La discussion du PLF 2022 intervient dans un contexte heureusement différent de celui de 2021, et marqué par une amélioration de la situation économique. Si nous pouvons nous en réjouir, nous devons redoubler d'efforts pour améliorer la situation de nos concitoyens les plus fragiles, objectif que nous poursuivons sans relâche depuis le début du quinquennat.
La mission Solidarité, insertion et égalité des chances est celle dont les crédits ont le plus augmenté depuis cinq ans, passant de 19,7 milliards d'euros en 2017 à 27,6 milliards en 2022, soit une augmentation de 50 % : c'est considérable et à la hauteur des enjeux.
Une nouvelle fois, l'évolution du budget est dynamique, avec des crédits de 27,9 milliards d'euros en AE et 27,6 milliards d'euros en CP.
Le programme 304 Inclusion sociale et protection des personnes augmente de 6,08 %. Le soutien à la prime d'activité, qui bénéficie aujourd'hui à 4 300 000 foyers, achève sa montée en charge après la revalorisation importante opérée en 2019. L'inscription de 565 millions d'euros au titre des crédits alloués à l'expérimentation de la recentralisation du RSA pour les départements volontaires prend en compte la participation nouvelle de la Seine‑Saint‑Denis. Les efforts en faveur de la stratégie de prévention et de protection de l'enfance 2020-2022 et de celle de prévention et de lutte contre la pauvreté se poursuivent. Ces stratégies de réduction des inégalités reposent sur une méthode de contractualisation entre l'État et les départements.
D'autres mesures fortes de justice sociale sont prises hors du cadre contractuel, en particulier la tarification sociale des cantines et le petit déjeuner à l'école, qui bénéficient respectivement de 19 millions et 28 millions d'euros supplémentaires en 2022.
Le programme 157 Handicap et dépendance met, comme en 2021, l'accent sur l'accès et sur le retour durable dans l'emploi des personnes en situation de handicap, en consacrant un investissement important aux aides aux postes et à l'emploi accompagné.
Il traduit également une réforme majeure de l'AAH pour les bénéficiaires en couple : l'article 43 du PLF prévoit ainsi de remplacer l'abattement proportionnel applicable sur les revenus du conjoint par un abattement de 5 000 euros, auquel s'ajoute un abattement supplémentaire de 1 100 euros par enfant. Cette réforme permettra aux bénéficiaires en couple et ne travaillant pas de percevoir une allocation à taux plein lorsque leur conjoint perçoit jusqu'à un SMIC. Au total, ce sont 60 % des 150 000 couples dont le bénéficiaire de l'AAH est inactif qui percevront cette allocation à taux plein.
Sous ce quinquennat, l'AAH aura connu une revalorisation sans précédent : de 819 euros en 2018, son montant mensuel à taux plein est passé à 904 euros aujourd'hui. Cette mesure a bénéficié à plus de 1 200 000 de nos concitoyens.
Le programme 137 Égalité entre les femmes et les hommes connaît, lui aussi, une augmentation importante, de 21 % supérieure à l'année précédente. La protection des femmes contre les violences tient une place centrale dans le budget pour 2022, qui consacre à cette politique plus de 8 millions d'euros supplémentaires. Citons l'investissement dans les lieux d'écoute, d'accueil et d'orientation (LEAO) et les accueils de jour ; la poursuite du déploiement de la plateforme d'écoute téléphonique pour les femmes victimes de violences, le 3919, ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, avec une meilleure accessibilité aux femmes des territoires ultramarins et aux femmes en situation de handicap ; le développement de la mise en sécurité des victimes dans les situations d'urgence ; la montée en charge des trente CPCA désormais en activité, ainsi que l'accent mis sur la lutte contre la prostitution.
La partie thématique de mon rapport pour avis porte sur l'accompagnement des jeunes majeurs vulnérables. Cette question, qui me tient particulièrement à cœur, a fait l'objet de différents travaux mobilisant plusieurs députées de la commission : Fiona Lazaar, notre ancienne collègue Brigitte Bourguignon, Monique Limon, Bénédicte Pételle, Michèle Peyron et Perrine Goulet.
J'ai choisi de considérer comme étant de jeunes majeurs vulnérables, non seulement ceux qui sortent du dispositif de prise en charge par les services de la protection de l'enfance, mais aussi ceux qui n'ont pas été pris en charge par ces services, mais sont confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre.
Ces jeunes cumulent les vulnérabilités : à la fragilité de leurs liens familiaux et amicaux s'ajoutent souvent d'importantes difficultés pour trouver un logement stable et autonome – environ une personne sans domicile fixe sur quatre serait issue de l'aide sociale à l'enfance (ASE) –, l'éloignement de l'emploi et des études supérieures, ainsi que la récurrence des situations de handicap et de souffrance psychique : 25 % à 30 % des enfants faisant l'objet d'un placement sont en situation de handicap, principalement psychique ou lié à des troubles neurocomportementaux.
