Cette invitation me permettra de vous brosser à grands traits les travaux qu'a menés la Haute Autorité de santé (HAS) durant les dix-huit derniers mois. Cette période de la crise de la covid a été extrêmement intense mais également marquée par un grand nombre d'évolutions sur lesquelles je reviendrai avant d'évoquer les perspectives de notre institution.
Vous avez rappelé les principales missions de la HAS. Elles sont assez larges mais la période récente a été marquée par le fait qu'il a fallu répondre à tous les enjeux de la crise sans interrompre les missions de la HAS. Il n'était pas question d'abandonner nos missions vis-à-vis des patients atteints de pathologies hors covid. C'est pourquoi, comme vous avez pu le voir dans notre rapport d'activité, nous avons rendu l'année dernière plus de 500 avis sur des médicaments, 250 avis sur des dispositifs médicaux en vue de leur remboursement. Nous avons produit 66 publications relatives aux pratiques cliniques et organisationnelles et 8 publications de santé publique.
Je cite en exemples certains travaux emblématiques tels que le repérage des femmes victimes de violences au sein du couple, un guide à destination des professionnels des services d'aide et de soin à domicile sur l'accompagnement des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, un travail très récent sur la prévention, l'évolution et la prise en charge des tentatives de suicide et du risque suicidaire chez l'enfant et l'adolescent, une recommandation sur l'évaluation de la pertinence du dépistage néonatal d'un certain nombre de maladies... Ce sont de gros sujets de santé publique.
Nous avons également accrédité plus de 1 800 médecins et certifié plus de 2 300 établissements de santé. Surtout, nous avons considérablement fait évoluer le processus de certification des établissements de santé en renouvelant totalement la procédure et le référentiel pour mettre d'abord l'accent sur l'engagement des patients, la culture de l'évaluation de la pertinence et du résultat, le travail en équipe et l'insertion territoriale. La certification des établissements va ainsi plus au contact, elle est plus proche des équipes de soin.
Évidemment, le monde, la France et tous nos systèmes de santé ont été fortement impactés par la crise covid, qui fut de survenue extrêmement brutale. Nous avons eu un rôle assez important à jouer dans le cadre de nos missions et nous nous étions fixé d'emblée un certain nombre d'objectifs. Le premier était de conseiller au mieux le Gouvernement et de lui apporter les analyses et les données scientifiques les plus fiables dans un contexte d'incertitude. Le deuxième était d'aider les professionnels de santé, afin qu'ils puissent lutter contre cette crise mais trouvent également les informations nécessaires à la prise en charge de l'ensemble de leurs patients de façon à continuer leurs activités en période de confinement, de post-confinement ou de crise sanitaire. Nous avions également pour objectif d'informer au mieux les patients, dans une période qui a donné lieu à l'expression d'un grand nombre de positions parfois contradictoires entre lesquelles ils avaient bien du mal à se retrouver.
En interne, le directeur général Thomas Wanecq, ici présent, et moi-même avons mis en place une gestion de crise dédiée, agile, qui permettait de s'adapter au niveau d'évidence du moment, de revoir en permanence les recommandations. Nous avons mobilisé toutes les équipes autour d'objectifs communs avec trois principes : protéger, traiter et prévenir.
Pour protéger, nous avons dès le début évalué tous les tests et, dès le 6 mars, nous rendions déjà des avis sur les critères de qualité des tests PCR selon qu'il s'agissait de tests à deux cibles versus une cible...
Pour traiter, nous évaluons évidemment les traitements et leur place dans la stratégie. Au-delà de la veille que nous avons longtemps publiée sur l'état des connaissances des médicaments, nous les évaluons en vue de leur remboursement et, maintenant, en vue de leur accès précoce.
Pour prévenir, nous avons élaboré et fait évoluer en permanence une stratégie vaccinale qui, encore aujourd'hui, nous procure pas mal de travail.
Dans le cadre de la crise, nous avons rendu plus de 150 productions et avis, dont 90 portaient sur des produits de santé ou des actes liés à la covid. 45 documents étaient ce que nous appelons des réponses rapides, c'est-à-dire des recommandations destinées aux professionnels de santé pour la prise en charge des patients covid et non-covid afin de les aider dans leur mode d'exercice dans le cadre de la pandémie et des confinements. Nous avons par exemple produit des documents pour les dentistes ou pour les kinésithérapeutes sur la façon d'organiser leur cabinet en période de crise sanitaire. Nous avons également rendu onze avis ou documents destinés aux usagers ainsi que cinq publications relatives au champ social et médico‑social.
Nous avons, autant que faire se peut, gardé toutes nos méthodes de travail et la rigueur scientifique qui est la caractéristique de cette maison. L'enjeu était double puisqu'il fallait aller vite pour ne pas faire perdre de temps aux patients et s'adapter en permanence au niveau d'incertitude scientifique, important dans cette période.
Nous avons été amenés à renforcer notre communication à travers de nombreux communiqués de presse ou des conférences de presse, dans une perspective essentiellement pédagogique à un moment où les informations étaient très divergentes, voire incohérentes, dans la presse. Nous avons évidemment tous télétravaillé et nous avons au plus vite équipé nos agents dans ce sens.
Pour faire face à la pandémie, les pouvoirs publics se sont appuyés sur les agences de santé, dont la HAS, et sur des comités scientifiques dédiés, mis en place par le Président de la République. Nous avons eu à cœur de travailler avec chacun d'entre eux et, évidemment, avec le pouvoir exécutif, avec le ministère des solidarités et de la santé et ses directions pour assurer la meilleure coordination de notre action.
