Je m'étais engagé à me rendre devant vos commissions avant la fin du mois de décembre. L'engagement est tenu.
Cette audition a lieu à un moment particulièrement important de la crise sanitaire. En France, comme en Europe, la cinquième vague due au variant delta est probablement la plus forte que nous ayons connue depuis le début de la pandémie. Nous dénombrons 60 000 cas de contaminations en moyenne par jour, ce qui correspond à un taux d'incidence supérieur à 500 pour 100 000 habitants, le plus élevé jamais enregistré. Cette fois-ci, la vague frappe l'ensemble de la France métropolitaine ; toutes les régions sont concernées, l'Ouest étant cependant un peu moins touché que l'Est. Après un début fulgurant, la vague dure et s'accompagne d'une montée des tensions sanitaires : les symptômes restent les mêmes ; une part des patients présentant un syndrome de détresse respiratoire aiguë sont admis en réanimation, placés en coma artificiel et intubés.
Depuis quinze jours, la croissance épidémique – la vitesse à laquelle le virus circule –, a progressivement ralenti. Alors que nous comptions 60 % de contaminations de plus que la semaine précédente, nous sommes passés à 40 %, puis à 20 %. Nous sommes désormais presque à l'équilibre, avec 5 à 6 % de cas supplémentaires.
On peut donc considérer que nous nous trouvons au sommet d'un pic, avec deux évolutions possibles : soit une décroissance de l'épidémie, comme nous en avons connu précédemment ; soit un plateau – le virus, une fois qu'il aura achevé sa dynamique de croissance, pourrait continuer à circuler à la même vitesse. C'est ce qui se passe depuis plusieurs mois au Royaume-Uni, où l'on dénombre plus de 30 000 contaminations par jour. Il m'est impossible de vous dire quelle sera l'évolution. Je sais que, depuis quatre jours, l'épidémie stagne, mais ne baisse pas.
Le taux d'incidence baisse depuis trois jours chez les populations les plus âgées, ce qui est heureux car elles sont les plus à même de présenter des formes graves ; le virus continue toutefois de circuler rapidement dans la population la plus jeune.
Nous dépistons de plus en plus : si le taux de dépistage a augmenté d'environ 25 % par semaine, il augmente désormais de 10 %. Plus de six millions de tests sont désormais réalisés chaque semaine, ce qui représente l'équivalent de 10 % de la population, un record.
Le nombre de tests allant croissant, le nombre de cas positifs augmente statistiquement. Si le nombre de diagnostics stagne, on peut considérer qu'une légère baisse est entamée et que la vitesse de circulation du virus, tout en restant à un niveau très élevé, a cessé d'augmenter.
La vaccination change profondément la donne puisque, pour 10 000 contaminations, il y a statistiquement moins de cas symptomatiques, moins de cas graves, moins d'hospitalisations, moins de réanimations et moins de décès. Il n'y a aucun doute là-dessus. Avec un nombre aussi élevé de contaminations, sans la vaccination, les hôpitaux seraient débordés et la France connaîtrait un confinement généralisé depuis plusieurs semaines.
Il y a un an, les enquêtes d'opinion montraient que moins de 40 % des Français comptaient se faire vacciner. Beaucoup de chemin a été parcouru puisque la France est désormais l'un des pays les plus vaccinés au monde, avec un taux supérieur à 90 % de la population vaccinable. Elle est aussi l'un des pays les mieux vaccinés au monde en raison de la protection assurée dès la première injection par des vaccins à ARN messager. Les Britanniques, vaccinés massivement avec l'AstraZeneca, sont plus fragiles face au variant delta. Nous comptons donc statistiquement moins de cas graves que dans d'autres pays.
À l'exception notable de l'Italie et de l'Espagne, où la cinquième vague a démarré plus tard en raison des conditions climatiques, les pays dont la couverture vaccinale est moins bonne que le nôtre ont dû adopter, face au variant delta, des mesures de gestion importantes : jauges, fermeture des établissements recevant du public (ERP), couvre-feu, confinement localisé, réduction des déplacements.
La France a fait le choix de ne pas prendre de telles mesures, en raison d'une meilleure couverture vaccinale et parce que nous disposons d'ores et déjà d'outils. Ceux-ci sont vécus comme une contrainte par un certain nombre de nos concitoyens ; nous en avons débattu au Parlement, et je me souviens que peu de groupes politiques ont voté l'adoption du passe sanitaire. Mais c'est un fait : le passe sanitaire nous a permis de ne pas fermer d'ERP et de réduire le risque de contamination au sein de ces derniers, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur.
Malgré tout, la hauteur de la vague épidémique s'accompagne d'une augmentation du nombre de cas symptomatiques, de cas graves et d'hospitalisations : près de 15 000 patients sont hospitalisés en raison d'un covid et 2 800 se trouvent en réanimation. Les modélisations de l'Institut Pasteur indiquent que ce chiffre devrait atteindre la barre des 4 000 d'ici la fin de l'année. C'est beaucoup : pour les hôpitaux, pour les services de réanimation, et pour nos concitoyens.
Ce nombre est bien plus élevé que lors des vagues précédentes, mais il reste inférieur à celui enregistré lors de la première vague. Ce qui change par rapport à la première vague, c'est que l'épidémie touche l'ensemble du territoire : nous ne pouvons donc plus procéder à des évacuations sanitaires d'une région à une autre ni demander à des soignants de quitter leur hôpital pour prêter main-forte dans une région particulièrement sous tension, comme ce fut le cas dans le Grand Est.
En outre, les soignants ont beaucoup donné depuis deux ans. Ils ont repoussé leurs congés et cumulé les heures supplémentaires. Les Français sont fatigués devant la succession de vagues ; les soignants, eux, sont fatigués de voir des vagues de malades arriver. Cela joue sur leur moral ainsi que sur leurs capacités physiques. Ils savent qu'ils ne pourront pas refaire le miracle de la première vague et multiplier par deux ou trois le nombre de lits de réanimation.
Bien sûr, nous avons pris les devants : j'ai demandé aux hôpitaux de conserver 700 lits de réanimation de plus que nos capacités d'avant-crise, pour faire face à une montée des admissions en réanimation. C'est heureux, car le taux d'occupation de ces lits est déjà très important. Nous allons continuer de déployer les capacités de réanimation afin d'absorber le flux de malades. Quasiment toutes les régions ont déclenché le plan blanc, qui permet, notamment, le rappel de soignants. Mais allez dire à ceux qui ont tout donné depuis deux ans qu'ils ne pourront pas prendre leurs congés de Noël ou du jour de l'an : ce sont des héros, pas des surhommes...
Ce même plan nous contraint à engager une déprogrammation des soins, alors qu'il a fallu travailler énormément pour rattraper les soins qui avaient été décalés lors de la première vague et éviter une perte de chances aux malades souffrant d'autres pathologies.
Un autre paramètre, psychologique, est à prendre en compte : dans certains hôpitaux, l'afflux de malades non vaccinés devient un sujet. Un médecin régulateur du SAMU m'expliquait que les appels de personnes non vaccinées, très symptomatiques, étaient autant de coups de poignard ; les soignants ont le sentiment d'un grand gâchis.
Je me suis rendu récemment dans un service de réanimation parisien : sur huit patients covid hospitalisés, sept n'étaient pas vaccinés – le huitième était un greffé rénal sous immunosuppresseurs, un cas dans lequel la vaccination n'a pas la même efficacité. Les médecins me confiaient que, parmi les patients non vaccinés, certains étaient opposants aux soins parce qu'ils n'avaient pas confiance dans le corps médical. On m'a rapporté le cas d'une patiente, transportée par Falcon 50, qui, au sortir du coma, restait convaincue qu'elle n'avait pas souffert d'un covid. Certains patients regrettent de ne pas s'être fait vacciner ; mais d'autres continuent de considérer qu'ils ont fait le bon choix et que la question de la vaccination se pose d'autant moins que le covid les a immunisés.
Je ne vous dis pas cela pour pointer du doigt une partie de la population, mais parce que je tiens à rapporter, dans cette audition publique, les propos de soignants. Ils portent la blouse blanche et leur vocation est de soigner chacun, selon sa maladie et sans autre considération ; ils traiteront de la même façon un patient de 40 ans, en détresse respiratoire et les poumons pleins, qui a refusé de se faire vacciner. Mais il leur est difficile de penser que cette prise en charge implique d'avoir dû déprogrammer des soins pour des patients souffrant d'autres pathologies.
Même si les soignants sont capables de miracles et que tout est mis en place pour absorber le flux grandissant de malades, les capacités en réanimation ne seront pas aussi élevées que lors de la première vague.
Les prochaines semaines seront déterminantes : si la vague baisse, le nombre de nouveaux malades hospitalisés amorcera sa décrue dix jours plus tard ; si nous restons sur un plateau, les malades continueront d'affluer, ce qui mettra le système hospitalier en tension, au‑delà des fêtes de fin d'année.
Dans ce cas, des mesures visant à accélérer le freinage du virus pourraient être prises. Ce sont des questions qui se posent tant dans l'opinion qu'au plus haut niveau de l'État. Il faut toujours être dans l'anticipation, en tenant compte de l'acceptabilité de telles mesures.
Comme rien n'est simple, il faut désormais compter avec l'arrivée du variant omicron, originaire d'Afrique australe. J'avais dit, lors d'une audition parlementaire, qu'il fallait impérativement que l'Afrique, en particulier l'Afrique australe, se vaccine, car il y a une forte prévalence de maladies, comme le sida, entraînant l'immunodépression, laquelle favorise le développement de mutations virales.
À l'initiative du Président de la République, la France est le pays qui donne le plus de vaccins et qui fait le plus d'efforts pour assurer la vaccination dans des pays qui n'ont pas eu la possibilité de faire des commandes massives de vaccins à ARN messager par l'intermédiaire de la Commission européenne.
Tant que nous n'aurons pas toutes les données sur ce nouveau variant, le principe de précaution devra s'appliquer. Il faut freiner l'entrée du variant omicron sur le territoire national ainsi que, par tous les moyens disponibles, sa diffusion : isolement des malades, développement du traçage des contacts, mesures extrêmement fermes aux frontières, criblage des tests PCR positifs et séquençage des criblages douteux pour obtenir une cartographie.
La France n'est pas le pays européen au sein duquel le variant omicron circule le plus : une grosse centaine de cas a été diagnostiquée. En Île-de-France, sur plus de 1 000 tests criblés et séquencés au cours des quinze derniers jours, seuls trois sont revenus positifs au variant omicron. En revanche, nous avons enregistré les premières chaînes de contamination dans la région des Hauts-de-France, avec une cinquantaine de cas diagnostiqués. On commence à constater des contaminations autochtones.
Que sait-on de ce variant ? Il est manifestement plus – deux à trois fois, peut-être – contagieux que le variant delta, lui-même beaucoup plus contagieux que le premier SARS-CoV-2. Son temps de doublement est estimé de trois à cinq jours, contre douze à quinze jours pour le variant delta : sa vitesse de circulation impose d'anticiper et de prendre beaucoup plus rapidement des mesures supplémentaires. Mes équipes, au niveau national comme au niveau local, sont totalement mobilisées pour le cartographier et faire remonter toute information qui irait dans ce sens.
Beaucoup de données nous laissent à penser que le variant omicron n'est pas plus dangereux que le variant delta – une personne infectée n'aurait pas plus de risque de faire une forme grave de covid. Mais ce n'est pas certain, dans la mesure où nous ne pouvons pas nous baser sur des cohortes suffisamment importantes. Des informations nous arrivent du Royaume‑Uni et du Danemark – nous échangeons plusieurs fois par jour avec les équipes sanitaires et scientifiques de ces pays.
Les vaccins conservent une efficacité contre le variant omicron, peut-être pas la même qu'ils ont à l'égard du variant delta : un doute subsiste sur la question puisque les données dont nous disposons proviennent d'Afrique du Sud, où la couverture vaccinale est bien moins étendue. Ils permettraient de réduire au moins de 75 % le risque de développer des formes symptomatiques. Le booster de la troisième dose renforcerait les capacités à lutter contre l'acquisition ou l'infection du virus.
Je rappelle que la vaccination protège aussi du risque de développer un covid long et que, parmi, les facteurs de covid long figure l'âge, peu élevé. Je signale aussi qu'on peut faire une forme grave sans présenter de facteurs de risques – tous les réanimateurs vous le diront.
L'arrivée du variant omicron ne remet donc aucunement en question la campagne de vaccination ni en France, ni en Europe, ni dans le monde. L'Organisation mondiale de la santé est très claire sur ce point et aucun pays au monde ne change de stratégie vaccinale. Les pays qui étaient à la traîne accélèrent la vaccination et d'autres, comme la France, intensifient la campagne de rappel.
Des risques de recontamination sont probables – les personnes immunisées après un covid auraient un peu plus de chances de retomber malades avec le variant omicron.
On n'est jamais à l'abri d'une bonne nouvelle : les données danoises montrent qu'il y a peu d'hospitalisations par rapport au nombre de contaminations – parce que la population est vaccinée : sur 4 460 patients infectés par omicron, 29 ont dû être hospitalisés. Toutefois, l'incertitude est trop grande pour ne pas agir comme si ce variant était particulièrement dangereux.
Dans les territoires ultramarins, la prorogation de l'état d'urgence sanitaire a permis de maintenir des mesures de couvre-feu indispensables pour maîtriser la circulation du virus. La situation reste très difficile en Martinique, sous surveillance forte à La Réunion et plus stable ailleurs, mais on sait qu'elle peut se dégrader rapidement et poser des problèmes de santé publique, compte tenu des caractéristiques structurelles et du taux insuffisant de vaccination. L'envoi de renforts en Martinique, en Guyane, en Polynésie française ainsi qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon se poursuit, même s'il est rendu de plus en plus difficile par la situation métropolitaine.
