En 2019, j'avais déjà défendu devant vous une proposition de loi alors que 6 millions de Français vivaient dans ce qu'on appelle communément un désert médical. Aujourd'hui, en 2022, ils sont 8 millions. La désertification a des effets directs sur l'hôpital : dans de nombreux territoires, les urgences craquent sous l'afflux de nouveaux patients. La nécessité est donc plus forte que jamais. Les solutions qui ont été conçues et mises en œuvre jusqu'à présent n'ont pas produit les effets attendus. C'est un terrible échec collectif.
Bien sûr, notre démographie médicale est en souffrance depuis plusieurs décennies. Nous avons perdu depuis dix ans 7 000 généralistes libéraux, et le nombre total de médecins en activité stagne, alors que la population française continue à croître et à vieillir. Bien sûr, il aurait fallu agir plus tôt, et plus fort – mais nous avons laissé le nombre de soignants diminuer et, surtout, les inégalités s'aggraver entre les territoires, et donc entre les Français, avec ici des concentrations et là des déserts.
Car il existe en France des zones largement dotées en présence médicale : il y a, rapportés à la population, trois fois plus de médecins généralistes dans certains départements que dans d'autres. Prétendre que le pays entier serait en pénurie médicale est faux. Dans certains territoires, notamment dans le sud de la France et sur les côtes, méditerranéenne ou atlantique, il est très facile de prendre un rendez‑vous chez un médecin, même si ce n'est pas votre médecin traitant. Pour les 8 millions de Français qui vivent dans un désert médical, la réalité est complètement autre : dans ces zones sous‑dotées, il faut en moyenne 180 jours – six mois ! – pour obtenir un rendez-vous avec un ophtalmologue. Mais dans d'autres territoires, comme à Paris, j'en ai fait l'expérience moi-même, il vous faut deux heures. Voilà l'inégalité, l'injustice, dans le pays de la sécurité sociale pour tous !
Comment donc garantir le droit d'accès à la santé, à un médecin près de chez soi ? Je ne prétends pas qu'il y aurait un remède miracle : je crois plutôt à une combinaison de réponses. Toutes les incitations qui ont été développées depuis des années en font partie, mais elles ne sont pas à la hauteur du problème. Je ne suis pas le seul à l'affirmer : des députés de toutes les sensibilités politiques le disent aussi, et des rapports très savants, très documentés, très argumentés de la Cour des comptes, du Conseil économique, social et environnemental ou encore de la direction générale du Trésor le confirment. Ils montrent que les incitations coûtent cher à la collectivité publique et ne sont pas suffisamment efficaces.
On nous dit, en particulier la majorité en place depuis 2017, que des mesures ont été prises. En effet, mettre fin au numerus clausus est une manière de former davantage de médecins – mais à quel horizon seront-ils en activité ? Dix ans ! Quelle réponse cela apporte‑t‑il à ceux qui n'ont pas de médecins aujourd'hui ? Par ailleurs, même si la fin du numerus clausus est inscrite dans les textes, les universités ne sont pas en mesure d'accueillir bien plus d'étudiants.
On nous dit aussi qu'on a créé les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pour inciter à mieux travailler ensemble. C'est très bien, et nous avons soutenu cette évolution sur tous les bancs. Mais elle est très progressive : elle ne produit pas à l'heure actuelle d'effets concrets concernant la présence des médecins, qui sont les pivots des CPTS.
Au‑delà des mesures ponctuelles, le moment est venu de refonder le contrat entre la nation et nos médecins. Quand on y réfléchit bien, la nation finance leurs études – elles sont gratuites. Certes, les jeunes internes en médecine donnent beaucoup de leur temps à la société, pour une rémunération faible, il faut le dire. Mais soyons justes : la nation garantit les revenus des médecins, à travers nos cotisations à l'assurance maladie. Qu'y aurait-il donc de choquant à dire à nos médecins qu'il faut se mettre autour d'une table pour travailler à la meilleure répartition possible dans tous les territoires, en particulier ceux où il y a un manque ?
