L'édition 2021 de l'opération « Septembre en or », consacrée à la lutte contre le cancer pédiatrique, touche à sa fin. De nombreuses actions ont été menées en soutien aux enfants malades ; collectes et manifestations sportives se sont succédé tout au long des quatre dernières semaines. Chacun ici a constaté, dans son territoire, la forte mobilisation suscitée par ces actions.
Le cancer frappe chaque année plus de 2 500 enfants et adolescents en France. La moitié d'entre eux en souffrent avant l'âge de 5 ans et, malheureusement, 500 en décèdent. Contrairement aux cancers de l'adulte, les cancers pédiatriques sont pour la plupart des maladies rares, ce qui accroît la vulnérabilité des enfants concernés.
Outre le fléau du cancer, les enfants peuvent être victimes de pathologies graves et handicapantes ainsi que d'accidents. La famille, particulièrement les parents, est frappée de plein fouet par ces événements douloureux, qui surgissent sans préavis. L'annonce du diagnostic provoque généralement un véritable tsunami, chamboulant subitement son équilibre. Les parents doivent s'adapter rapidement à un nouveau quotidien, très lourd à gérer. L'enfant subit de nombreux examens, les rendez-vous médicaux avec les spécialistes se multiplient, parfois à plusieurs centaines de kilomètres du lieu de résidence, et les parents doivent gérer les troubles psychologiques et l'anxiété qui en résultent, non seulement pour l'enfant, mais aussi pour eux-mêmes et les autres membres de la famille, notamment les frères et sœurs.
Le drame d'avoir un enfant atteint d'une maladie grave se double souvent de difficultés matérielles. Il en coûte à la famille des dépenses supplémentaires pour le transport jusqu'au centre hospitalier où l'enfant est suivi ou pour la garde des autres enfants. Simultanément, les revenus du ménage diminuent souvent, si l'un des parents réduit ou interrompt son activité professionnelle pour accompagner l'enfant dans son parcours médical.
Une telle situation met à rude épreuve la stabilité et l'équilibre d'une famille et d'un couple. Elle est sans doute encore plus difficile à vivre pour une famille monoparentale, dans laquelle le parent – le plus souvent la mère – est isolé face à la maladie. Car les protections prévues pour les adultes tombant malade – arrêt maladie, prise en charge du crédit immobilier par l'assurance emprunteur, protection de l'emploi – ne jouent pas si la maladie touche un enfant.
Comme tout un chacun, j'ai eu l'occasion de rencontrer des responsables d'associations et des parents d'enfants malades ; j'ai pris la mesure du parcours du combattant qu'est parfois l'accompagnement d'un enfant gravement malade. Je pense notamment au témoignage bouleversant d'un ami, ancien maire d'une commune de Haute-Loire, et de son épouse, qui ont vu leur fille partir doucement. Je pense également à l'engagement de Xavier Broutin, fondateur de l'association Cassandra, et, en Haute-Loire, à celui de Sophie Combes, présidente de l'association « Renan l'étoile qui sait rire », et mère du petit Renan, atteint d'un cancer rare et décédé il y a deux ans. Elle s'exprime ainsi : « Forcément, quand on vous dit que votre enfant a un cancer, on pense à la mort tout de suite. On est parti durant trois mois à Nice, faire de la protonthérapie, en laissant mes deux autres enfants à la maison. Je suis infirmière libérale. J'ai dû abandonner mon travail. Il a fallu payer le logement à Nice. On se sent très seul, avec très peu d'aide. Ça peut être vite la catastrophe ».
Certes, plusieurs dispositifs permettent aux parents d'être présents aux côtés de leur enfant malade. Le congé de présence parentale (CPP) s'adresse aux cas où la maladie, l'accident ou le handicap de l'enfant présente une particulière gravité, rendant indispensable la présence soutenue des parents et l'administration de soins contraignants. Il peut aller jusqu'à 310 jours maximum, attribués sur une période de trois ans. Le parent perçoit l'allocation journalière de présence parentale (AJPP) pour compenser en partie la perte de revenu due à la suspension du contrat de travail.
Ces deux dispositifs demeurent méconnus, ce qui rend difficile l'évaluation du nombre de parents d'enfants malades susceptibles d'en bénéficier. Les quelques chiffres disponibles permettent de constater que le nombre de bénéficiaires du CPP et de l'AJPP a augmenté de façon continue au cours des dernières années. En 2019, 10 000 familles en étaient bénéficiaires, contre 5 123 en 2011 et 4 667 en 2010.
Plusieurs initiatives ont été prises à l'Assemblée nationale pour soutenir davantage les parents d'enfants malades. La loi du 8 mars 2019 visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l'oubli, issue d'une proposition de loi de Mme Élimas, simplifie certaines formalités et assouplit les conditions d'ouverture des droits au CPP et à l'AJPP. La loi du 8 juin 2020 visant à améliorer les droits des travailleurs et l'accompagnement des familles après le décès d'un enfant, issue d'une proposition de loi de M. Guy Bricout, comporte plusieurs avancées importantes, notamment l'allongement de la durée du congé dont bénéficient les parents et la création d'une allocation forfaitaire.
