Intervention de Valérie Bazin-Malgras

Réunion du mercredi 29 septembre 2021 à 14h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Bazin-Malgras, rapporteure :

Merci, madame la présidente, de m'accueillir dans votre commission.

La proposition de loi que j'ai l'honneur de défendre devant vous est le fruit d'une réflexion de longue date, partagée avec nos concitoyens. Elle est née d'une rencontre sur le terrain avec une citoyenne de ma circonscription qui s'interrogeait sur la possibilité de céder, à l'aube de sa retraite, les droits inscrits sur son compte personnel de formation (CPF) à sa fille en proie à des difficultés pour s'insérer durablement sur le marché du travail.

Depuis que j'ai déposé cette proposition de loi, il y a maintenant un an et demi, je suis sollicitée chaque semaine par nos concitoyens qui s'impatientent de voir cette mesure devenir réalité. Je ne suis d'ailleurs pas la seule et je me réjouis que certains collègues de la majorité se fassent l'écho de cette préoccupation auprès du Gouvernement au travers de leurs questions écrites.

Profondément rénové par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, le CPF est l'un des rares droits uniquement à la main des salariés. Il est presque inconditionnel puisqu'il suffit au salarié de solliciter une formation éligible pour bénéficier de son financement. Le passage d'un décompte en heures à un décompte en euros est la transformation la plus visible introduite par la loi de 2018, et qui n'est pas sans répercussions sur la manière dont les salariés perçoivent leur droit à la formation.

Incontestablement, cette monétisation a créé chez eux une appétence puisque de 600 000 titulaires d'un compte en novembre 2019, nous sommes en passe d'atteindre les 3 millions d'utilisateurs d'ici à la fin de l'année 2021. Cet engouement est largement compréhensible : le CPF est devenu un droit des salariés qui peuvent l'utiliser sans autre intermédiaire que l'application mobile MonCompteFormation.

Vous conviendrez avec moi que le CPF étant un droit acquis par les salariés grâce à tous les efforts accomplis durant leur carrière professionnelle, il serait assez naturel qu'ils puissent en disposer comme bon leur semble, notamment à l'aube de leur départ à la retraite. Évidemment, le CPF doit être, en priorité, mobilisé en vue de sécuriser les parcours professionnels et de financer des formations professionnalisantes.

Les partenaires sociaux, que j'ai longuement entendus au cours des travaux préparatoires, se sont accordés à dire que l'offre de formation pouvait être encore améliorée, en particulier pour éviter les effets d'aubaine qui conduisent à financer des cours de langue dont la portée professionnelle est parfois plus que discutable.

Néanmoins, le CPF est et doit demeurer un droit personnel du salarié. Notre proposition de loi s'adresse à tous ceux et toutes celles qui – heureusement nombreux – ne connaissent pas de carrière heurtée, ne sont pas menacés par le chômage et ne doivent pas engager un processus de reconversion professionnelle en fin de carrière pour éviter le licenciement. Ces salariés se sont ouvert des droits à la formation grâce à leur travail, à hauteur de 500 euros par an pour un salarié dont la durée du travail est supérieure ou égale à la moitié de la durée légale, dans la limite d'un plafond de 5 000 euros. Une telle somme est loin d'être négligeable. Comment justifier dès lors que certains salariés aient concrètement bénéficié de cet argent tandis que d'autres emportent avec eux leurs droits virtuels ? C'est à cette contradiction que le présent texte entend répondre.

Je propose, au travers d'un article unique, un dispositif simple : tout salarié pourra céder tout ou partie des droits inscrits sur son CPF à un autre titulaire de compte. Il s'agit là d'une mesure à la fois de justice et d'efficacité.

Une mesure de justice, car elle permettra de rompre avec l'inégalité de traitement entre, d'un côté, les salariés qui ont mobilisé leur CPF et, de l'autre, ceux qui n'ont pas eu besoin d'y avoir recours ; les seconds ne sont pas moins légitimes que les premiers à réclamer leur dû.