C'est en ces termes que je veux poser le problème, ceux d'un contrat refondé entre la nation et les médecins. Je crois profondément à l'idée d'une régulation pour l'installation. Ce mot de « régulation » ne doit pas nous effrayer. Il ouvre la porte à une nouvelle politique, volontariste, qui s'appuie sur deux piliers qui font les deux articles de cette proposition de loi.
Le premier pilier est ce que nous appelons le conventionnement sélectif, qui vise à stopper la progression des inégalités. De quoi s'agit-il ? On n'autoriserait plus l'installation d'un médecin, généraliste ou spécialiste, dans les zones où l'offre de soins est considérée comme suffisante, sauf, bien sûr, en cas de départ à la retraite d'un autre médecin, qu'il est parfaitement légitime de vouloir remplacer. C'est la première mesure forte que nous devons adopter.
La seconde mesure que je vous propose, pour résorber les inégalités, est une obligation de présence et d'exercice des jeunes médecins en zone sous‑dotée pendant trois années au total : la dernière année d'internat et les deux années suivant l'obtention du diplôme. Il faudra naturellement être souple quant à l'application de cette disposition. Les formes, les statuts d'exercice et de présence médicale doivent répondre aux aspirations professionnelles des jeunes médecins d'aujourd'hui, sur le travail en équipe, la possibilité d'être salarié ou, pourquoi pas, un exercice mixte entre l'hôpital et le cabinet, là où il n'y a plus de médecin. Il faut être ouvert.
Puisqu'il s'agit d'un contrat, je suis prêt à mettre toutes les questions sur la table. Parlons aussi de la rémunération des internes, des allégements administratifs, des assistants médicaux ! Tous ces sujets doivent être traités, autour de l'idée fondamentale, progressiste, nécessaire, de la régulation de la présence médicale.
J'ajoute une troisième disposition, que je vous proposerai d'introduire dans le texte par amendement : il s'agit de donner la capacité aux jeunes, en particulier ceux qui viennent des milieux populaires, d'embrasser la carrière médicale. C'est aussi une réponse à la désertification. En effet, beaucoup de lycéens s'interdisent même d'envisager la possibilité de faire des études médicales et de devenir médecins, parce que leur famille ne peut pas les soutenir financièrement. Or on sait que l'attachement à un territoire, l'origine géographique sont un déterminant du choix du lieu d'installation. Si le contrat d'engagement de service public (CESP), qui s'adresse aux étudiants déjà engagés dans un parcours universitaire, était ouvert aux lycéens qui veulent choisir cette orientation, en contrepartie de quoi ils s'engageraient à revenir ensuite exercer dans leur région d'origine, ce serait de nature à élargir la diversité des origines sociales et géographiques et à susciter l'installation d'une nouvelle génération de médecins. Bien sûr, les effets s'en verront dans dix ans, mais notre responsabilité est aussi de préparer l'avenir.
Ces questions dépassent de loin les étiquettes politiques. Je me réjouis de voir que des amendements viennent de presque tous les bancs, et je donnerai un avis favorable à tous ceux qui vont dans le sens de l'action volontariste que je défends.
À ceux qui trouvent que cette proposition de loi est dérangeante, je réponds qu'à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. On me dit que les médecins, leurs organisations professionnelles, ne sont pas d'accord. Mais, chers collègues, nous sommes là pour défendre l'intérêt général, pour répondre aux inquiétudes, aux angoisses des Français qui n'ont plus de médecin ! C'est maintenant qu'ils attendent des réponses, pas demain.
Voilà comment nous devons traiter le problème : au nom de l'intérêt général. Notre responsabilité est de trouver des solutions et d'adapter les règles pour rester fidèles à cette magnifique idée de la Résistance qu'est la santé pour tous. Nous devons lutter contre ce sentiment d'abandon qui a gagné tellement de Français qui ne croient plus en la politique, qui se désintéressent de l'action publique, de la démocratie et de la République.
Il nous revient de donner un coup d'arrêt à la désertification médicale. Beaucoup de Françaises et de Français comptent sur nous. Ne les décevons pas.