Deux propositions de loi sont encore en cours d'examen : celle de M. Paul Christophe, visant à améliorer les conditions de présence parentale auprès d'un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu, a été adoptée par l'Assemblée nationale en novembre dernier ; celle de Mme Béatrice Descamps, visant à l'accompagnement des enfants porteurs de pathologie chronique ou de cancer, a été adoptée en mai dernier également par notre assemblée. La première vise à autoriser le renouvellement du bénéfice du CPP et du versement de l'AJPP selon des modalités répondant à certaines situations, notamment pour les parents d'enfants atteints d'un cancer, la seconde, à créer un congé de deux jours pour les parents apprenant que leur enfant souffre d'un cancer ou d'une pathologie chronique.
Cette volonté qui s'est manifestée au cours des dernières années pour améliorer l'accompagnement des parents d'enfants malades est à saluer. Toutefois, je retire d'échanges avec des parents et des associations qu'on ne peut pas faire abstraction des difficultés que rencontrent au quotidien les familles, qui engendrent des sentiments de frustration, voire du désespoir. Nous devons aller plus loin dans le soutien offert aux parents. Les dispositions en vigueur sont manifestement insuffisantes pour créer un cadre juridique sécurisant pour les parents et pour les enfants gravement malades. La présence affective des parents aux côtés de l'enfant malade est jugée indispensable par les médecins, qui estiment qu'elle augmente les chances de guérison. En soutenant davantage les parents d'enfants malades, il s'agit aussi et surtout de garantir le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant.
L'ambition de la proposition de loi que je présente aujourd'hui est de créer un véritable statut de parent protégé pour les parents d'enfants malades, atteints d'un handicap ou victimes d'accident. Ce statut permet de bénéficier de garanties, de protections et de soutiens pendant la prise en charge de l'enfant. Il s'agit, dans un premier temps, de poser le principe d'un tel statut, qui me semble susceptible de nous rassembler, par-delà les clivages politiques. Il appartiendrait ensuite au Gouvernement et au Parlement d'en décliner les mesures constitutives, à la fois réglementaires et législatives.
Ce statut pourrait comporter une protection contre le licenciement, par l'introduction dans le code du travail de l'interdiction, pour tout employeur, de rompre le contrat de travail d'un salarié relevant du statut de parent protégé, sur le modèle des règles applicables aux femmes en congé maternité. Il pourrait également garantir le versement des cotisations et le maintien du salaire pendant la période de protection, ainsi que des dérogations pour le recouvrement des créances de ces parents. Il faudrait notamment prévoir des dispositions spécifiques pour les crédits immobiliers, telles que la suspension des remboursements et la mise en œuvre de l'assurance emprunteur.
Un accompagnement fiscal serait bienvenu, par exemple sous la forme d'une réduction d'impôt sur le revenu de 2 000 euros pendant la durée de prise en charge de l'enfant, d'une exonération de taxe foncière et surtout du maintien du bénéfice de la demi-part ou de la part fiscale auquel un enfant à charge ouvre droit, en cas de décès de l'enfant. Plus qu'un allégement de l'impôt du ménage, cela constituerait surtout une forme de reconnaissance administrative de l'enfant décédé et de sa place au sein des familles. J'ai souvent entendu des propos tels que celui-ci : « J'ai deux enfants en vie et un qui est malheureusement décédé, mais ma feuille d'impôts indique que j'ai deux enfants. Pourtant, leur mère considère, dans sa chair et dans son cœur, qu'elle aura toute sa vie trois enfants. Que l'administration fiscale considère que j'ai deux enfants me fait mal au cœur ».
D'autres aides s'avèrent nécessaires, en matière de logement ainsi que de prise en charge des frais de suivi psychologique des parents et des frères et sœurs de l'enfant gravement malade, pas uniquement en cas de décès de l'enfant mais aussi pendant sa maladie.
Au titre des dispositions réglementaires de ce statut, il faudrait revaloriser le montant de l'AJPP, qui est de 52 euros pour une personne seule et de 44 euros pour une personne en couple, pour faciliter la suspension de l'activité d'un parent pendant la maladie. Il faudrait aussi rehausser le montant de l'allocation versée en cas de décès d'un enfant, créée par la loi du 8 juin 2020, pour qu'elle atteigne au moins 3 476 euros, soit le montant du capital-décès versé lors du décès d'un salarié.
La maladie d'un enfant est une période pendant laquelle les parents sont absorbés par son accompagnement. Ils doivent gérer de multiples sources d'anxiété et de tension et auraient besoin d'être déchargés des contraintes financières et matérielles ; or celles-ci ont généralement tendance à s'alourdir dans de telles situations. Nous devons changer de braquet dans l'accompagnement des parents et adopter le statut que je propose. Ce combat, dans lequel nous devons tous nous lancer, est d'intérêt général et exclut toute considération partisane. Il appartient à la représentation nationale de répondre à une demande forte des familles, afin de permettre de réelles avancées et de manifester notre solidarité. Ce texte constitue le premier pas d'une démarche dont je souhaite qu'elle soit poursuivie, dans un esprit de responsabilité, par les pouvoirs publics.
Mes chers collègues, je vous le dis solennellement, les associations et les parents d'enfants malades nous regardent. Les enfants malades nous regardent. Ils attendent ; ils espèrent ; ils croient en nous, certains que nous adopterons cette proposition de loi. Celle-ci n'est pas politique. Elle peut et doit être adoptée par tous les groupes. C'est une main tendue vers le Gouvernement, afin de construire ensemble les conditions d'adoption du statut de parent protégé. Je compte sur vous pour l'adopter à l'unanimité.