Intervention de Pr Jérôme Salomon

Réunion du mercredi 5 janvier 2022 à 16h00
Commission des affaires sociales

Pr Jérôme Salomon, directeur général de la santé :

Nous avons été fortement soutenus par les parlementaires depuis deux ans et je vous en remercie car c'est un travail extrêmement important pour l'ensemble des Français.

Puisque vous voulez prendre de la hauteur, et je salue cette volonté, nous en sommes à bientôt deux ans de cette pandémie qui n'est pas terminée et l'impact pour nos concitoyens est considérable. Nous avons dépassé ces jours‑ci les dix millions de Français touchés comme cas confirmés. Je voudrais revenir sur des sujets plus difficiles, plus délicats : plus de 580 000 Français ont été hospitalisés, ce qui est un chiffre considérable et nous aurons malheureusement cette semaine à franchir un seuil extrêmement douloureux, celui des 125 000 décès par covid. C'est malheureusement historique.

Je voudrais en outre aborder d'emblée deux éléments qui ne sont pas souvent évoqués. On parle beaucoup des vaccinés et des non‑vaccinés ; c'est légitime mais on ne parle pas de certaines victimes collatérales, les personnes vaccinées très fragiles. Les immunodéprimés et les personnes sous traitement sont un peu les oubliés de cette crise. C'est la raison de cet effort d'accès aux traitements, c'est vraiment pour ces personnes qui sont vaccinées mais ne répondent pas bien à la vaccination ou ont une immunité amoindrie pour des raisons diverses sur lesquelles je ne reviendrai pas.

Les conséquences de la maladie covid sont un autre point important. On parle beaucoup de covid long – et c'est un sujet majeur – mais nous pourrions aussi parler du fameux paediatric inflammatory multisystem syndrome (PIMS) de l'enfant, qui est une réaction inflammatoire systémique pouvant survenir à distance. Ces sujets post‑infectieux constituent aussi une préoccupation pour l'ensemble de la communauté soignante.

Par ailleurs, la dimension stratégique est également très importante, en particulier les enjeux internationaux puisque tout est international dans cette affaire. Un très gros effort européen de recherche et d'accès aux traitements est mené, que je salue aujourd'hui compte tenu de la présidence française de l'Union européenne.

Je salue également les efforts de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui nous aide à avancer dans les connaissances sur les traitements et les vaccins mais aussi à garder cet indispensable enjeu de solidarité internationale et de santé mondiale. Nous ne nous sortirons de cette pandémie que si l'ensemble de la planète est protégé et a les mêmes accès aux outils clés.

La direction générale de la santé (DGS) a été attentive dès le début à l'accompagnement et à l'anticipation du développement de traitements. Une cellule interministérielle a été créée dès février 2020, regroupant la santé, l'enseignement supérieur et la recherche. L'idée est vraiment d'engager le maximum d'essais cliniques de haut niveau, académiques ou non, sur les traitements prometteurs, avec une veille réalisée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales | Maladies infectieuses émergentes (ANRS | MIE) et l'ANSM. Le but est d'anticiper les évolutions des traitements et de réserver des volumes de traitements pour la France. Nous avons donc réservé le tocilizumab.

Des autorisations de mise sur le marché (AMM) européennes ont été données et la présidente Le Guludec a insisté sur le fait que le traitement classique des détresses respiratoires a évidemment été consolidé dans la covid, avec tout ce qui est anticoagulants, anti‑inflammatoires, corticostéroïdes et oxygène. La place de la ventilation mécanique a très vite été stabilisée.

Dans un second temps, un effort considérable et très français – les parlementaires doivent le savoir – a été réalisé au titre de ce qui s'appelait autrefois l'autorisation temporaire d'utilisation (ATU), réformée maintenant en accès précoce. C'est un dispositif très original, qui signifie qu'une spécialité pharmaceutique peut être mise à disposition alors qu'elle n'a pas encore l'AMM mais est dans une démarche de partage de données sur l'efficacité du traitement. C'est une autorisation à titre exceptionnel, pour le bénéfice du patient, alors que le délai pour boucler le dossier d'AMM peut se compter en mois. C'est évidemment très important.

