Intervention de Pr Jean-François Timsit

Réunion du mercredi 5 janvier 2022 à 16h00
Commission des affaires sociales

Pr Jean-François Timsit, chef du service de réanimation médicale et infectieuse, hôpital Bichat :

Parmi les différents intervenants, je suis le clinicien, le plus proche des malades, et je parlerai plutôt de réanimation pour vous dire où nous en sommes du traitement des malades les plus sévères et ce qu'il nous manque.

La première partie concerne le traitement de la maladie elle‑même. Après la partie virale, qui est très initiale et pas très sévère, a lieu la partie immunologique. Il arrive que des défenses trop importantes de l'organisme se mettent en branle ; elles n'ont pas vraiment d'effet antiviral mais ont un considérable effet délétère sur l'organisme. Enfin, une troisième partie a lieu chez les malades les plus sévères, l'immunoparalysie postréversible : l'immunité est complètement sidérée par l'effort qu'elle a fourni et il se produit énormément de surinfections et de complications infectieuses, ce qui influe fortement sur le pronostic des malades les plus sévères.

Au début, nous nous sommes retrouvés pris de court avec une maladie très compliquée et nous avons souvent eu des malades très en manque d'oxygène auxquels nous avons mis très vite des machines et administré un certain nombre de médicaments. Nous avons probablement été préjudiciables à leur pronostic par une intensité thérapeutique qui correspondait à ce que nous savions faire avant. Nous avons probablement eu un effet délétère en les « sur‑soignant ».

On dit, et c'est une base du traitement en réanimation : « Don't harm », ne pas faire de mal. Les médicaments que nous utilisons sont souvent très agressifs et les stratégies thérapeutiques sont très agressives. Il est très compliqué de trouver un équilibre entre un traitement agressif efficace et les risques que nous prenons en l'utilisant. Nous avons fait beaucoup de progrès sur ce sujet.

Nous nous sommes aussi aperçus assez vite que le côté viral de la maladie n'est pas très important en réanimation. Les malades ne sont pas très contagieux quand ils sont très graves mais, par contre, ils ont une inflammation très exacerbée. Nous nous sommes vite rendu compte qu'il fallait probablement diminuer un peu l'inflammation, le corollaire de l'utilisation des anti‑inflammatoires étant que ces médicaments diminuent les défenses anti‑infectieuses face à d'autres agents.

Nous avons d'abord utilisé des corticoïdes. Ils sont très probablement efficaces à petite dose. Nous commençons à disposer de nombreuses de données et je pense que le rationnel est assez clair. Nous ne savons pas combien il faut donner de corticoïdes ni combien de temps. Nous ne savons pas s'il faut moduler la quantité de corticoïdes en fonction de la gravité des malades, de leur poids et de leur taille. Tout ceci est complètement inconnu et des travaux de recherche sont menés actuellement. Nous avons utilisé le schéma thérapeutique de l'une des grosses études anglaises de la plateforme Recovery, avec la dexaméthasone à 6 milligrammes.

D'autres médicaments anti‑inflammatoires sont utiles pour casser l'inflammation liée au virus mais peuvent être délétères en ne permettant pas à l'organisme de se défendre correctement contre les infections nosocomiales. C'est le problème que nous avons en réanimation chez les patients les plus graves et, finalement, nous n'arrivons pas à faire baisser la mortalité lorsque nous leur donnons ces médicaments alors qu'ils sont déjà trop graves, probablement à cause de cette troisième phase de surinfection qui est exacerbée par l'utilisation de ces médicaments, difficiles à manipuler du fait de leur rapport coût‑bénéfice.

Vous avez entendu parler du tocilizumab et nous avons beaucoup d'espoirs dans les inhibiteurs des Janus kinases (anti‑JAK). Il s'agit d'une autre voie et d'autres médicaments encore sont en cours d'essai.

À l'heure actuelle, nous ne savons pas identifier des catégories de sous‑populations de patients avec un profil inflammatoire particulier qui justifierait tel ou tel traitement à tel ou tel moment de leur maladie. C'est là que nous bloquons actuellement, c'est très problématique et nécessitera un effort collaboratif mondial je pense. Manifestement, il existe des traitements à administrer en fonction d'un certain nombre de circonstances à certains patients. Je pense que l'individualisation de la thérapeutique est un aspect majeur des stratégies de recherche à mener.

Nous avons aussi appris à maintenir les malades en vie et nous arrivons maintenant à les sauver avec des traitements extrêmement lourds. Certes, nous n'avons pas beaucoup de malades par rapport à la quantité actuelle de malades du covid mais ceux qui, par exemple, ont besoin d'une assistance circulatoire ont une durée moyenne de séjour en réanimation de deux mois et une durée de séjour à l'hôpital de plus de six mois. Si vous raisonnez en termes de structure de soins, nous arrivons certes à les sauver mais l'effort structurel nécessaire – sans parler de finances – est vraiment considérable. Même si très peu de patients sont concernés, la charge pour le pays et le système de santé est énorme.

Ces traitements nécessitent un certain nombre de machines, un très bon équipement, des produits thérapeutiques de traitement symptomatique et d'anesthésie. Je pense que nous avons atteint un bon équilibre.

Il peut encore manquer les soins dits intermédiaires, c'est‑à‑dire des lits qui permettent de faire non pas de la réanimation très lourde avec de l'intubation mais une réanimation intermédiaire avec de l'oxygène à haut débit, une surveillance plus importante et des passages plus fréquents des médecins.

Il faudrait réfléchir pour savoir quel doit être l'équipement de l'hôpital à l'heure actuelle, en temps de pandémie, en termes de soins intermédiaires et quelle doit être la préparation pour les futures pandémies, que je n'espère pas. C'est très clairement un souci important pour l'avenir, pour nous professionnels, et les décisions politiques prises ont des conséquences.

Enfin, les malades qui viennent chez nous ont des séquelles absolument considérables. Nous les revoyons en consultation par la suite. Plus de 40 % des malades ont des anxio‑dépressions sévères après six mois, systématiquement, avec des symptômes probablement plus importants que ceux que nous voyons dans le sepsis habituel. Nous essayons de faire la part entre le choc infectieux et le covid, pour lequel nous avons l'impression que c'est plus fort. Cet effort de prise en charge chronique sera très important à l'avenir.

Le dernier point concerne la prévention, en particulier la prévention de la contamination des soignants. Que faire des soignants pour les maintenir à l'hôpital ? On dit que le soignant peut venir soigner les malades quand il est positif mais que faire des malades qui ont eu trois doses de vaccin, sont transplantés d'organes, très immunodéprimés ? Allons‑nous les mettre en contact avec les soignants positifs ? Ce sera un vrai problème. C'est très compliqué et le rapport coût‑bénéfice est, comme souvent, de notre responsabilité très « pratico‑pratique » et individuelle. Il est extrêmement compliqué à gérer et nous risquons malheureusement de nous retrouver avec le couteau sous la gorge, en n'ayant plus suffisamment de personnels non positifs pour assurer un soin non dangereux des patients actuels.

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