Intervention de Valérie Delahaye-Guillocheau

Réunion du mercredi 1er décembre 2021 à 9h35
Commission des affaires sociales

Valérie Delahaye-Guillocheau :

C'est un grand honneur que de me présenter devant votre commission dans le cadre de la procédure de nomination pour la présidence du conseil d'administration de l'ANSM pour laquelle j'ai été pressentie.

Le rôle des assemblées parlementaires dans cette procédure traduit l'enjeu de transparence vis-à-vis du citoyen et de sa représentation nationale.

La dominante de mon parcours professionnel depuis près de trente-cinq ans est l'engagement au service des politiques sociales et des ministères sociaux : j'en ai gravi les échelons depuis mon arrivée en 1987 au ministère chargé de la santé.

La première partie de ma carrière, dans les années 1990-2000, a été très axée sur le champ de l'offre de soin au sein de ce qui est devenu la direction générale de l'offre de soins (DGOS), en deux périodes entrecoupées par ma mobilité à la Cour des comptes.

J'ai tout particulièrement suivi les dépenses hospitalières et le déploiement de la dotation globale à la fin des années 1980 dans les établissements publics de santé, puis les grandes réformes du milieu des années 1990 : les ordonnances de 1996, la création de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, le transfert des compétences tarifaires des cliniques à l'État et la création des agences régionales de l'hospitalisation, ancêtres des agences régionales de santé (ARS).

J'ai ensuite intégré l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) en 2001. J'y suis restée pendant près de dix ans, période durant laquelle j'ai participé à de nombreuses missions de contrôle ou d'audit, parfois conjointement avec d'autres inspections générales, dans de nombreux champs de la sphère sociale.

J'ai ensuite été nommée cheffe de service à la direction générale du travail, en 2010, ce qui m'a conduit à étendre mon champ de compétences dans la sphère travail et emploi, au cours d'une période majeure pour la politique du travail, avec notamment la réforme de la représentativité syndicale et patronale.

Au terme de ces quatre années j'ai été nommée directrice des finances, des achats et des services au sein du secrétariat général des ministères sociaux, poste que j'ai occupé pendant près de sept ans. Outre des fonctions budgétaires et financières, j'ai été responsable des programmes soutien des ministères sociaux, de la masse salariale et du pilotage des moyens de fonctionnement des ARS. J'ai été référent financier ministériel sur l'ensemble des missions de la loi de finances dans le champ social.

Sous l'égide du secrétariat général, j'ai participé à des chantiers importants sur la réforme territoriale de l'État et mesuré leur impact sur les services déconcentrés des ministères sociaux : la fusion des grandes régions en 2016, la partition jeunesse et sports et la création des directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités en 2021, à partir des anciennes directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi.

Depuis le mois de mai 2021, j'ai été nommée conseillère d'État en service extraordinaire au sein de la section sociale, en cohérence avec mon parcours dans les divers ministères sociaux.

Toutes ces fonctions et missions m'ont permis d'acquérir une très bonne connaissance de l'ensemble des acteurs et des parties prenantes du système de santé au sens large, qu'ils soient nationaux ou territoriaux.

J'ai également acquis des compétences managériales éprouvées, une expertise en matière de finances publiques et une vision d'ensemble des programmes budgétaires des ministères sociaux. J'ai toujours été amenée à dialoguer, à écouter et à travailler avec des experts scientifiques et techniques, professionnels de santé, professeurs d'université, directeurs d'hôpitaux et ingénieurs sanitaires.

La pluridisciplinarité est fondamentale dans cet univers, et j'y suis très attachée dans ma pratique professionnelle. J'ai ainsi effectué de nombreuses missions pour le compte de l'IGAS avec d'autres inspections comme l'Inspection générale des finances (IGF), l'Inspection générale de l'administration ou l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche.

S'agissant de ma connaissance de l'ANSM, j'ai participé en 2002 à la mission de contrôle conjointe IGAS-IGF sur l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Depuis, l'agence s'est profondément transformée et a acquis une maturité qu'elle ne possédait pas alors. Certains diagnostics établis à l'époque ont été largement corrigés et des réformes majeures sont intervenues : la loi du 29 décembre 2011 l'a notamment fortement transformée.

Dans mes fonctions de directrice des finances au secrétariat général des ministères sociaux, et jusqu'au basculement du financement de l'ANSM par des crédits assurance maladie en 2020, j'avais naturellement une vision globale du programme budgétaire de la direction générale de la santé qui comportait la subvention à l'ANSM.