Cette coordination a parfois trouvé ses limites en raison du nombre d'instances, du chevauchement partiel de leurs compétences et de saisines qui pouvaient être concomitantes. Nous pensons clairement que l'un des enseignements de cette crise est que nous pouvons améliorer cette coordination.
Au-delà de la crise, la HAS a continué des travaux qui me semblent extrêmement importants pour la santé de nos concitoyens. Il s'agit d'abord de tous les travaux concernant l'amélioration de l'accès à l'innovation. En janvier 2020, juste avant la crise, nous avons mis en place un plan médicaments pour anticiper, accélérer et accompagner le déploiement d'innovations utiles et sécurisées au service du patient. Nous en voyons les premiers effets avec une nette amélioration des process. De plus, nous avons mis en œuvre de nouveaux dispositifs d'autorisation d'accès précoce. À l'issue de près d'un an de discussion et de travail avec l'ensemble des parties prenantes – industriels, associations de patients, usagers, fédérations hospitalières –, ce dispositif a pris son essor au 1er juillet.
Comme vous le savez, la France était depuis plus de trente ans assez pionnière dans ce domaine avec les autorisations temporaires d'utilisation (ATU), qui ont longtemps permis aux patients de bénéficier de nouveaux médicaments lorsqu'ils étaient en impasse thérapeutique et ne pouvaient pas être inclus dans des essais cliniques. Toutefois, avec le temps, ce système s'était complexifié et un certain nombre de strates rendaient le dispositif moins lisible.
Cette réforme avait pour but d'aller plus loin, de simplifier l'existant, d'accélérer et de rendre plus prévisible le dispositif pour permettre aux patients de disposer plus précocement de ces médicaments tout en renforçant leur suivi par l'analyse des données en vie réelle pendant l'utilisation en accès précoce. Ce dispositif se caractérise par un recueil plus important de données. Ce sont les premières utilisations dans la vraie vie de ces molécules et donc une source d'informations très importantes.
Je souligne que, tout en conservant le rôle majeur de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) dans l'appréciation de la balance bénéfice‑risque de ces médicaments, la réforme positionne la HAS dans un nouveau rôle de décisionnaire. En effet, nous ne donnons pas un avis, le ministère prenant la décision ; c'est la HAS qui décide de la prise en charge de ces médicaments ce qui est une petite révolution pour notre institution.
À côté de ces travaux sur l'innovation, je souhaite aussi citer des travaux très importants dans le domaine du numérique, sur la télésanté, les outils numériques, l'évaluation des dispositifs médicaux embarquant de l'intelligence artificielle ainsi que la classification des outils numériques et l'évaluation des applications dans le champ de la santé mobile. Nous avons énormément renforcé nos travaux dans ce domaine.
Nous continuons nos chantiers sur la qualité et la pertinence des soins, essentiellement en développant de nouveaux indicateurs de qualité et de sécurité. Ces derniers sont développés et validés avec les professionnels de santé mais également avec les patients, les usagers. Ils sont conçus comme des outils d'amélioration de la qualité.
De nombreux indicateurs avaient déjà été élaborés par la HAS. Nous poursuivons notre travail de mise en place d'indicateurs, tant en médecine, chirurgie et obstétrique qu'en soins de suite, réadaptation, hospitalisation à domicile, chirurgie ambulatoire ou même en psychiatrie, ce qui n'est pas toujours simple. Nous nous attaquons également à un vaste chantier, celui des indicateurs de qualité des parcours de soins. Nous menons ce travail avec la Caisse nationale de l'assurance maladie.
Dans le domaine médico‑social, de nombreux chantiers sont en cours dont l'un est majeur. Il s'agit de la révision du processus d'évaluation des établissements et services sociaux et médico‑sociaux, avec la création d'un référentiel dédié qui a demandé un énorme travail. Nous émettons également de nombreuses recommandations, avec par exemple le cadre national de référence pour l'évaluation globale de la situation des enfants en danger ou en risque de danger, un outil dont la France ne disposait pas jusqu'à présent.
Outre ces sujets majeurs pour la HAS, je souhaite évoquer quelques autres chantiers qui me paraissent très importants. Le premier concerne tout ce qu'il se passe à l'échelon européen. Le règlement relatif à l'évaluation des technologies de santé commune au niveau européen vise à favoriser la coopération des États membres en la matière ; il est en passe d'être signé. Il jettera les bases d'une coopération permanente et viable en matière d'évaluation clinique. Nous prenons évidemment toute notre place dans la mise en place des méthodes, des procédures et des outils communs qui permettront ce travail, notre but étant d'être un véritable leader dans ce domaine au niveau européen.
Le deuxième sujet que je souhaite évoquer est la certification périodique des médecins créée récemment. Des référentiels seront proposés par les conseils nationaux professionnels sur la base d'une méthode proposée par le ministre de la santé après notre avis. Ce processus de certification périodique, sur lequel la France avait un peu de retard, est à notre sens un point majeur pour l'amélioration de la qualité des soins.
Enfin, j'ajoute que nous travaillons évidemment sur la question de la santé publique et suivons les travaux réalisés par la mission menée par Franck Chauvin. Nous souhaitons prendre pleinement part à ce chantier puisqu'une grande partie de nos missions sont des missions de santé publique.