Intervention de Sophie Boissard

Réunion du mercredi 16 février 2022 à 14h30
Commission des affaires sociales

Sophie Boissard, directrice générale du groupe Korian :

Je me suis peut-être mal exprimée, monsieur Vallaud. Je partage tout à fait ce que vous avez dit au sujet du choc anthropologique auquel nous sommes confrontés, et je ne prétends pas, à rebours du haro sur le lucratif, que celui-ci serait l'unique solution. Sur ces sujets très sensibles, qui renvoient à des parcours de vie et à des sensibilités différentes, il est très important qu'il y ait du choix. Nous avons besoin de plusieurs solutions dans les bassins de vie ; le pire serait de n'en avoir qu'une. Il faut garder de la pluralité.

Même si nous sommes une entreprise commerciale et même si nous n'avons pas de mission de service public, je suis convaincue que nous exerçons une activité d'intérêt général. J'en veux pour preuve le fait qu'entre 12 et 13 % des chambres relevant du réseau médico-social de Korian en France sont habilitées à l'aide sociale. C'est très important au regard de l'objectif de mixité que vous avez mis en avant. Nous pouvons accueillir, et nous accueillons des personnes dont le niveau de fortune et la situation personnelle peuvent être très différents. Je partage l'idée que la diversité et la mixité sont nécessaires.

Claude Évin, qui a dirigé l'ARS d'Île-de-France, a dit à la presse qu'il avait déclenché une alerte en 2014. Je peux vous dire ce que je sais – je n'étais pas dans le groupe à cette époque. Les échanges qui ont eu lieu s'inscrivaient dans le cadre du forfait, de 2,32 euros par lit, dont nous avons parlé tout à l'heure. L'ARS s'était demandé comment il était possible que l'on dépense toujours 2,32 euros par personne, quelles que soient les situations – c'était le mode de calcul dans le système tarifaire qui était alors appliqué, pour une raison que j'ignore. Je précise que les personnes qui ont instauré ce dispositif sont tout à fait honorables, et que je n'ai pas de raison de penser qu'il était illégal.

À l'issue des échanges avec l'ARS, qui ont duré plusieurs mois, si j'en crois nos archives, et qui se sont notamment traduits par la présentation des factures des dispositifs médicaux achetés, l'ARS a considéré qu'il n'y avait pas de surfacturation ou de sous-consommation de l'enveloppe allouée. Il faut ajouter que les dotations « soins et dépendance » ont toujours été nettement inférieures aux dépenses, notamment de personnel, en Île-de-France. C'est le cas dans notre groupe, mais aussi chez beaucoup d'autres acteurs à but lucratif, me semble-t-il. Le système était déficitaire : les établissements du groupe Korian percevaient moins que ce qu'ils dépensaient. En réalité, la question du forfait de 2,32 euros était donc assez secondaire.

J'ai également découvert dans la presse la demande d'une vision nationale des contrats de référencement et des relations nouées par les groupes présents dans plusieurs régions. Nicolas Mérigot l'a dit : il faudrait aller vers un CPOM national. La situation serait ainsi beaucoup plus claire. Comme la Cour des comptes l'a souligné, toute une série de fonctionnalités et d'appuis sont mutualisés dans les structures multirégions, et ce n'est pas propre au secteur lucratif : c'est également vrai dans les réseaux associatifs nationaux. Il serait logique de prendre en compte cette réalité dans une sorte de CPOM cadre.

S'agissant des contrôles réalisés depuis 2016, nous avons donné les chiffres. On en compte entre une dizaine et une vingtaine par an. Je ne me permettrai pas de dire si c'est suffisant et si les compétences sont là. Néanmoins, vu le nombre d'établissements médico-sociaux et tout le travail à faire, je pense qu'il faudrait passer par un système d'accréditation placé sous l'égide des ARS et dans le cadre duquel ces dernières pourraient faire intervenir des opérateurs spécialisés pour les aider à réaliser les contrôles d'une manière beaucoup plus régulière.

Je le redis : il faut évidemment des contrôles, notamment inopinés, dès lors qu'il existe des raisons de penser que quelque chose ne va pas. De tels contrôles inopinés ont lieu. Nous devons en avoir un ou deux par an, en général à la suite d'un signalement ou d'une plainte. Par ailleurs, je suis persuadée que la formation, la culture et la vigilance sont des éléments clefs dans nos métiers et que la gouvernance locale est suffisamment robuste pour permettre de repérer très tôt les dysfonctionnements – car il y en a –, grâce aux signaux faibles, et d'intervenir localement de la manière la plus préventive possible. Pour cela, il faut de la transparence, de la formation et beaucoup de dialogue.