J'ai également eu à connaître, dans le cadre de ces fonctions, des sujets immobiliers des agences sanitaires, et notamment de l'ANSM, dont j'ai une connaissance globale et externe. Si ma nomination est confirmée, il va de soi que mes premiers mois seront dédiés à une prise de connaissance approfondie de l'agence et de ses équipes, autour de sa directrice générale, ainsi qu'à des échanges avec chacun des membres du conseil d'administration, par ailleurs en cours de renouvellement, avec le président du conseil scientifique et plus largement avec les représentants des professionnels de santé et des usagers mais aussi avec des acteurs de l'écosystème des produits de santé et des médicaments comme la Haute Autorité de santé (HAS) et la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM).

J'en viens aux enjeux qui s'imposent à l'agence dans les années à venir, dont certains figurent dans le contrat d'objectifs et de performance (COP) pour les années 2019 à 2023, qui a certes été signé avant la crise du covid mais dont les quatre axes restent toujours valides.

Ce COP s'inscrit lui-même dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie nationale de santé définie pour la période 2018-2022 et répond à un des engagements prioritaires du Gouvernement : favoriser la qualité et replacer le patient au cœur du soin.

Tout d'abord, et telle que l'a voulu la loi de décembre 2011, l'agence est garante de la sécurité sanitaire des patients exposés aux produits de santé et dispose de pouvoirs de police sanitaire propres. Elle doit conduire cette mission en permettant l'accès à l'innovation en santé pour que les professionnels de santé et les patients disposent de la meilleure prise en charge thérapeutique possible. Il faut également avoir à l'esprit que le cadrage européen de ses missions est fort, qu'il s'agisse des médicaments, des dispositifs médicaux ou des essais cliniques.

Le premier enjeu majeur est bien évidemment la gestion de la crise du covid : l'ANSM a été très mobilisée au cours de vingt derniers mois et le reste au titre du déploiement de la vaccination mais aussi à celui des traitements médicamenteux de la maladie, des tests diagnostiques et de la couverture des besoins sanitaires tant en médicaments qu'en dispositifs médicaux ou de diagnostics in vitro. La capacité de l'agence à être au rendez-vous de la gestion de cette pandémie exceptionnelle, en lien étroit avec les autorités européennes, est une performance majeure qu'il faut saluer.

La situation épidémique actuelle, avec la cinquième vague qui déferle sur l'Europe, ainsi que les derniers éléments relatifs à un nouveau variant, doivent conduire l'agence à rester très mobilisée et surtout très réactive.

La poursuite de la vaccination, avec les toutes dernières recommandations du Gouvernement sur la troisième dose de rappel, et la question de la vaccination des enfants continueront à mobiliser l'agence aux différentes phases de la vie des vaccins : autorisation, contrôle et libération de lots, surveillance.

Les nouveaux traitements médicamenteux, avec les anticorps monoclonaux notamment, constituent également un point majeur, avec des questions d'autorisation, de suivi d'essais cliniques, d'accès précoce le cas échéant et de disponibilité des traitements après autorisation puis de surveillance.

La couverture des besoins sanitaires en dispositifs médicaux et en dispositifs de diagnostics in vitro est également un enjeu d'importance. L'information très régulière et sa diffusion sont également capitales.

Le deuxième enjeu majeur est l'ouverture de l'agence aux parties prenantes et une meilleure transparence de son action. Dans le prolongement des crises passées, ses relations avec les représentants des usagers et les professionnels de santé revêtent une importance majeure. C'est d'ailleurs l'un des axes stratégiques de son COP.

L'agence a impulsé un certain nombre de démarches allant assurément dans le bon sens : auditions publiques, association des usagers aux comités scientifiques permanents ou temporaires, communication accrue et plus grande visibilité, comme en témoigne son nouveau site internet développé en open data.

Il faudra naturellement amplifier cette démarche dans le temps car c'est un axe majeur de sa crédibilité, et plus largement de la confiance des citoyens dans le système de gestion des produits de santé.

Le troisième enjeu majeur tient dans la place de l'agence dans les procédures centralisées sous l'égide de l'Agence européenne des médicaments (EMA) au sein de l'Union européenne, place dont on lui a longtemps reproché l'insuffisance au sein du concert des agences des médicaments des États membres. Cette situation a été corrigée au cours des dernières années. Pendant la crise du covid, elle a ainsi été corapporteure pour le vaccin Comirnaty de Pfizer-BioNTech.

Cette stratégie de présence forte doit être poursuivie et amplifiée – notamment dans ses domaines d'excellence : oncologie, hématologie et immunologie – que ce soit au stade des essais cliniques ou de l'autorisation de mise sur le marché (AMM).

Quatrième enjeu majeur : l'innovation en santé, et plus particulièrement en matière de médicament, dont l'importance a été rappelée par le Président de la République dans le cadre du plan Innovation santé 2030 lancé au mois de juin dernier avec 7 milliards d'euros dédiés. L'accès à l'innovation est déterminant en termes de santé publique pour les patients français.