Une mesure d'efficacité, car le transfert des droits permettra à ceux qui en ont le plus besoin de disposer des financements nécessaires à leur formation. Je pense en particulier aux jeunes actifs, qui, par définition, thésaurisent moins de droits que leurs aînés dans les premiers temps de leur carrière. La Caisse des dépôts et consignations a rappelé, lors de son audition, que le coût d'une formation était d'environ 2 000 euros, ce qui représente quatre années d'accumulation de droits. Beaucoup de jeunes ne peuvent pas se permettre d'attendre autant de temps pour bénéficier d'une formation ; par exemple, dans beaucoup de territoires, il est nécessaire d'avoir le permis de conduire pour pouvoir trouver un emploi.

S'agissant du financement de cette mesure et, plus généralement, de celui du CPF, je dois admettre que les auditions que j'ai menées m'ont laissée perplexe.

D'un côté, chacun se félicite de la montée en puissance du CPF depuis 2019, d'ailleurs encouragée par le Gouvernement, mais, de l'autre, le succès du dispositif risque de le faire courir à sa perte. En effet, son financement repose sur un équilibre financier subtil : seules sont financées les formations sollicitées par les bénéficiaires d'un CPF. Autrement dit, les salariés ne disposent pas d'une cagnotte préfinancée et provisionnée auprès de la Caisse des dépôts et consignations, opérateur en charge du financement du CPF. Pourtant, le passage du décompte en heures au décompte en euros laisse entendre le contraire aux salariés. Est-ce à dire que le CPF ne serait qu'un droit en trompe-l'œil ?

Le risque d'insoutenabilité du dispositif est tel que certains envisagent d'ores et déjà sa régulation, pour ne pas dire sa limitation. Ticket modérateur, abaissement du montant de crédit incrémenté annuellement sur le compte des salariés, réduction du nombre de formations éligibles : les idées ne manquent pas pour réduire la portée de ce droit durement acquis par les salariés !

N'oublions pas non plus le rôle des entreprises dans le financement du dispositif. Si la contribution unique à la formation professionnelle et à l'alternance et la contribution supplémentaire à l'apprentissage ne suffisent certes pas à couvrir les besoins en trésorerie de France compétences, contrainte de souscrire des emprunts bancaires, les employeurs paient pour le CPF.

La formation des salariés ne peut pas être la variable d'ajustement des déficits publics. Je regrette, à ce titre, que l'étude d'impact de la loi de 2018 n'ait pas apporté plus d'éléments substantiels sur les effets macroéconomiques de la montée en charge du CPF. Pour l'heure, la prévision d'un financement de 2,2 milliards d'euros en 2021 concorde avec la réalité des faits, mais qu'en sera-t-il demain quand le CPF aura été plus largement déployé ? Allons-nous faire marche arrière et expliquer aux salariés que leur droit à la formation doit être sacrifié parce que nous n'avons pas su en anticiper le coût ? Nous ne pouvons nous y résoudre. Bien au contraire, par cette proposition de loi, nous faisons du CPF un droit plein et entier.

Le texte est bref. Nous n'avons pas voulu entrer dans les détails techniques car il s'agit avant tout de répondre à une question de principe : quel avenir souhaitons-nous, collectivement, pour le CPF ?

Sa concision est en outre un gage d'ouverture à la discussion. Je ne suis opposée a priori à aucun système de transfert. Nous pouvons tout à fait imaginer un système de solidarité intergénérationnel et intrafamilial, les parents transmettant directement leurs droits à leurs enfants. Nous pouvons aussi appliquer une logique de dons entre collègues, sur le modèle du don de jours de repos à un salarié parent d'enfant gravement malade ou proche aidant. Nous pouvons, de manière plus impersonnelle, créer au sein de chaque entreprise un fonds alimenté volontairement par les salariés et redistribué à ceux qui en ont le plus besoin. Bref, plusieurs options nous sont offertes.

En conclusion, la proposition de loi que je vous présente est, je le crois profondément, un texte humaniste – si vous me permettez de reprendre à mon compte un qualificatif employé lors des travaux préparatoires. Transférer les droits que l'on n'a pas utilisés à ceux qui en ont le plus besoin, voilà un beau geste de solidarité, que nous devrions promouvoir !

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