Intervention de élisabeth Borne

Réunion du mardi 26 octobre 2021 à 18h00
Commission des affaires sociales

élisabeth Borne, ministre :

Je commence en vous priant d'excuser, monsieur le rapporteur pour avis, le retard dans l'envoi des réponses préparées par les services. Il est vrai que le suivi des différentes étapes de l'élaboration du budget n'était pas aisé, avec une partie des crédits ouverts sur le budget du ministère et d'autres sur les missions Plan d'urgence face à la crise sanitaire et Plan de relance – ce qui renvoie aussi à un certain nombre de questions évoquant le fait que le budget du ministère baisserait.

En tout état de cause, le budget augmente de 3 % en AE, et si l'on compare entre 2020 et 2022, l'augmentation est de 1,5 milliard d'euros en AE et de 1 milliard d'euros en CP. Ces moyens sont à la hauteur des défis que rencontre notre pays et de la poursuite de l'accompagnement de tous vers l'emploi.

Des moyens considérables ont été consacrés au plan « 1 jeune, 1 solution » en 2020 et 2021, avec 9 milliards d'euros. Plus de 4 milliards d'euros sont d'ores et déjà prévus dans le PLF 2022. Par ailleurs, le Gouvernement présentera un amendement pour fixer les crédits du dispositif pour l'engagement des jeunes, auquel nous sommes en train de travailler à la demande du Président de la République. Grâce l'effort réalisé en 2020 et 2021, on peut dire que le plan a atteint ses objectifs. Le taux de chômage des jeunes est revenu à son niveau d'avant la crise. Leur taux d'emploi est légèrement plus élevé qu'en 2019. Pour mémoire, après la crise de 2008-2009, le taux de chômage en général avait augmenté de plus de 25 % et celui des jeunes de plus de 30 %. Cela montre l'efficacité du plan « 1 jeune, 1 solution ».

Pour autant, on ne peut se satisfaire ni du niveau de chômage des jeunes – qui est proche de 20 % – ni du nombre de NEET. C'est la raison pour laquelle nous avons maintenu toutes les solutions proposées par le plan « 1 jeune, 1 solution » dans le PLF 2022. Nous allons continuer à accompagner les jeunes, mais bien entendu cet accompagnement sera différent dans une période où sont créés de très nombreux emplois et où les entreprises sont confrontées à des difficultés de recrutement. L'aide à l'embauche des jeunes, comme celle qui avait été mise en place jusqu'à la fin du mois de mai dernier, n'est plus nécessaire.

Nous avons aussi recentré les contrats aidés sur ce qui est le plus efficace pour accompagner les jeunes en difficulté, c'est-à-dire les CIE. C'est un dispositif performant pour l'insertion dans le monde de l'entreprise des jeunes les plus éloignés de l'emploi. Le Gouvernement considère que ces emplois aidés doivent être qualitatifs, afin que leurs bénéficiaires soient accompagnés et bénéficient de formations. En 2021, nous avions augmenté de 60 000 le nombre des PEC, qui concernent les employeurs publics. Nous en revenons au niveau précédent, car l'objectif prioritaire est de permettre aux jeunes d'accéder à un emploi dans les entreprises, et non pas nécessairement chez des employeurs publics qui ne pourront pas leur offrir la suite de leur parcours professionnel.

L'objectif poursuivi au travers du revenu d'engagement ou du contrat d'engagement pour les jeunes est bien qualitatif. Malgré la reprise économique, un certain nombre d'entre eux sont éloignés de l'emploi et ne pourront pas bénéficier des créations d'emplois sans un accompagnement renforcé.

Pour répondre au rapporteur pour avis, la garantie jeunes est un dispositif qui fonctionne bien, mais je pense que nous pouvons faire mieux. Par-delà l'atout indéniable que constitue le fait pour le jeune de pouvoir passer six semaines en mission locale en venant chaque jour, on doit pouvoir mieux mobiliser les différences réponses bâties dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution ». Cela permettra d'aider les jeunes qui n'ont pas encore de projet professionnel élaboré à choisir un métier et à accéder, s'ils en ont besoin, à une formation ou un apprentissage. Ce qui peut supposer, le cas échéant, qu'ils bénéficient des dispositifs de préparation à l'apprentissage ou de préparation à la formation professionnelle qui ont été développés récemment. Tout cela doit être géré de manière fluide pour le jeune, et tel est bien le travail en cours pour renforcer l'accompagnement des jeunes.

