Intervention de Isabelle Schwartz

Réunion du jeudi 17 février 2022 à 9h05
Commission des affaires sociales

Isabelle Schwartz :

Je tiens tout d'abord à vous remercier de me faire l'honneur d'apporter mon témoignage au sein de votre commission. Je témoigne en tant que fille d'une victime, Mme Monique Schwartz, qui séjournait à la résidence Le Corbusier du groupe Orpea, à Boulogne-Billancourt, du 9 mars au 30 juillet 2020.

Elle y était placée pour quelques mois, le temps de mettre en place un hébergement à domicile. Lors de son entrée, elle présentait de très légers troubles cognitifs et un début d'Alzheimer. Elle marchait seule, était autonome et allait aux toilettes ; elle avait bon appétit, elle était souriante et bavarde. Le 9 mars 2020, date de son admission dans cet EHPAD, marque le début de la descente aux enfers.

Je l'y ai laissée avec un immense sentiment de culpabilité, mais j'étais également sereine car la direction de cet établissement avait promis des soins attentifs, des repas chaleureux et délicieux ainsi que des activités ludiques. Ma mère était supposée vivre bichonnée et en toute sécurité – et je payais cher pour cela.

Le 11 mars 2020, survient le confinement. Je ne pouvais plus la voir. Seulement quelques appels téléphoniques en FaceTime étaient autorisés. Mais il fallait obtenir un rendez-vous, et il n'y avait jamais de place.

Quatre accidents principaux ont marqué son séjour, dont le dernier lui fut fatal.

Le 27 mars 2020 : première chute, soit dix-huit jours seulement après son entrée. Je n'ai été prévenue que le lendemain par un appel téléphonique. Je cite : « Votre mère est tombée, elle a beaucoup saigné. La moquette est tachée. On l'a trouvée au sol, il y avait beaucoup de sang autour d'elle. Mais, lorsqu'on est arrivé, elle ne saignait plus. » J'étais sans voix, outrée et consternée. J'ai immédiatement demandé si l'on avait réalisé des points de suture et des radios. Seule réponse : « On est arrivé trop tard, elle ne saignait plus. » N'est-ce pas une violence par négligence et de la non-assistance à personne en danger ? J'ai pu rendre visite à ma mère, quelques jours plus tard. Elle présentait un énorme hématome derrière la tête, lui interdisant tout appui. Aucune prise en charge n'avait eu lieu et je n'ai eu aucune explication concernant cet accident.

En dépit du confinement, je me rendais à la résidence plusieurs fois par semaine. Une vitre nous séparait. Au début, elle arrivait en marchant. Puis au fur et à mesure des semaines, son état se dégradait et elle ne pouvait plus se déplacer qu'en fauteuil roulant. À chaque visite, elle dévorait goulûment le gâteau que je lui amenais. Elle semblait affamée et déshydratée. À ma question : « Mange-t-elle ? », l'on me répondait : « Bien sûr. » Rien n'était moins sûr, mais loin de moi l'idée d'imaginer qu'elle était mal nourrie et mal hydratée, compte tenu du standing apparent de cet EHPAD.

Un jour, lors d'une visite, ma mère me montra une énorme couche qui lui arrivait presque sous la poitrine. Quelle humiliation ! Afin d'être tranquilles, ils leur mettent d'énormes couches pour récolter les urines et les selles de la journée, ce qui est inacceptable et dangereux.

Deuxième accident le 30 mai, soit deux mois et demi après son entrée. Ma mère baisse son masque et je découvre que toutes ses dents sont cassées, ainsi que ses facettes. Personne ne m'avait prévenu, alors que je suis chirurgien-dentiste. La seule explication est qu'on ne lui lavait pas les dents et qu'elle ne buvait pas assez, d'où l'apparition rapide de caries, provoquant des fractures des dents et la perte des facettes. C'est donc un nouvel exemple de maltraitance par négligence. J'ai exigé de me rendre dans sa chambre, afin de l'examiner. Son état buccal était catastrophique. Son état physique se dégradait. Le syndrome de glissement s'accentuait à une vitesse impressionnante et Alzheimer s'aggravait.

Troisième accident : une grave chute provoquant une fracture de l'épaule. Elle avait chuté le 4 juillet ; j'ai été prévenue d'une suspicion de fracture le 5 juillet à douze heures trente. Ils l'avaient couchée sans appeler un médecin. Dès mon arrivée, je l'emmène en ambulance aux urgences. Elle avait effectivement une fracture de l'épaule droite et devait rester sous contention pendant plus d'un mois, sans bouger l'épaule. Ma mère est restée sans soins une journée en souffrant ; c'est une mise en danger délibérée de la vie d'autrui et, encore une fois, de la non-assistance à personne en danger.

À partir du 5 juillet, les maltraitances se répétaient chaque jour. En dépit de la prescription médicale, on lui retirait son attelle pour lui enfiler un t-shirt. Un vrai martyre et une faute grave. Je me plaignais. On me riait au nez en me disant que c'est ma mère qui enlevait son attelle, ce qui était totalement impossible.

Quatrième accident le 30 juillet 2020. Je reçois un appel vers dix-huit heures pour me dire que ma mère est tombée en début d'après-midi et qu'elle n'était pas bien. J'arrive immédiatement à la résidence Le Corbusier et je trouve ma mère gisant dans son lit, gémissant de douleur, livide et susurrant : « J'en peux plus, j'en peux plus, j'ai trop mal. » Consternée, je me retourne vers l'infirmier qui me dit : « On l'a d'abord assise. Elle n'était pas bien. Puis on l'a couchée. Personne ne l'a vue. » Grave faute médicale : on a laissé ma mère souffrir pendant des heures, sans soins d'urgence et sans me prévenir.

Je pars immédiatement avec l'ambulance pour l'hôpital. Diagnostic : fracture de l'épaule non consolidée, fracture du sternum, fractures de côtes droites et gauches, fracture des dorsaux lombaires, déshydratation totale et énorme hématome à l'arrière du crâne – j'en tremble. Ma mère était dans un état proche de la fin de vie. Elle est restée hospitalisée un mois dans des souffrances atroces, mais elle a lutté. Elle est sortie de l'hôpital pour rentrer chez elle, où une structure d'accueil à domicile avait été mise en place.

Elle s'est éteinte le 29 septembre 2021, à la suite de l'accélération de sa maladie d'Alzheimer, qui fut la résultante de toutes ces fractures, ces souffrances et des maltraitances qu'elle a subies chez Orpea.

En conclusion, ma mère est décédée, et si je témoigne aujourd'hui, c'est pour les autres. Tous mes propos sont vérifiables, avec des SMS, des photos et des vidéos. Ma mère a vécu un calvaire dans cet établissement. Ils ont fait preuve d'incompétence, de violence, de négligence, de malhonnêteté et de mensonges. Elle a subi douleurs et humiliations.

Nos aînés sont vulnérables, fragiles. Ils ont défendu la France pendant la dernière guerre. Ils ont eu une vie sociale et professionnelle et sont à l'origine de notre histoire individuelle et collective. On leur doit respect, soins et douceur.

Cet établissement fait preuve d'inhumanité, de manière récurrente, sans aucune retenue ni aucun scrupule. La vérité doit éclater.

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