En ce qui concerne le renforcement de la gouvernance, ce que vous avez dit me paraît intéressant et pertinent, madame Firmin Le Bodo. Il n'y a pas, à proprement parler, de conseils d'administration dans nos établissements, ce qui est un problème selon moi. Les CVS pourraient jouer plus largement ce rôle si on les transformait en conseils de parties prenantes. Ils serviraient de lieu pour examiner les indicateurs de qualité en matière de soins, les résultats obtenus dans le cadre des audits et des accréditations et les réponses aux enquêtes de satisfaction qui sont régulièrement menées.

Nous faisons chaque année une enquête complète dans les maisons de retraite, sur la base d'un questionnaire destiné à la fois aux résidents en mesure de s'exprimer et aux familles. Près de 40 % d'entre elles ont répondu au dernier questionnaire, ce qui est considérable. Ces enquêtes permettent de voir ce qui va bien mais aussi les améliorations à apporter. Par ailleurs, nous demandons aux gens s'ils recommanderaient vraiment l'établissement. Nous considérons que la réponse est positive lorsque la note attribuée est au moins de 8 sur une échelle allant jusqu'à 10 – en dessous, nous considérons que ce n'est pas une vraie recommandation.

Cette sorte de photo est en général prise au dernier trimestre. Nous réalisons également une enquête systématique, sur le même modèle, à l'issue d'un mois de séjour, afin de prendre la température. Nous avons recours à Ipsos, qui dispose de bases de données permettant de faire des comparaisons à la fois avec d'autres acteurs du grand âge et dans les sept pays où nous sommes implantés. Nous publions les résultats dans notre rapport annuel et nous les présentons dans chaque établissement. Voilà notre outil de mesure : je ne prétends pas qu'il est parfait, mais il me semble important.

Y a-t-il de la place pour un nouveau métier de responsable des relations avec les familles ? Oui, et nous avons commencé à le mettre en place. Notre objectif est d'installer partout, que ce soit auprès du directeur ou de la directrice de l'établissement, auprès de l'infirmier coordinateur ou de l'infirmière coordinatrice ou auprès de la personne qui gère toute la partie administrative, une personne vraiment dédiée à ce sujet, un interlocuteur naturel des familles pour résoudre ou prévenir tous les problèmes liés à la vie quotidienne dans l'établissement.

J'ai répondu à votre dernière question, madame Six, lorsque j'ai parlé des enquêtes de satisfaction.

Ai-je dénoncé un manque de financements publics ? Je ne me le permettrais pas. J'ai juste voulu dire qu'il faut prendre en compte le coût lorsqu'on parle du ratio de personnels présents. La loi ASV a permis d'augmenter significativement les dotations pour les soins, ce qui est vraiment positif et je ne voudrais pas qu'on l'oublie. Si on veut aller plus loin, vers un ratio de 8 pour 10, de 1 pour 1 ou de 1,2 pour 1 – j'ai évoqué les Pays-Bas où nous avons plusieurs structures, de petite taille, étant entendu qu'avoir 25 ou 30 lits produit une ambiance très différente, beaucoup plus familiale –, cela implique d'autres niveaux de financement. Pour continuer à faire progresser la rémunération des soignants, ce qui est un facteur d'attractivité important, il faut aussi le financement correspondant.

Aux Pays-Bas, les montants ne sont pas de 60 euros par lit et par jour en moyenne, mais de 200 euros, avec des contreparties très claires, en matière de taux d'encadrement – un ratio de 1,2 pour 1, dans des structures de bien plus petite taille – ou du point de vue des formations. Il y a un prix. Je pense qu'on ne peut pas demander aujourd'hui aux résidents ou aux familles de financer le complément. Il faut plutôt se demander ce qu'on veut pousser vers le secteur sanitaire et ce qu'on veut pousser vers un secteur médico-social adapté aux problématiques du grand âge et de l'accompagnement.