Les réponses apportées à ces problèmes paraissent insuffisantes. D'une part, ces jeunes subissent de manière récurrente une forte injonction à l'autonomie, qui les pousse à devenir indépendants bien avant les autres, alors même qu'ils disposent de ressources financières et familiales moindres. D'autre part, la prise en charge proposée est inégale selon les territoires, puisque le contrat jeune majeur, qui permet à son bénéficiaire d'être suivi jusqu'à ses 21 ans par les services de l'ASE, fait l'objet d'une application à géométrie variable d'un département à l'autre. Je salue les importants chantiers engagés par le Gouvernement pour améliorer l'accompagnement des jeunes majeurs vulnérables, tout en proposant, à l'issue des auditions que j'ai menées, d'aller encore plus loin.
Le manque de coordination entre les acteurs chargés de l'accompagnement global des jeunes vers l'emploi et l'autonomie – services de l'ASE, protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), missions locales, Pôle emploi et associations – est constaté depuis longtemps. Le Gouvernement s'est efforcé d'y remédier. Ainsi, la contractualisation entre l'État et les départements vise à lutter contre les sorties sèches de l'ASE. L'accord-cadre signé en novembre 2020 par l'Union nationale des missions locales, l'Union nationale pour l'habitat des jeunes et la Convention nationale des associations de protection de l'enfant va également dans ce sens.
La poursuite du décloisonnement des différents outils de la politique d'aide aux jeunes majeurs me semble constituer la principale priorité. Cela passe par la connaissance de chaque acteur, par une meilleure coordination entre les uns et les autres et par l'amélioration de l'interopérabilité entre les services. Les auditions ont permis de mettre en évidence le rôle que peut jouer le service public de l'insertion et de l'emploi (SPIE) en la matière. Au-delà de la coopération entre services, il apparaît essentiel d'assurer un pilotage visant à la cohérence, mais aussi au suivi et à l'évaluation de l'accompagnement proposé au jeune. Ce pilotage pourrait d'ailleurs être confié aux commissaires à la lutte contre la pauvreté, que je propose de renommer « commissaires à l'égalité des chances ».
Il faut parfaire le dispositif d'accompagnement des jeunes majeurs vulnérables prévu dans le projet de loi relatif à la protection des enfants, défendu par le secrétaire d'État Adrien Taquet. Ce texte comporte une mesure particulièrement ambitieuse : la prise en charge systématique, à titre temporaire, des jeunes majeurs âgés de moins de 21 ans qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisant, lorsqu'ils ont été confiés à l'aide sociale à l'enfance avant leur majorité et souhaitent que cette prise en charge se poursuive. Il est également prévu que soit proposé systématiquement aux anciens mineurs de l'ASE un contrat jeune majeur ou une entrée en garantie jeunes à ceux qui ont besoin d'un accompagnement, ne poursuivent pas leurs études et remplissent les conditions de droit commun d'accès aux dispositifs.
Il me semble essentiel d'ouvrir cet accompagnement aux jeunes n'ayant pas été pris en charge par les dispositifs de l'aide sociale à l'enfance mais qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale, faute de ressources ou d'un soutien familial suffisant. Il est également souhaitable d'ouvrir cet accompagnement à tous les jeunes majeurs issus des dispositifs de la PJJ, qui connaissent la plupart du temps les mêmes vulnérabilités que le public de l'ASE. Afin de mettre fin à l'importante injonction à l'autonomie, dont les effets sont délétères, je propose d'expliciter la possibilité d'un droit au retour dans un dispositif d'accompagnement.
La prise en charge des anciens mineurs non accompagnés (MNA) doit également être améliorée. Il convient d'abord de saluer la prise en compte du nombre de majeurs de moins de 21 ans anciennement MNA pris en charge au titre de l'ASE dans les critères retenus pour établir la clef de répartition des mineurs non accompagnés entre départements. Néanmoins, les acteurs regrettent depuis longtemps l'insuffisante anticipation et l'absence de suivi de la régularisation des conditions de séjour des MNA. Cette question, à l'origine de ruptures dans le parcours d'insertion des anciens MNA, constitue également un problème pour les entreprises, qui se trouvent régulièrement dans l'incapacité d'embaucher ces jeunes lorsque leur situation n'est pas en règle ; parfois aussi, les contrats d'apprentissage sont interrompus du jour au lendemain.
À cet égard, comment les services mettent-ils en œuvre l'instruction, signée en septembre 2020 par le ministre de l'intérieur, relative à l'examen anticipé des demandes de titre de séjour des mineurs étrangers confiés au service départemental de l'ASE ?
Nous proposons d'améliorer la gouvernance territoriale de l'aide aux jeunes majeurs prévue dans le projet de loi en associant la direction territoriale de la PJJ. Nous préconisons également de créer une commission jeunes majeurs vulnérables dans chaque territoire.
Par ailleurs, il est indispensable de développer une offre d'hébergement diverse, permettant au jeune de choisir son logement en fonction son degré d'autonomie.
Enfin, nous devons prendre des mesures fortes pour mieux prendre en compte la situation des jeunes majeurs vulnérables handicapés et celle des jeunes en souffrance psychique. S'agissant des jeunes présentant cette double vulnérabilité, quelle coopération existe entre les travailleurs sociaux, les conseillers en insertion et les experts du secteur médico-social, et qu'en est-il de leur formation ?
Le projet de loi relatif à la protection des enfants, en cours d'examen au Sénat, nous promet des débats passionnants.
En attendant, j'émets un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances.