Mme Parmentier‑Lecocq a posé une question sur le traitement de l'Institut Pasteur de Lille, le clofoctol, qui est un ancien antibiotique. J'ai vécu de nombreuses années à Lille et j'ai fait mon service national à l'Institut Pasteur de Lille. Je peux apporter quelques explications sur ce dossier que je connais bien.
Durant la première année de pandémie, de nombreuses idées sont apparues mais la coordination faisait défaut. Nous avons essayé avec les deux ministères, notamment au moment où l'agence a été mise en place, de coordonner les recherches en mettant en place, d'abord au sein de l'agence, deux groupes de travail constitués de chercheurs indépendants multidisciplinaires.
L'un de ces groupes de travail évaluait sur le plan préclinique tous les médicaments proposés pour être évalués chez l'homme et l'autre groupe priorisait les médicaments. À chaque fois qu'un essai était proposé, nous demandions à cet essai de passer devant ces deux groupes.
Lorsque les collègues de l'Institut Pasteur de Lille ont dit, à juste titre, après un travail de recherche in vitro au laboratoire, que le clofoctol était un traitement prometteur et qu'ils voulaient l'évaluer, il leur a d'abord été répondu qu'il était impossible de tout faire car beaucoup de gens ont de bonnes idées et il faut donc prioriser. Nous leur avons demandé de passer par ces deux groupes qui ont jugé que c'était un traitement prometteur mais qu'il ne fallait pas passer tout de suite à une phase III d'essai clinique, donc ne pas évaluer tout de suite auprès de 1 500 patients mais d'abord regarder sur un nombre de personnes plus faible si cela fonctionnait.
C'est un traitement qui doit être évalué en ambulatoire. Or, en France, autant nous sommes bien organisés au niveau de l'hôpital, autant nous avons des problèmes au niveau ambulatoire et il était difficile d'inclure 1 500 patients par bras en ambulatoire. Nous leur avons donc proposé de réaliser une phase II chez un faible nombre de personnes pour voir s'il apparaissait un signal. Nous avons eu beaucoup de mal à les convaincre. Ils ne voulaient pas. Cela se passait au mois d'avril 2020 et ils ont finalement accepté, mais au mois de mai, au moment où il n'y avait plus de cas. Ils n'ont donc pas pu inclure de patients.
Je ne dis pas que nous faisons tout très bien mais dire que tout est la faute d'une mauvaise coordination n'est pas complètement vrai. Nous avons beaucoup de progrès à faire mais des erreurs ont aussi été faites au niveau de l'organisation dans ce cas.
Je ne dis pas que ce n'est pas un traitement prometteur mais je pense que, même en plein milieu d'une pandémie, il ne faut pas sauter des étapes. Il faut suivre les étapes de la recherche et il est très important de les suivre. Faire les choses dans l'ordre permet parfois d'aller plus vite que de sauter des étapes. J'ai discuté avec le directeur général, le professeur Nassif, que je connais très bien et nous suivons le dossier mais, d'une manière générale, je pense que cette crise nous a permis d'améliorer ce circuit. Il faut que nous progressions encore.
Le directeur général de la santé a déjà répondu à la question de M. Perrut sur l'articulation avec l'innovation. Nous avons en France de grands chercheurs, des experts de haut niveau international mais je pense que, au niveau des traitements également, ce qui nous a manqué est l'articulation entre la recherche et l'innovation.
Il faut travailler sur tout l'écosystème et j'en parle énormément avec Marie‑Paule Kieny car nous voulons essayer d'améliorer la situation. L'ANRS | MIE travaille à l'amélioration de cette articulation et une agence innovation sera mise en place. Je pense qu'une prise de conscience a lieu et que nous avons toutes les capacités, tous les atouts pour améliorer ce fonctionnement dans les années à venir.
Sur le molnupiravir, ce n'est effectivement pas fréquent que les résultats intermédiaires et les résultats finaux d'un essai soient différents et, par ailleurs, inférieurs à un autre traitement disponible. Je pense que l'évaluation de ce traitement doit continuer. C'est ce que nous avons essayé de faire, notamment avec les collègues européens ; il ne faut peut-être pas condamner ce médicament dès maintenant. Comme vous l'avez dit, ce médicament est autorisé au Royaume‑Uni mais, au Royaume‑Uni, ils sont les premiers à vouloir évaluer encore ce traitement. Tout n'est pas terminé.
Sur l'anakinra que l'EMA a validé, l'avis de Jean-François Timsit sera intéressant. En France, c'est l'un des traitements que nous avons évalués en premier, dans l'essai CORIMUNO coordonné par l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP). Il s'agissait d'un essai national, lancé dans le cadre du programme Research and action targeting infectious diseases (REACTing) de l'Inserm, pour évaluer rapidement les médicaments. L'essai a été publié dans un grand journal, le Lancet, et nous ne trouvions pas d'efficacité, peut‑être parce que nous avions mal sélectionné les patients. Je pense que c'est un peu plus compliqué et que nous ne connaissons pas certains points dans l'histoire de la maladie. Ce serait intéressant de regarder à nouveau.
En tout cas, nos résultats sont différents pour l'anakinra, comme pour le tocilizumab cité par le professeur Timsit ou le baracitinib qui arrive maintenant. Là aussi, il faut être prudent.
Mme Dubié a posé une question sur les variants. Santé publique France et l'ANRS | MIE ont mis en place un réseau, nommé EMERGEN, pour la surveillance et la recherche afin de séquencer en France.
En France, 2 500 virus ont été séquencés en 2020 et plus de 300 000 depuis 2021. Nous devons encore progresser mais beaucoup a été fait. 13 000 à 15 000 séquençages sont réalisés par semaine, ce nombre étant variable en fonction de l'incidence. Actuellement, l'incidence est très élevée et il faut probablement séquencer plus.
Cela permet de voir comment la fréquence des variants évolue. Il n'est jamais possible de tout séquencer mais, une fois par semaine, 5 à 10 % des virus sont séquencés pour voir si de nouveaux émergent. Les virus lambda et mu que vous avez cités n'ont pas émergé en France, alors qu'ils circulent depuis un moment. En revanche, le variant omicron a explosé.
Ce système permet de le voir et de vérifier si de nouveaux variants émergent. Nous pouvons ainsi surveiller la circulation des variants puis la recherche étudie si les variants qui émergent sont ou non dangereux, s'ils ont un impact sur la sévérité, sur l'efficacité des médicaments, sur la réponse vaccinale, sur les outils de diagnostic...
Le problème actuel est omicron, qu'il faut continuer à surveiller parce que nous n'en avons pas encore détecté d'autre.
Marie-Paule Kieny a l'article des Échos cité par Mme Dubié et elle répondra peut‑être. Personnellement, je ne connais pas ce traitement.
Sur l'Afrique, je dirai simplement que vous avez raison. Même si l'Afrique a heureusement moins souffert du fait de la pyramide des âges, je pense qu'il ne faut pas l'oublier dans les outils et les traitements que nous allons trouver et évaluer. Il faut que ces traitements soient disponibles en Afrique et que les pays africains puissent bénéficier de ces traitements. Nous travaillons à l'évaluation des traitements dans ces pays et Marie‑Paule Kieny s'y implique beaucoup. C'est important parce que le fait que ce soit une pandémie nécessite une vision large de la situation.