Pour l'année 2021, on tend vers les 200 000 garanties jeunes qui avaient été prévues. Je ne suis pas certaine que nous atteindrons cet objectif. Certains prônent plusieurs centaines de milliers de garanties jeunes en plus, mais ce n'est pas qu'une question de chiffres : il s'agit de s'assurer que les jeunes qui se rendent dans les missions locales ou à Pôle emploi obtiennent l'accompagnement qui leur permet d'accéder à un emploi. C'est sur cela qu'il faut mettre l'accent.

Il faut par ailleurs renforcer toutes les démarches d'« aller vers », parce qu'il y a encore des jeunes qui ne se tournent pas naturellement vers les missions locales ou Pôle Emploi. C'est notre deuxième défi. Des expérimentations très intéressantes ont déjà pu être menées, notamment grâce aux appels à projet « 100 % inclusion » et de repérage des publics « invisibles ». Il faut désormais passer à une plus grande échelle, ce qui ne pourra être fait qu'en étroite collaboration avec les collectivités locales.

Notre intention est, d'une part, d'améliorer l'efficacité et la fluidité des parcours qu'on peut proposer aux jeunes qui, malgré la reprise économique, ne trouveront pas d'emploi et, d'autre part, de renforcer tous les dispositifs qui permettent d'aller chercher les jeunes qui ne sollicitent pas d'aide. Certains d'entre eux peuvent manifester une certaine méfiance à l'égard de l'ensemble des institutions.

J'entends les questions sur l'articulation entre les missions locales et Pôle emploi, mais la situation s'est améliorée. Nous avons choisi de leur donner des objectifs partagés et la coopération est très bonne, même si l'on peut bien entendu encore progresser. L'époque des oppositions est révolue et la réussite du plan « 1 jeune, 1 solution » doit beaucoup à la mobilisation de tous.

Le PIC a été évoqué par le rapporteur pour avis et par Michèle de Vaucouleurs. Malgré la crise qui a affecté un certain nombre de dispositifs de formation, nous avons réussi à passer d'un chômeur sur dix formé à un sur six en 2021. Si l'on ajoute les crédits des missions Travail et emploi et Plan de relance, 3,6 milliards d'euros sont prévus en AE et 2,6 milliard d'euros en CP. Il faut y ajouter les crédits prévus dans le cadre du plan de relance pour les 100 000 formations qualifiantes dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution ». On devrait atteindre 1,3 million de demandeurs d'emploi formés en 2021 et passer à 1,4 million l'an prochain avec le plan de lutte contre les tensions de recrutement. Dit autrement, les entrées en formation se situent un peu au-dessus d'1 million à la fin septembre, contre 1,1 million au cours de l'année 2020. On accélère donc vraiment grâce au PIC. C'est un acquis très important, comme l'ont relevé les préfets de région et les acteurs du service public de l'emploi réunis hier par le Premier ministre.

Grâce au PIC, nous pourrons également sortir du paradoxe que l'on connaît depuis des décennies dans notre pays : dès que l'économie repart, des tensions de recrutement apparaissent dans de nombreux secteurs, alors même que le nombre de demandeurs d'emploi reste élevé. La solution consiste évidemment à permettre à ces derniers d'accéder à une formation en lien avec les métiers qui recrutent.

Monsieur Da Silva, lorsque l'on s'adresse à des demandeurs d'emploi de longue durée, il est en effet nécessaire de leur proposer aussi des formations courtes, sur mesure, de nature à les replonger rapidement dans un univers professionnel et qui correspondent aux besoins des entreprises. Toute une partie du plan de lutte contre les tensions de recrutement va développer ces formations courtes en situation de travail, grâce aux préparations opérationnelles à l'emploi, qui articulent promesse d'embauche et formation.

Comme j'ai eu l'occasion de le dire lors des questions au Gouvernement, il est en outre prévu une aide de 8 000 euros pour les besoins de formations plus longues, qui entrera en vigueur à partir du 1er novembre pour les entreprises qui recrutent en contrat de professionnalisation un demandeur d'emploi de longue durée. C'est une transposition aux chômeurs de longue durée du dispositif prévu pour les formations en alternance pour les jeunes.

Nous pouvons tous saluer le record historique atteint en 2020 pour l'apprentissage, et nous sommes bien partis pour le dépasser de nouveau en 2021. Je partage les interrogations sur la part relative des formations de niveau infra bac, bac et bac +2. C'est la raison pour laquelle, avec Frédérique Vidal, nous avons demandé un rapport conjoint à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et à l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR). Il permettra de mieux comprendre les effets du financement de l'apprentissage pour les écoles et les universités, et de s'assurer que les ressources sont utilisées au mieux.