Je reviens sur la question des droits d'entrée ou de la « dîme » qui a été posée par Mme Dubié. Ce genre de pratique n'existe pas chez nous. En revanche, il est logique que des personnes qui privatisent régulièrement une partie d'un établissement, comme les coiffeurs, apportent une contribution à due proportion de leur utilisation.

Vous m'avez demandé ce que changerait le passage sous un statut d'entreprise à mission. Les institutions représentatives du personnel, en particulier le comité social et économique central (CSEC) français et le comité d'entreprise européen, se sont dites très favorables à une telle évolution. Nous nous étions déjà posé la question après l'adoption de la loi PACTE. Être une entreprise à mission implique d'être clair concernant sa raison d'être, sa mission, qui est inscrite dans les statuts.

À l'issue d'un travail auquel nos collaborateurs et nos conseils de parties prenantes, lorsqu'ils existent, ont été largement associés, nous avons abouti à la formulation suivante : soigner et accompagner les personnes âgées et fragiles et leurs proches, dans le respect de leur dignité, et contribuer à leur qualité de vie. Cette mission embrasse ce que nous faisons dans les maisons de retraite médicalisées, à domicile et dans les établissements de santé spécialisés – nous en avons beaucoup –, qui accompagnent, mais surtout soignent, dans la perspective d'un retour à une vie aussi autonome que possible. Il nous paraît important d'indiquer que nous sommes là pour les patients, pour les résidents, mais aussi dans une large mesure pour les aidants : nous leur offrons un répit, en servant de relais. Par ailleurs, les notions de dignité et de qualité de vie nous semblent essentielles. Il faut voir si c'est la bonne formulation et comment la traduire dans d'autres langues – ce ne sont pas des questions simples – mais notre raison d'être est définie et nous la suivons.

À côté du conseil d'administration, qui est très présent chez nous, et de ses comités spécialisés – nous avons notamment un comité éthique, qualité et RSE, qui siège tous les trimestres et qui regarde les indicateurs de qualité dont j'ai parlé, ainsi que les événements indésirables graves, même s'il ne le fait pas d'une manière individuelle, puisqu'il s'intéresse à la façon dont les audits se déroulent, aux principaux enseignements et aux risques –, une entreprise à mission est dotée d'un comité de mission, qui est le garant du fait que l'entreprise agit fidèlement à sa mission. Ce comité compte des représentants du personnel et des représentants des parties prenantes externes, et il a des moyens d'audit.

Il mène des audits non pas sur les situations individuelles mais sur l'ensemble de la gouvernance, afin de s'assurer que l'organisation fait ce qu'elle dit et réalise ses meilleurs efforts pour être fidèle à la raison d'être qu'elle s'est donnée et pour tenir ses engagements. Par ailleurs, le comité de mission rapporte publiquement chaque année, devant l'assemblée générale des actionnaires et dans le rapport d'activité, ce qu'il en est, c'est-à-dire ce qui va bien et ce qui va moins bien. Pour cela, je le répète, le comité de mission dispose de moyens d'audit et de certification indépendants.

Je pense que c'est plutôt la bonne direction à suivre, même si la question de la maturité peut se poser, s'agissant de la construction du comité de mission. Il ne s'agit nullement d'une martingale, mais cela va dans le sens d'une gouvernance très robuste et très saine.

J'en viens à la question portant sur les frais de siège, c'est-à-dire en gros le coût des fonctions centrales et support. Ces frais représentent à peu près 4 % du chiffre d'affaires.

M. Dharréville m'a demandé si nous avions des contrats précaires. C'est le cas, malheureusement, non parce que nous le souhaitons mais parce que nous devons recourir à des contrats à durée déterminée pour remplacer les absences prévues ou inopinées et assurer la continuité de notre activité. Par ailleurs, certaines personnes, avec lesquelles nous travaillons parfois depuis longtemps et très bien, ne veulent pas d'un CDI, pour de multiples raisons – par exemple parce qu'elles ont déjà un CDI dans une autre structure. Avons-nous été condamnés pour recours abusif à des contrats précaires ? Nous l'avons été une fois, pour des faits remontant à 2015. Voilà ce que je peux vous dire, sous le contrôle de Nadège Plou.

Pratiquons-nous un rationnement ? Absolument pas, je l'ai dit, qu'il s'agisse d'alimentation ou d'équipement. Si des faits de rationnement me sont rapportés, je considère que cela constitue une faute : c'est de la maltraitance, et les conséquences doivent en être tirées.

