Sur cet article, comme sur tous les autres, vous avez donc fait le choix de l'amendement de suppression. Je le répète, vous auriez pu corriger, autant de fois que vous le voulez ; vous auriez pu voter pour, vous abstenir ou voter contre. Mais vous avez choisi ce que je considère comme une sale méthode : supprimer purement et simplement l'article – je le répéterai jusqu'au dernier article. Nous avons une divergence sur ce point.
Au sein même de la majorité, groupe majoritaire compris, il existe des divergences. Lorsque l'on provoque l'opposition de tous les groupes politiques et d'une partie de sa propre famille politique, c'est peut-être que l'on ne détient pas la vérité. Je sais la discipline qui règne au sein de votre groupe politique – elle est heureuse et louable –, mais lorsque celle-ci vient à se fissurer, c'est peut-être que la question mérite d'être posée et qu'un peu de doute serait bienvenu.
Nous parlons d'une question de principe. La responsabilité technique que vous ne cessez de mettre en avant ne doit pas servir à cacher une lâcheté politique. La responsabilité technique incombe à nous tous. Sur le plan technique, la déconjugalisation de l'AAH est tout à fait faisable. Sur le plan juridique, elle est aussi parfaitement fondée puisque l'AAH n'est pas un minimum social au sens du code de l'action sociale et des familles ; elle relève de la solidarité. D'ailleurs, les voies de recours en matière d'AAH ne sont pas celles qui sont prévues pour les minima sociaux. C'est bien la preuve que, dans l'esprit du législateur, l'une et l'autre relèvent de deux champs différents.
La conjugalisation de l'AAH pose des problèmes très douloureux. Dans nos circonscriptions, nous voyons de nombreux cas – un seul suffirait à nous convaincre d'avancer – de personnes en situation de handicap qui refusent de s'installer avec leur conjoint parce que demain elles seraient perdantes au regard de l'AAH. La France est systématiquement rappelée à l'ordre par les autorités internationales à ce sujet. Nous sommes l'un des rares pays d'Europe dans lequel cette injustice demeure. Si tous les autres pays ont accepté d'individualiser l'allocation, c'est sûrement pour une question de principe et parce que c'est tout à fait faisable. Nous assumons de porter une nouvelle fois ce débat sur le devant de la scène et nous le ferons tant que le problème n'aura pas été résolu. Nous pouvons être en désaccord sur le fond ; chacun d'entre nous doit l'assumer.
Vous savez comme moi que les derniers débats à ce sujet ont été douloureux, non seulement pour des raisons d'ordre politique et médiatique, mais aussi en raison de l'argument qui a été avancé par Mme la secrétaire d'État chargée des personnes handicapées devant la représentation nationale, en séance publique : le logiciel n'est pas adapté pour traiter la question – je reprends strictement son argument.
Par ailleurs, penser que des mesures d'adaptation, telles que celles que vous envisagez d'introduire par le PLFSS 2022, peuvent compenser une injustice de principe, c'est faire erreur, car il s'agit d'un sujet de principe fondamental, touchant au respect de nos concitoyens et à l'organisation de la société.
Dernier argument parmi ceux que je ne peux entendre : dans une situation de handicap, la solidarité familiale devrait primer. Il n'est pas nécessaire de solliciter la solidarité familiale dans un couple lorsque l'un de ses membres perçoit l'AAH, ni de demander à son conjoint plus encore que ce qu'il fait déjà ! L'idée qu'il reviendrait au conjoint d'assumer la charge, et par là la mise sous dépendance de la personne en situation de handicap, est absolument insupportable. Dans le cas très singulier des femmes victimes de violences conjugales, qui sont nombreuses parmi celles en situation de handicap, cette dépendance est encore plus insupportable que les violences qu'elles subissent quotidiennement.
Vous avancez qu'il y aurait des perdants. Il y a bien quelques perdants identifiés, mais ils sont dans des situations très particulières. En réalité, la réforme que je propose ferait 196 000 gagnants, sans parler du gain au regard des grands principes de la République – ils ont leur importance lorsqu'on débat de la loi à l'Assemblée nationale. Les 44 000 perdants identifiés sont repêchés par l'article 7, de sorte que la proposition de loi ne fait aucun perdant. Elle ne fait d'ailleurs aucun gagnant non plus, car la question n'est pas là. Il s'agit de faire en sorte que celles et ceux qui sont en situation de handicap bénéficient de la solidarité nationale. Je récuse les termes de gagnants et de perdants, car quiconque dispose de quelques centaines d'euros par mois pour vivre en situation de handicap doit juste recevoir de la République une marque de solidarité bien nécessaire.