Ce dont je suis certaine, c'est qu'il faudra continuer à amplifier l'effort pour attirer des jeunes vers les métiers manuels de l'artisanat, de l'industrie et du bâtiment, qui restent insuffisamment connus. Avec les branches professionnelles concernées et avec les régions, en charge de l'orientation, il faut donner envie aux jeunes d'aller vers ces métiers pour lesquels l'apprentissage est une voie d'accès quasi exclusive.

Les aides exceptionnelles ont certainement donné un coup de fouet à l'apprentissage, mais il ne faut pas sous-estimer l'efficacité de la réforme de 2018. Un directeur de centre de formation d'apprentis (CFA) peut désormais faire évoluer les formations pour répondre aux besoins des entreprises locales et adapter la pédagogie à des profils très différents – allant de jeunes qui sortent du collège à d'autres qui ont éventuellement un diplôme de l'enseignement supérieur. Je suis convaincue que les entreprises qui ont découvert l'apprentissage grâce aux aides exceptionnelles prendront goût à ce dispositif, qui leur permet de préparer les compétences dont elles ont besoin.

La coopération avec les régions existe dans le cadre des pactes régionaux d'investissement dans les compétences, auxquels les crédits supplémentaires dont nous avons récemment décidé l'allocation doivent nous permettre de faire de nouveaux avenants. Nous sommes d'accord avec les présidents de région quant à la nécessité d'une jonction optimale entre l'État, les régions et Pôle emploi pour créer de véritables task forces garantissant que les formations proposées de manière individuelle par Pôle emploi s'articulent bien avec celles que proposent les régions et que les missions locales et Pôle emploi mobilisent les jeunes et les demandeurs d'emploi pour suivre ces formations. J'y reviendrai dans le cadre d'un prochain comité État-régions relatif à ces sujets.

Répondre aux besoins des entreprises et amener vers l'emploi l'ensemble de nos concitoyens supposent d'œuvrer avec les intercommunalités, pour repérer les jeunes les plus éloignés de l'emploi, avec les départements, dont plus de quatre-vingts vont être concernés par le déploiement du service public de l'insertion et de l'emploi, et avec les régions, pour ce qui concerne la formation des demandeurs d'emploi.

Monsieur Cherpion, la lutte contre le travail illégal ne correspond pas à une ligne de crédits, mais elle est au cœur de la mission de l'inspection du travail, dont l'objectif est de procéder à 20 000 contrôles ciblés sur ces sujets. Quant au contrat de sécurisation professionnelle, financé par l'Unédic, il ne fait pas non plus l'objet de crédits dans le budget du ministère du travail. Nous finançons les cellules d'appui à la sécurisation professionnelle, en amont du reclassement des salariés.

Je ne sais s'il faut rouvrir le débat sur la réforme de l'assurance chômage, mais je ne peux laisser dire que nous ferions des économies sur le dos des chômeurs. Nous avons prolongé les droits des demandeurs d'emploi pendant huit mois, pour 3,7 milliards d'euros, et accompagné 600 000 travailleurs précaires pendant dix mois par une aide exceptionnelle leur garantissant un revenu de 900 euros mensuels. Notre objectif est de profiter de la reprise économique pour leur permettre d'accéder à l'emploi. Tous les dispositifs dont je viens de parler, du plan d'investissement dans les compétences au plan pour réduire les tensions de recrutement, apportent la meilleure solution qui soit pour un demandeur d'emploi : la possibilité de retrouver un travail.

S'agissant des cas pratiques, madame Dupont, mes services se tiennent à votre disposition pour vous en fournir. En tout cas, nous proposons un accompagnement entièrement inédit. Ainsi, Pôle emploi recontactera tous les demandeurs d'emploi de longue durée d'ici à la fin de l'année pour leur offrir un accompagnement adapté – notamment face à des problèmes de santé, grâce à une prestation spécifique –, des immersions en entreprise, des formations sur mesure en entreprise ou en alternance, ou d'autres formations dans le cadre du PIC et des PRIC.

Contrairement à ce que l'on entend parfois, le montant global des droits des demandeurs d'emploi ne change pas : ceux qui auront une allocation moins élevée la toucheront plus longtemps et pourront être accompagnés plus longtemps, ce qui leur permettra d'actualiser leur projet professionnel le cas échéant.

Par ailleurs, les périodes de restrictions sanitaires sont neutralisées dans le mode de calcul de l'allocation chômage. Ainsi, non seulement le nouveau mode de calcul ne s'applique qu'aux nouveaux demandeurs d'emploi, mais, en vertu de cette neutralisation, il n'entrera en vigueur que très progressivement.

