Je me joins évidemment aux remerciements adressés par Sylvain Maillard au bureau de la commission, à la présidente ainsi qu'aux personnes que nous avons auditionnées. Je crains hélas que nos points d'accord s'arrêtent à peu près là, non pour le plaisir de la contradiction, mais par exigence de cohérence.
Sur la gouvernance et le financement, qu'avions‑nous dit à l'époque de la loi « Avenir professionnel » ?
Tout d'abord, qu'en raison du nouveau cadre institutionnel qu'elle créait, elle dessaisissait les partenaires sociaux d'un régime qu'ils géraient depuis 1958 non sans une certaine efficacité. Or, les partenaires sociaux ont été en septembre 2018 destinataires d'un document de cadrage comminatoire qui ne leur laissait aucune marge de négociation, comme ils l'ont rappelé unanimement à la mission. S'en sont suivis un échec et une reprise en main par l'État, par décret, de la réforme de l'assurance chômage, dont on peut se demander si ce n'était pas finalement son objectif plus ou moins caché.
Ensuite, nous avons dit qu'en finançant l'UNEDIC par de la CSG, cette loi dénaturait le régime et affaiblissait le lien entre les salariés et leur régime. Rappelons qu'il n'y a plus de cotisations salariales d'assurance chômage depuis 2019 et que ces baisses ne se sont pas faites gratuitement mais en augmentant la CSG sur les retraités, mesure que nous continuons évidemment de contester. Cette dénaturation transparaît aujourd'hui dans le fait que certaines institutions et certains experts orientés demandent qu'on aille plus loin encore dans l'étatisation de l'assurance chômage. On tourne en rond : c'est l'État qui impose la CSG à l'UNEDIC et il lui dirait maintenant que du fait de la CSG, il n'a pas d'autre choix que d'en prendre le contrôle ! Voilà une bien mauvaise manière faite au paritarisme.
S'agissant enfin de la situation financière de l'UNEDIC, nous dénoncions déjà les charges indues qui allaient lui être confiées par l'État et qui n'ont cessé de croître, ce qui est désormais interprété par le Gouvernement comme la preuve qu'il faudrait reprendre le régime en main. Or la dette accumulée n'est pas le signe d'une mauvaise gestion par les partenaires sociaux, mais le résultat de décisions publiques sans compensation.
Sur l'ouverture de l'assurance chômage aux démissionnaires et aux travailleurs indépendants, nous avions dit que la montagne accoucherait d'une souris. Voilà que selon les chiffres concrets de la mise en œuvre elle a en réalité accouché d'un tout petit souriceau ! On parlait en 2018 de 30 000 démissionnaires et de 29 000 indépendants par an. Nous avons péniblement atteint 14 000 démissionnaires et 1 000 indépendants depuis fin 2019. C'est à se demander comment les études d'impact avaient été réalisées, et surtout à quels besoins correspondaient ces mesures.
Nous sommes d'autant moins surpris que ces dispositifs ont été conçus pour être très restrictifs, et ce ne sont pas les dernières évolutions proposées par le Gouvernement qui permettront de véritablement changer la donne. Dit autrement, tout se passe comme si la loi « Avenir professionnel » s'était grimée en système d'assurance chômage universel pour mieux s'en éloigner. Je le regrette car c'est un sujet important sur lequel il nous faudrait d'ailleurs plus de données.
Enfin, si les règles applicables aux demandeurs d'emploi n'ont pas produit tous les effets néfastes que nous craignions, c'est avant tout parce qu'elles ont été suspendues en 2020 et qu'elles redémarrent aujourd'hui à pas comptés. Si j'admets parfaitement que l'échelle des sanctions n'a pas systématiquement évolué à la hausse, le médiateur national de Pôle emploi ne dresse pas un tableau très positif des évolutions produites par la réforme. Le Gouvernement s'est par ailleurs fixé à nouveau des objectifs de contrôle très importants, alors même que beaucoup d'associations et de syndicats que nous avons rencontrés rappellent à juste titre – études économiques à l'appui – que l'écrasante majorité des chômeurs cherche effectivement un emploi. Donner l'impression qu'il en serait autrement et laisser à penser que durcir toujours plus les règles et les contrôles pourrait tout changer sur le front de l'emploi relève de l'ignorance ou de la démagogie : il y en a parfois dans ces réformes à répétition de l'assurance chômage.
Enfin, je ne peux pas conclure sans évoquer la dernière de ces réformes, qui résume à merveille l'ensemble des difficultés que je viens d'évoquer : établie par décret après l'échec des négociations de 2019, elle s'est faite dans l'opposition frontale avec les partenaires sociaux, et notamment avec les syndicats de salariés. Ceux‑ci ont du reste fait valoir leurs arguments devant le Conseil d'État, qui leur a donné raison à deux reprises, obligeant le Gouvernement à revoir sa copie par deux fois, une première sur le fond, une seconde sur le calendrier.
L'UNEDIC avait d'ailleurs parfaitement documenté les conséquences iniques de certains aspects de la réforme, et singulièrement celle du nouveau mode de calcul du salaire journalier de référence. Au total, la réforme pourrait produire plus de 2 milliards d'euros d'économies. Pour un régime qui verse une quarantaine de milliards d'euros de prestations, c'est tout simplement énorme ! Ces économies ne sont pas faites sur n'importe quelle population mais sur celle qui est la plus fragile et qui enchaîne les contrats courts : 1 150 000 bénéficiaires vont perdre en moyenne 17 % de leur allocation, d'après l'UNEDIC, et il ne s'agit que d'une des nombreuses mesures de cette réforme.
Hélas, le titre II de la loi « Avenir professionnel », dont je ne conteste pas nécessairement toutes les mesures dans le détail, est philosophiquement et juridiquement à l'origine de cette dérive qui tend à dénaturer le beau mot de réforme, synonyme pour vous de reculs des droits des plus fragiles. Cela suffit pour moi à la disqualifier.