Intervention de Sophie Mayer

Réunion du jeudi 17 février 2022 à 9h05
Commission des affaires sociales

Sophie Mayer :

Je vous remercie infiniment de nous donner la parole. Avant de vous parler du cas de ma mère, il me semble important de prendre en compte la situation générale des personnes âgées. Celle-ci doit absolument devenir une cause nationale. Quels que soient notre sexe, notre religion, notre couleur de peau ou nos convictions politiques, nous allons vieillir. C'est inéluctable. Et il n'y a qu'une chose d'irrémédiable, c'est la mort.

Il faut travailler à un projet d'amélioration de la prise en charge de nos aînés et de leurs conditions de vie, qui doit devenir une cause nationale. Comme l'a souligné Isabelle, ils ont travaillé toute leur vie et ont œuvré pour la France.

Ma mère vivait chez moi, où j'avais aménagé un studio aux normes handicapés. Elle s'y est installée après le décès de mon frère, handicapé moteur cérébral. Le deuil étant trop fort, elle s'est anémiée de manière très importante et a dû être hospitalisée. À la suite de cela, il était impossible de la reprendre à notre domicile. On nous a conseillé de recourir à une prise en charge temporaire. Il est très difficile de trouver une structure d'accueil pour cela.

Alors nous avons visité plusieurs établissements, en essayant de faire pour le mieux. Croyez-moi, ce n'est pas une partie de plaisir.

Un jour, vous tombez sur une maison qui « vend du rêve ». On vous accueille avec un tapis rouge, on vous fait visiter une magnifique chambre, très claire avec un grand balcon. Et on vous dit qu'elle est réservée pour votre mère. On fait valoir qu'un médecin est présent en permanence, en montrant le bureau où se relaient deux médecins. La maison de retraite est mitoyenne d'une clinique et il existe un accès direct entre les deux bâtiments. On me dit : « Vous voyez, vous n'avez rien à craindre. »

Ma mère s'est donc installée dans cette fameuse chambre. Un mois plus tard, je viens et je ne l'y trouve pas. Le lit est fait – vous imaginez le choc psychologique que cela peut représenter. On m'annonce qu'elle a été transférée dans une autre chambre, sans m'avoir prévenue. Celle-ci est beaucoup plus petite et beaucoup plus sombre. Je demande des explications à la direction et on me dit qu'il faut pour ma mère une chambre avec des rampes au plafond, pour faciliter les manipulations. Un mois plus tard, même épisode : une autre chambre, encore plus sombre et encore plus petite, et cette fois sans rampes au plafond ; miraculeusement, ma mère n'avait donc plus besoin de cet équipement… J'ai de nouveau demandé des explications, mais chez Orpea on ne vous répond jamais. Leur grande ligne de défense, c'est le déni.

Certains d'entre vous poseront des questions sur ce à quoi nous avons tous été confrontés – et il ne s'agit pas de détails : cette affreuse odeur d'urine, tout ce qui concerne les protections et la malnutrition – si quelqu'un ne peut pas couper de viande et qu'on ne l'y aide pas, il ne mange pas. Ce sont des faits, sur lesquels nous pourrons revenir.

Le 14 novembre 2018, je reçois à cinq heures du soir l'appel d'un aide-soignant, qui me dit que ma mère est tombée la veille durant l'après-midi, qu'elle semble avoir un peu mal et qu'il préfère l'envoyer à l'hôpital. Pourquoi ne pas m'avoir prévenue vingt-quatre heures auparavant ? Je rejoins ma mère à l'hôpital, où je la trouve en pleurs, ivre de douleur – elle qui ne pleurait jamais. Je n'oublierai jamais les grosses larmes qui coulaient le long de ses joues. Elle subit une radiographie, qui permet de constater qu'une jambe est fracturée. Comme on ne peut pas l'opérer sur place, elle est transférée à l'hôpital Saint-Antoine.

Après avoir évalué le bénéfice et le risque – elle était sous anticoagulants –, les médecins décident de l'opérer, ce qui est fait vingt-quatre heures plus tard. Une radio de contrôle réalisée après l'opération montre que la seconde jambe était également fracturée, depuis quarante-huit heures donc. Nouvelle opération sous anesthésie générale.

À la suite de tout cela, ma mère est victime d'un mini-accident vasculaire cérébral. Le médecin qui s'occupe d'elle à l'hôpital Saint-Antoine m'indique qu'il n'est pas question de la renvoyer à l'EHPAD, car il y a suspicion de maltraitance. Elle était couverte d'escarres et souffrait d'une infection urinaire épouvantable, due aux changements insuffisants de protections. Le médecin m'explique qu'après un choc pareil l'espérance de vie de ma mère est réduite à environ six mois, au mieux.

Elle revient donc à la maison, où une structure adaptée a été mise en place. C'est une hospitalisation à domicile comportant des soins palliatifs, puisque nous savions que, de toute façon, elle ne se remettrait pas de ce choc. Elle a passé ses dernières semaines à la maison, dans des souffrances épouvantables que je ne souhaite pas à mon pire ennemi. Les escarres se sont aggravées, les fractures ne se consolidaient pas, elle était sous calmants – ce fut une situation horrible. Ma mère est partie le 17 mars 2019.

À la suite de cela, j'ai absolument voulu savoir ce qu'il s'était passé. Pendant plusieurs semaines, j'ai essayé de voir la directrice de la résidence La Chanterelle, au Pré‑Saint‑Gervais, appartenant au groupe Orpea. Elle était toujours prétendument absente ou en réunion. J'obtiens enfin un rendez-vous. Je me retrouve face à un tribunal composé de la directrice de l'établissement, de la représentante départementale d'Orpea, de la psychologue et d'infirmiers. En revanche, aucun des deux médecins n'est présent.

On me dit que ma mère ne serait pas tombée dans l'après-midi, mais durant la nuit précédant son hospitalisation, ce qui est absolument faux. Alors qu'elle avait encore toute sa tête, elle m'avait confirmé qu'elle était tombée aux alentours de l'heure du goûter. C'est également ce que m'avait dit l'aide-soignant lorsqu'il m'avait téléphoné, mais il l'a nié devant la direction d'Orpea. Ils m'ont montré un cahier qui – j'en suis certaine – a été falsifié en notant une chute à quatre heures trente du matin.

Quelle que soit l'heure, j'ai voulu savoir pourquoi nous n'avions pas été prévenus. On m'a répondu qu'elle ne se plaignait pas et que, de toute façon, « les personnes âgées ne ressentent pas la douleur » – mot pour mot.

J'ai voulu savoir comment elle était tombée. Ils m'ont expliqué que ma mère avait enjambé la barrière de son lit médicalisé, en pleine nuit. Il faut savoir qu'elle ne pouvait se déplacer qu'en fauteuil roulant, ne pouvait pas bouger et qu'elle prenait des somnifères. C'était matériellement, médicalement et humainement impossible. La réaction d'Orpea suit leur ligne de défense permanente : la négation et l'absence de réponse. Ils ont maintenu leur version. Trois jours plus tard, j'ai reçu un courrier en recommandé avec accusé de réception qui indiquait que la responsabilité de l'établissement La Chanterelle n'était pas engagée, en affirmant de nouveau que ma mère aurait enjambé la barrière.

Ma mère est donc restée quarante-huit heures avec les deux jambes brisées.

Je ne pense pas que quiconque puisse faire cela à un animal.

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