Comme le Premier ministre s'y est engagé, nous allons installer un comité de suivi de la réforme, en lien avec les partenaires sociaux. Nous pourrons également vous rendre compte de l'application de la réforme au fur et à mesure de sa mise en œuvre.

S'agissant des tensions de recrutement, vous aurez compris que nous mobilisons les moyens nécessaires aux formations en entreprise, qu'elles soient courtes ou plus longues dans le cadre de contrats de professionnalisation. Ces tensions peuvent aussi être liées à un problème d'attractivité des métiers. Nous en discutons avec cinquante-sept branches qui réunissent les travailleurs de deuxième ligne et les branches dont les minima étaient inférieurs au SMIC au 1er octobre. Ces employeurs comprennent qu'ils doivent rendre les emplois plus attractifs : selon les dernières enquêtes de Pôle emploi, un nombre significatif de ceux qui subissaient des tensions de recrutement ont ajusté la rémunération ou les conditions de travail qu'ils proposent. Il importe que nous avancions sur cette voie ; je pense notamment au secteur des hôtels, cafés, restaurants, pour lequel des négociations sont engagées.

En ce qui concerne les maisons de l'emploi, dispositif auquel je sais votre commission et l'ensemble du Parlement très attachés, je ne serai pas surprise qu'elles fassent l'objet d'amendements, auxquels nous pourrons, comme chaque année, être favorables.

Madame Verdier-Jouclas, je vous confirme que nous déposerons bien l'amendement dont vous parlez au sujet des EITI. Nous allons par ailleurs neutraliser la part de financement sur objectif des missions locales, comme l'an dernier, car la contractualisation avec les missions locales, dans le cadre de nos travaux visant à améliorer l'accompagnement des jeunes, ne doit pas reposer sur des objectifs quantitatifs. Ce n'est pas, selon elles, le bon mode de pilotage ; il convient bien plutôt de nous assurer qu'elles proposent aux jeunes les parcours les plus efficaces vers l'emploi.

L'an dernier, un million de Français ont utilisé leur CPF ; les chiffres devraient être encore plus spectaculaires cette année. Cela dit, nous considérons avec les partenaires sociaux qu'il est nécessaire de vérifier que la mobilisation du CPF profite bien aux salariés, en leur permettant de développer leurs compétences dans le cadre de leur projet professionnel. Outre le CPF, il faut donc promouvoir le conseil en évolution professionnelle (CEP), un dispositif formidable, mais moins connu. L'articulation entre les deux fait partie des sujets à propos desquels nous pourrons tomber d'accord avec les partenaires sociaux.

Madame Limon, ce n'est pas la nature de l'établissement qui peut constituer un frein, mais tel ou tel métier qui est considéré comme à risque, donc réservé aux adultes. Rien ne doit en revanche s'opposer à ce qu'un apprenti suive son apprentissage dans un établissement. Nous allons réinterroger nos services à partir du cas précis que vous signalez.

Madame Parmentier-Lecocq, si nous devons faire mieux en matière d'entrée des jeunes dans la vie active, il en va de même lorsqu'il s'agit de maintenir les seniors dans l'emploi. Le taux d'emploi des 55-64 ans en France est de plus de six points inférieur à la moyenne des pays européens. Cela engage notre compétitivité, l'équilibre de notre protection sociale et notre capacité à tirer parti de l'expérience de nos salariés. Pour progresser en ce domaine – ce à quoi le Parlement a également travaillé –, il nous faut mobiliser tous les leviers à notre disposition : les incitations à la représentation des seniors dans l'emploi, la prévention de l'usure professionnelle, la formation tout au long de la vie – il n'est pas rare que l'on reproche soudain à une personne de 55 ans n'ayant jamais bénéficié d'une formation professionnelle de ne plus avoir les compétences nécessaires pour son poste.

Je vous confirme enfin que le déficit de France compétences s'aggrave en contrepartie des bonnes nouvelles concernant l'apprentissage et la mobilisation du CPF. Son résultat prévisionnel initial, de moins 1,1 milliard, a ainsi été réévalué en juin pour aboutir à un déficit d'un peu plus de 3 milliards. Nous n'avons pas prévu de crédits à son profit dans le PLF 2022, mais le Gouvernement prendra ses responsabilités en assurant son financement dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2021. Pour la suite, il faudra en discuter avec les partenaires sociaux. En effet, si une partie du déficit est liée à la baisse, en raison de la crise, de la contribution unique à la formation professionnelle et à l'alternance, assise sur la masse salariale, le succès des dispositifs financés par France compétences soulève la question de l'équilibre à long terme de cet opérateur.

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