est également à la même hauteur que les dispositions fiscales que le Gouvernement propose de prendre en matière d'allocation aux adultes handicapés.

Durant quinze jours, nous avons mené de nombreuses auditions – vingt-deux heures au total –, et lundi nous étions en Seine-et-Marne. Vous étiez d'ailleurs toutes et tous invités à participer à ces travaux. Ceux d'entre vous qui l'ont fait – ils étaient rares – ont constaté qu'aucun des acteurs que nous avons auditionnés, y compris les MDPH, n'a contesté le bénéfice du texte et la possibilité de le mettre en application.

Je suis prêt à travailler avec vous et avec le Gouvernement, que j'ai d'ailleurs sollicité en ce sens, sur le périmètre et l'impact de la proposition. Nous voulons nous assurer que les moyens attribués par l'État aux départements permettront d'absorber l'augmentation du nombre de bénéficiaires. Dès le début du travail sur cette proposition de loi, j'ai d'ailleurs pris l'attache du Gouvernement pour lui faire savoir que nous étions déterminés à faire aboutir la réforme de l'AAH et que, s'agissant de la PCH, nous avions un point d'accord ; je n'imagine pas que des arguties partisanes nous empêchent d'avancer sur la question, dans la mesure où tout le monde est d'accord.

Monsieur Turquois, vous avez évoqué les perdants et les gagnants de la déconjugalisation de l'AAH. Je n'y reviens pas, car l'article 7 s'adresse précisément à ceux qui perdraient à cause du dispositif. Ils sont d'ailleurs nettement moins nombreux que les gagnants.

Vous avez parlé d'« incantation législative ». Si, en 2005, il ne s'était pas trouvé des femmes et des hommes pour se livrer à des incantations législatives, les choses n'auraient pas avancé comme elles l'ont fait. Il ne s'agit pas d'incantations législatives : ce sont des mots, inscrits dans la loi, qui changent la vie de nos concitoyens. C'est ce que la loi de 2005 a fait et c'est aussi l'ambition de notre proposition de loi.

Par ailleurs, je vous ai indiqué dans quel état d'esprit j'entendais travailler. Je conteste fermement le mot « démagogie ». Pour ma part, je ne considère pas que vous êtes cynique ; ne me considérez donc pas comme un démagogue. Les deux mesures que nous proposons ne font aucune place à la démagogie. Elles sont attendues par des millions de nos concitoyens et, vous le savez au fond de vous-même, elles sont largement défendables sur le principe.

Je sais l'engagement de nos collègues du groupe Socialistes et apparentés, depuis l'origine, en faveur de l'évolution de la PCH et de l'AAH. Je les remercie d'avoir contribué utilement à la préparation du texte.

Je sais également l'engagement de nos collègues du groupe Agir ensemble en faveur de la déconjugalisation de l'AAH. Ils n'en ont jamais démordu. En ce qui concerne l'élargissement de la PCH, je répète que l'impact est tout à fait supportable et que c'est effectivement dans la loi qu'il faut inscrire la disposition. Je suis prêt, sur ce point, à retravailler avec les uns et les autres d'ici à la séance, dès lors qu'il s'agit d'améliorer le texte et non de le déconstruire.

Monsieur Quatennens, si nous ne sommes pas d'accord sur tout, le sentiment d'humiliation que vous avez pointé me paraît être un élément majeur. Il ne s'agit pas d'un sentiment, d'ailleurs : chacun doit bien mesurer à quel point nos propos, nos actes ou notre incapacité à agir peuvent en effet représenter une humiliation pour plusieurs de milliers de nos concitoyens.

Madame Dubié, je salue votre travail de longue date sur ces questions, et votre présence continue et méthodique à l'ensemble des auditions. Sur beaucoup de sujets, nous avons constaté que cette proposition de loi permettait d'avancer.

Je déposerai plusieurs amendements en vue du débat en séance publique. Les auditions, notamment, nous ont permis de corriger un certain nombre de détails du texte. C'est le processus normal pour une proposition de loi examinée dans le cadre d'une niche : après son dépôt elle fait l'objet d'auditions, puis passe en commission et, enfin, est présentée en séance. Il est donc fréquent – je l'ai déjà fait moi-même pour les deux autres textes que j'ai défendus – que le rapporteur corrige sur certains points la rédaction initiale de sa proposition de loi, car il n'avait pas vu certains problèmes. Ainsi, je vous proposerai plusieurs amendements visant à circonscrire les problèmes que pourrait poser le texte et à affiner le dispositif. Je le ferai par souci de rigueur et parce que je considère que le texte doit aboutir.

Un mot, pour finir, sur la méthode employée. Comme je l'ai dit au Gouvernement avant-hier, le procédé qui consiste à supprimer un par un, méthodiquement, tous les articles d'une proposition de loi est une erreur s'agissant d'une question aussi essentielle. Je ne sais pas si c'est une erreur politique – chacun assume sa stratégie –, mais je sais que c'est une erreur parlementaire. Il y a quelques années, nous avons déjà fait l'expérience d'un texte sur le handicap ayant été rejeté sans débat. Si votre stratégie consiste à aborder la séance en supprimant les articles un à un, vous aurez à assumer une grande responsabilité. Le débat est toujours nécessaire, et plusieurs possibilités s'offrent à vous : vous pouvez amender le texte autant que vous le souhaitez ou voter contre la proposition de loi. Mais la méthode qui consiste à saboter un texte en en supprimant méthodiquement tous les articles, y compris ceux qui sont purement rédactionnels et de coordination, est une sale méthode – je le dis comme je le pense. J'espère que, d'ici à la séance, grâce à mes efforts et aux vôtres, nous serons davantage à la hauteur de l'enjeu qui nous attend.

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