Pas moins de 52,5 millions de Français ont reçu au moins une première dose, et 30 000 d'entre eux, chaque jour, sautent le pas. Ce n'est pas négligeable : 1 million de Français, tous les mois, finissent par se faire vacciner. Plus des trois quarts de la population – 51 millions – sont totalement vaccinés.
La campagne de rappel suit une dynamique croissante : le record a été battu hier avec près de 900 000 injections en vingt-quatre heures. C'est historique ! Mais il a vocation à tomber puisqu'il n'est pas exclu que nous passions en fin de semaine la barre du million symbolique. Je tire mon chapeau aux dizaines de milliers de personnes qui se mobilisent dans les centres de vaccination et ailleurs – élus, agents des collectivités, des ARS et des préfectures, pharmaciens, aides-soignants, infirmiers, sages-femmes, kinés, médecins.
Quel est l'état des lieux s'agissant de la vaccination des enfants ? Tout d'abord, plus de 20 000 enfants, âgés de 5 à 11 ans, ont déjà été vaccinés en France, sur prescription de leur médecin, parce qu'ils présentaient un fort risque de développer une forme grave. Nous disposons donc déjà de données statistiques sur la tolérance au vaccin. Je rappelle que 80 patients âgés de 5 à 11 ans sont hospitalisés, dont une vingtaine en réanimation – dans la plupart du cas, ils sont porteurs d'une maladie chronique.
Les enfants présentant un risque de développer une forme grave – porteurs d'une pathologie cardiaque, d'un diabète ou obèses – sont environ 360 000. Leurs parents sont appelés à les faire vacciner par leurs médecins ou dans les centres pédiatriques. J'ai demandé que, dans chaque département, il y ait de un à cinq centres de vaccination avec un circuit dédié. La première livraison – en cours de répartition – de vaccin Pfizer adapté aux enfants, avec une dilution spéciale, a été effectuée hier. La vaccination des enfants fragiles peut donc commencer.
Quant à la vaccination élargie, je mets en place la logistique pour éviter tout temps de latence entre la publication des avis et le lancement de la campagne. À compter du 20 décembre, en centre de vaccination, et du 27 décembre, dans les cabinets de ville, les 5,5 millions d'enfants ne présentant pas de risques de développer une forme grave pourront, si leurs parents le souhaitent, être vaccinés.
Nous attendons encore l'avis scientifique du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), le 16 décembre, et de la Haute Autorité de santé, dans les jours qui suivront. L'avis définitif du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale interviendra une fois que la Food and Drug Administration aura communiqué – aux alentours du 21 décembre – ses données sur l'efficacité et la tolérance des deux injections de vaccin chez les enfants américains âgés de 5 à 11 ans.
L'idée est de démarrer cette campagne avec la confiance de la population. Certaines familles ont hâte, d'autres sont inquiètes. Nous mettons tout en œuvre pour que les choses se passent au mieux. La vaccination des enfants participe de la lutte contre la circulation du virus et devrait nous permettre, en évitant les fermetures de classes, de retrouver une vie plus normale.
À compter d'aujourd'hui, les Français qui ne sont pas à jour de leurs rappels vaccinaux sont susceptibles de voir leur passe sanitaire suspendu. Je souhaite apporter un bémol à ce que j'ai entendu ou lu dans la presse. Le chiffre de 400 000 personnes âgées de 65 ans et plus concernées par cette suspension ne tient pas compte des personnes qui ont attendu le dernier moment, le 14 ou le 15 décembre, pour se faire vacciner et de celles, sans doute nombreuses, qui ont contracté le virus après la deuxième injection. En tout état de cause, nous avons fixé une règle de tolérance, avec une application progressive. Nous faisons passer le message : si elles n'ont pas encore fait le rappel, il est toujours temps ; leur passe sera réactivé dans la foulée.
Avec plus de 800 000 Français vaccinés par jour en semaine, nous considérons que ceux qui le doivent ou le souhaitent peuvent être vaccinés : des centaines de milliers de rendez‑vous sont proposés chaque jour dans le pays. Vu la rapidité avec laquelle les soignants se mobilisent pour protéger la population, je compte bien que l'objectif de 20 millions de Français ayant reçu une dose de rappel sera dépassé d'ici Noël.
Enfin, je me souviens des récents débats, tout à fait légitimes, que nous avons eus ici pour savoir s'il y avait lieu de faire tomber toute mesure de protection, de conserver la capacité de déclencher l'état d'urgence sanitaire ou de prolonger le passe sanitaire au-delà de décembre. Je ne sais pas si les doutes que certains d'entre vous exprimaient alors sont levés. Pour ma part, je suis convaincu que nous avons bien fait.