La monothérapie puis la bithérapie Lilly ont été citées ; elles ont été très utiles en termes d'ATU. Cela a été ensuite le cas du ronapreve de Roche.

Initialement limitées à la prise en charge curative précoce, les autorisations ont été étendues très rapidement à la prophylaxie en pré‑ et post-exposition. C'est évidemment fondamental pour les patients à haut risque de forme grave. La décision de la HAS date d'août 2021. Tout ceci fait de l'accès précoce un élément clé en France.

Un autre élément clé que je voudrais souligner concerne les enjeux de réservation de produits, de relais de communication auprès des agences régionales de santé (ARS), des prescripteurs et des associations ainsi qu'un suivi hebdomadaire, voire quotidien, du nombre de patients pouvant bénéficier de ces traitements.

Nous avons constaté qu'il était difficile d'en faire bénéficier l'ensemble des personnes éligibles. Nous avions estimé à environ 100 000 le nombre de patients concernés. Plusieurs raisons, collectives, font que nous devons encore faire un effort de communication vis‑à‑vis des prescripteurs et des patients qui, parfois, ne savent pas qu'ils pourraient avoir accès à des traitements alors qu'ils sont fragiles. Nous ferons donc un très gros effort avec vous, l'ensemble des soignants et les associations pour partager des informations.

On a beaucoup parlé d'omicron mais, comme vous le savez, nous avons maintenant une double épidémie avec en même temps la persistance de delta et l'installation progressive d'omicron. Le niveau de l'épidémie est exceptionnel puisque les derniers chiffres font état d'une incidence de 2 000 ou 3 000 pour 100 000 en Île-de-France, et peut‑être 4 000 dans certaines populations en Île-de-France. Cela veut dire que 4 % des jeunes en Île-de-France sont actuellement positifs. C'est un chiffre sidérant puisque cela signifie qu'un jeune Francilien sur vingt‑cinq est actuellement positif avec omicron.

Les enjeux thérapeutiques sont évidemment capitaux, surtout pour les personnes fragiles. Nous avons eu récemment de nombreuses bonnes nouvelles. La bithérapie d'anticorps monoclonaux evushel a été autorisée en accès précoce et la France est un des premiers pays à utiliser ce traitement en prévention pré‑exposition, avec une réservation stratégique et un suivi resserré. Son avantage par rapport au ronapreve est que ce traitement est administré par injection intramusculaire une fois tous les six mois au lieu d'une injection mensuelle. Cela améliore considérablement le confort des patients.

Des travaux très importants ont été menés par tous les scientifiques. Je remercie l'ANRS | MIE et Yazdan Yazdanpanah pour tous les échanges hebdomadaires entre les équipes, l'ANSM et la HAS, que nous sollicitons en permanence. La mobilisation est très forte, avec un engagement de haut niveau pour que les instructions des dossiers d'accès précoce soient réalisées dans des délais extrêmement contraints.

Enfin, j'attire votre attention sur le fait que nous restons très attentifs à la sécurité. Nous faisons évidemment un usage raisonné des moyens publics et l'idée est que cela bénéficie au patient. Pour vous donner un contre-exemple, nous avions sécurisé 50 000 doses de molnupiravir. La réservation avait été signée assez rapidement avec une condition de livraison du produit. Ce produit semblait assez prometteur au début et était en accès précoce mais, au vu des données de santé, la HAS a considéré très récemment, le 9 décembre, que l'ensemble des critères permettant d'octroyer un accès précoce n'était pas atteint. Le contrat, qui prévoyait un déclenchement de commande en cas d'autorisation précoce, a donc été résilié de droit et aucun engagement financier n'a été porté par la France. Nous pouvons avoir ce mécanisme de sécurité, en réservant très tôt, en attendant l'instruction des scientifiques et, si cette instruction est négative comme cela a été le cas ici, le contrat est résilié. C'est un sujet important en termes de bonnes pratiques et de bon usage des deniers publics.

Nous sommes évidemment très attentifs à l'évolution du virus puisque, à chaque variant, nous nous posons la question de l'efficacité et des indications des traitements contre la covid. Des travaux in vitro et des travaux en temps réel chez les patients sont réalisés et toutes ces données sont partagées. Par exemple, hier, nous avons envoyé aux ARS et à l'ensemble des professionnels de santé un message – un DGS-Urgent, adressé à environ un million de professionnels de santé – pour expliquer les modalités de prise en charge dans toutes les régions que ce soit pour des delta ou des omicron, pour expliquer les traitements disponibles, les traitements acquis et les traitements qui arriveront puisque, comme l'a dit la présidente Le Guludec, nous attendons beaucoup de l'arrivée des antiviraux à action directe dans les prochaines semaines.

Nous faisons donc un gros travail d'explicitation, que mes équipes continueront d'ailleurs cette semaine en contactant l'ensemble des prescripteurs, des ARS et des associations de patients par l'intermédiaire de France Assos Santé et de l'ensemble des grandes associations de patients qui regroupent les grands immunodéprimés, les greffés et les malades chroniques ; ils ont besoin d'avoir ces informations en termes d'égalité de prise en charge et d'égalité d'accès à l'information.

Nous faisons aussi un grand travail de prospective et d'analyse proactive. Certaines entreprises françaises sont très avancées sur le sujet et nous avons des contrats de préréservation de l'anticorps polyclonal xenothera. Il s'agit d'une production anticipée, d'une réservation, d'une acquisition. Tout ceci est très cadré, l'idée étant de faciliter les contrats alors même que la production est anticipée. Nous sommes donc vraiment en avance et le laboratoire a déposé un dossier d'accès précoce en cours d'examen, notamment pour son efficacité ou non vis‑à‑vis d'omicron. Nous sommes donc aussi capables de soutenir des entreprises en phase de production avec un produit potentiellement innovant.

Enfin, nous attendons une innovation très forte. J'ai parlé jusqu'à présent d'anticorps qui sont des molécules assez complexes à injecter, ce qui pose un sujet organisationnel : ce sont des injections sous surveillance. Nous verrons arriver dans les prochaines semaines des antiviraux par voie orale, extrêmement simples à prendre pour les patients puisqu'il s'agit de deux comprimés par jour. Nous attendons beaucoup de la décision dans les prochaines semaines de la HAS sur le fameux paxlovid de Pfizer. C'est un traitement curatif qui doit être pris très tôt, dans les cinq premiers jours.

Nous avons de plus ouvert la possibilité, tout à fait nouvelle, d'avoir un accès précoce non seulement à l'hôpital mais aussi en ville afin que les patients puissent récupérer très facilement ce traitement. C'est la première fois et, au vu des enjeux, je pense que c'est très important. Nous comptons énormément sur les acteurs de ville, que nous saluons : le rôle des professionnels de santé de ville, libéraux notamment, pharmaciens, médecins et infirmiers, est considérable pour informer les patients et leur dire qu'il existe des traitements pouvant être pris dans des conditions simplifiées. Le suivi des patients pourra donc se faire dans un cadre extrahospitalier.

J'ai traité jusqu'à présent les traitements curatifs précoces. En ce qui concerne les traitements curatifs des formes graves hospitalisées, les traitements anti‑inflammatoires spécifiques se sont ajoutés aux traitements de support et traitements par corticoïdes, oxygénothérapie, etc. Nous avons là encore beaucoup progressé et je salue tous les cliniciens mobilisés depuis deux ans pour prendre en charge l'ensemble des patients en France dans des conditions que les autres pays nous envient car nous avons gardé l'esprit de solidarité.

Vous savez que la France est le seul pays qui a organisé 1 350 évacuations sanitaires interrégionales pour que l'ensemble des patients puissent être pris en charge. C'est tout à fait original et nous avons même noté que les patients ayant bénéficié de cette évacuation sanitaire, qui peut paraître être une punition, étaient en fait mieux pris en charge puisqu'ils sont partis d'un endroit très sous pression pour être pris en charge dans un endroit moins sous pression, avec des conditions de prise en charge qui restent tout à fait satisfaisantes.

J'ai parlé longuement mais je voulais saluer l'ensemble des professionnels de santé et attirer l'attention des patients et associations de patients sur l'importance du partage d'information sur ces innovations thérapeutiques.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.