Dans le cadre de ce plan, l'agence est attendue. La France doit ainsi devenir leader en matière d'essais cliniques au niveau européen. Elle occupe déjà une place reconnue dans certaines familles d'essais.

L'accès le plus rapide aux médicaments pour les patients, sans négliger la sécurité, est également un enjeu fort.

Les dispositions prises dans les diverses lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) depuis 2020 y concourent, avec notamment la réforme des autorisations temporaires d'utilisation et des recommandations temporaire d'utilisation et le nouveau dispositif de l'accès précoce et compassionnel.

Cinquième enjeu : la rupture de stocks de médicaments d'intérêt majeur et les questions de souveraineté, sujets qui ont pris une importance majeure au cours des dernières années, amplifiée par la crise du covid. Elles comportent une dimension de politique industrielle avec les questions complexes liées à la relocalisation nationale ou européenne qui dépassent le champ strict des compétences de l'agence.

S'agissant de ces dernières, de nombreuses mesures législatives et réglementaires ont été adoptées également dans les LFSS depuis 2020 afin d'amplifier et de compléter le dispositif notamment pour les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur mais aussi, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022, pour certains dispositifs médicaux et de diagnostic in vitro qualifiés d'indispensables.

L'agence joue donc un rôle majeur en ce domaine pour anticiper au mieux les risques de tension ou de rupture et trouver des solutions, en collaboration étroite avec les professionnels de santé et les associations de patients.

Sixième axe : le déploiement en 2022 de certains nouveaux règlements européens portant notamment à partir du mois de janvier sur les essais cliniques et à compter du mois de juin sur les dispositifs de diagnostic in vitro. La capacité de l'agence à s'inscrire pleinement dans un tel mouvement est importante. La prochaine présidence française de l'Union européenne au mois de janvier prochain sera d'ailleurs l'occasion de nombreux événements dans la sphère de l'ANSM.

J'en viens enfin au positionnement du président du conseil d'administration (CA) – et aux attentes relatives à sa mission – par rapport à la directrice générale et à son équipe qui dirigent l'agence. Ledit président ne détient pas, en effet, un mandat exécutif.

Tout d'abord, un bon fonctionnement du CA est nécessaire : il faut y faire vivre les différentes catégories d'administrateurs, veiller au dialogue et à la qualité des débats et bien articuler son rôle avec celui du conseil scientifique.

De par les textes, le CA a un rôle de vision stratégique et d'anticipation de la politique de l'agence, ce qui se traduit par le suivi de l'exécution du COP pour les deux années restant à courir – l'année 2023 devant être dédiée au bilan et à la préparation d'un nouveau COP – ainsi que par l'examen annuel du programme de travail pour s'assurer de la cohérence et de la bonne priorisation des actions. Le conseil d'administration doit donc veiller à disposer d'outils de pilotage et d'éclairage pertinents, avec des tableaux de bord et des indicateurs appropriés. La question de l'adéquation entre les missions et les moyens de l'agence sera l'un de ses sujets majeurs. Elle s'incarne évidemment dans le vote du budget, dont la présentation doit être sincère.

Il s'agit, non pas d'ignorer les enjeux d'efficience et de maîtrise de la dépense publique, qui s'appliquent aux opérateurs de l'État, mais d'être attentif aux ressources humaines de l'agence, sa production étant pour l'essentiel des expertises reposant sur un peu moins de 1 000 agents aux compétences rares. Il est capital, selon moi, de pouvoir disposer dans la durée d'une ressource humaine qualitative et quantitative pour mener à bien les différentes missions.

La maîtrise et la gestion des risques sont aujourd'hui clairement dans l'ADN de l'agence. Le CA doit veiller à la bonne actualisation de cette cartographie des risques et au bon déploiement du contrôle interne dans toutes les composantes de l'agence.

La sécurité juridique, enfin, est du ressort du CA. Il traitera des questions de déontologie et veillera à la publication des déclarations publiques d'intérêts et à la transparence sur les éventuels liens d'intérêts car cette dimension sous-tend la crédibilité et l'impartialité de l'action de l'agence.

Au-delà de tous ces axes forts, le président du CA est plus largement un go between entre l'équipe de direction générale, les ministères de tutelle et peut, le cas échéant, être un relais ou un appui sur certains sujets au service de l'intérêt général et de la santé publique et des patients : je saurai m'y employer.

En conclusion, ma motivation est très grande pour exercer cette fonction passionnante. Mon engagement, aux côtés de la directrice générale, au service de cette agence, essentielle pour la politique de santé de notre pays, sera très fort afin de lui permettre de continuer à grandir et à répondre aux défis qui sont les siens.

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