Un tiers du capital de la société est entre les mains de Crédit agricole assurances et de Malakoff Humanis, qui sont nos deux premiers actionnaires. Figurent aussi parmi les actionnaires la Caisse des dépôts et consignations et des fonds tels que Sycomore, qui sont très tournés vers les critères ESG – environnementaux, sociaux et de gouvernance. Pourquoi investissent-ils dans Korian ? Sans parler à leur place, je peux vous dire ce qui anime Crédit agricole assurances, qui est présent dans les territoires, auprès de populations qui vieillissent : cet actionnaire considère que son rôle est aussi de faire en sorte qu'il y ait partout des solutions de proximité et de qualité pour assurer ce bien essentiel et supérieur qu'est la santé. C'est pour cette raison que le Crédit agricole est présent à notre capital depuis quatorze ans et qu'il accompagne la société – il l'a beaucoup fait en ce qui concerne notre diversification.

En effet, Korian, c'est aussi Petits-fils, et ses 220 agences présentes dans des villes, notamment moyennes, et de plus en plus dans des zones rurales, et c'est également Âges & Vie. Sans le Crédit agricole et la Caisse des dépôts et consignations, nous n'en serions pas là. Nous avons un petit véhicule d'investissement, de 300 millions d'euros – et nous allons en remettre 400 – qui nous a permis de construire des habitats inclusifs, des colocations de seize personnes dans des petits bourgs ou des villages, avec deux auxiliaires de vie qui habitent sur place, en compagnie de leurs enfants, et des collaborateurs qui se relaient. Ces colocations sont destinées à des personnes fragiles, isolées, mais pas dépendantes, notamment sur le plan cognitif.

Nous avons des actionnaires qui soutiennent vraiment nos investissements. En 2020 – nous n'avons pas encore approuvé les chiffres de 2021 –, Korian a réalisé 1,8 milliard d'euros de chiffre d'affaires en France. La même année, 1,1 milliard d'euros ont été consacrés aux salaires et aux charges, soit près de 60 % du total, et 500 millions aux achats externes et aux loyers – en effet, nous ne sommes propriétaires que d'un quart de notre parc. Le résultat net, déduction faite des impôts, des frais financiers et des frais de siège, représente 4 % du chiffre d'affaires. À l'échelle du groupe, le chiffre d'affaires s'élevait à 3,8 milliards d'euros en 2020 et nous avons versé 30 millions d'euros de dividendes, dont 15 millions ont été réinvestis par les actionnaires, puisqu'ils ont été payés en actions – ils ont en fait remis de l'argent dans le capital de la société. Au cours de la même année, nous avons investi 400 millions d'euros en France dans le médico-social, dans les cliniques et dans Âge & Vie. Vous voyez que nos actionnaires n'ont vraiment pas une approche prédatrice.

Notre résultat net est plus faible – on m'a suffisamment dit que Korian n'était pas assez profitable… – que celui des autres groupes qui œuvrent dans le même secteur, et notre niveau d'investissement est beaucoup plus important. Je peux le faire parce que j'ai la chance d'avoir des actionnaires qui ont une vision de long terme et qui veulent absolument que le secteur se développe sur le plan de la qualité et dans la durée.

À titre de comparaison, le résultat net d'une entreprise industrielle comme Michelin était de 9 % de son chiffre d'affaires avant la crise. Pour notre part, nous investissons 400 millions en France sur un chiffre d'affaires de moins de 2 milliards, ce qui est considérable. Je ne sais pas si vous connaissez beaucoup d'acteurs qui en font autant. Ces 400 millions sont investis dans la rénovation de notre parc ou dans les systèmes d'information.

Notre résultat net est nettement inférieur à 5 % en France et à 3 % au niveau du groupe. Si nous n'étions pas bénéficiaires, néanmoins, nous ne pourrions pas garder durablement nos actionnaires. Ils ont eux-mêmes besoin de servir leurs actionnaires ou leurs assurés, même s'ils ont une vision de long terme, et nous avons besoin d'argent pour pouvoir rénover le secteur, le transformer. Chacun a évidemment le droit d'avoir sa propre opinion, mais il me semble qu'on peut parler de bénéfice raisonnable – et je trouve que c'est une notion qui a un sens dans notre secteur.

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