Intervention de Lionel Sajovic

Réunion du jeudi 17 février 2022 à 9h05
Commission des affaires sociales

Lionel Sajovic :

Mon témoignage est quasiment identique à ceux qui ont précédés.

En préambule, j'indique que j'effectue cette démarche pour que mes enfants n'aient pas à prendre ce type de décision quand je ne serai plus capable de rester chez moi. Je ne veux pas qu'ils me mettent dans un mouroir, ce terme étant bien en dessous de la vérité.

Quand notre mère est décédée en 2017, l'état de notre père s'est dégradé. C'était quelqu'un de très actif, qui adorait les fêtes foraines et les croisières. Il a subi un choc, et nous l'avons maintenu dans son appartement pendant plusieurs mois en engageant des aides à domicile. Mais vous savez ce que c'est : on tombe sur du bon et du beaucoup moins bon… Il est devenu très difficile de garder mon père et, pour finir, nous n'avons plus eu le choix et avons dû nous tourner vers les EHPAD. Nous en avons visité une vingtaine, situés en région parisienne, dont la plupart étaient dans un état lamentable. C'était très difficile jusqu'à ce qu'on tombe sur un « hôtel cinq étoiles » : un établissement très bien tenu, avec un personnel très bien habillé, sans une seule fuite apparente, avec des chambres magnifiques et un réfectoire digne d'un grand restaurant parisien. Malgré le coût – et encore avons-nous apparemment bénéficié d'un tarif préférentiel, soit 5 000 euros par mois, ce qui est déjà faramineux –, nous avons décidé d'installer notre père dans l'établissement Les Terrasses des Lilas, appartenant à Orpea.

Cela s'est bien passé les premiers jours. Puis nous avons souvent retrouvé mon père dans un état lamentable ; en attestent les dizaines de courriels qui ont été échangés entre mes frères et sœurs ainsi que mes tantes avec la direction d'Orpea. Ma sœur disait qu'il se clochardisait. Son état de santé se dégradait. Le médecin ne venait jamais lui rendre visite. Sa carte Vitale était perdue ou prêtée à quelqu'un d'autre. Ses ongles étaient longs et cassés ; personne ne les coupait. Il n'était pas rasé. Ses vêtements n'étaient pas changés pendant cinq ou six jours d'affilée, alors que son pantalon était souillé d'urine.

Après plusieurs demandes d'explications, nous nous sommes aussi retrouvés face à un tribunal comprenant une dizaine de personnes qui assuraient que tout allait bien, que nous avions été entendus et qu'il allait être remédié à la situation. On referait le point au bout d'un mois ou deux et l'on s'apercevrait que finalement tout allait bien.

Puis la direction d'Orpea nous a signifié qu'ils avaient du mal avec mon père, alors qu'il avait toute sa tête et qu'il avait été un grand chef d'entreprise. Ils ont proposé de lui mettre à disposition davantage de personnel médical, en le mettant en unité protégée. C'est l'unité où sont placées les personnes qui souffrent de troubles cognitifs. Nous avons accepté la proposition et ce fut une véritable descente aux enfers.

Il a été battu ; nous en avons les preuves. On ne sait pas par qui et personne ne nous en a averti jusqu'à ce que la jeune fille que nous avions employée pour tenir compagnie à notre père et le promener nous dise qu'elle l'avait retrouvé dans une mare de sang, couvert d'ecchymoses. Orpea n'a jamais donné d'explications. Pour eux, il ne s'est jamais rien passé, il est tombé tout seul ou il s'est cogné. Cela a continué de cette manière, avec de nombreux épisodes. Notre père a trouvé des gens qui dormaient dans son lit, à sa place. On ne sait pas si c'était un accident ou si c'était volontaire de la part d'Orpea. Quoi qu'il en soit, c'était un accident récurrent. Il était drogué et nous l'avons trouvé dans un état léthargique à plusieurs reprises. Nous n'avons jamais eu d'explications, bien évidemment.

Au début de la crise du covid-19, l'établissement a été fermé, sans concertation. Un message laconique de la direction d'Orpea nous a signifié que les visites étaient interdites. Point. Pas de dialogue, pas de réponse au téléphone. Quelques jours après, on propose un entretien téléphonique avec les résidents. Mais avec un seul téléphone pour un établissement qui compte sept étages, cela ne permet qu'environ cinq minutes de conversation par semaine. Ensuite, ils ont essayé de fournir des tablettes. Mais à raison d'une seule par établissement, cela signifiait qu'avec de la chance, nous pouvions avoir une conversation par semaine, à condition que l'appareil et internet fonctionnent.

De fil en aiguille, nous avions du mal à entretenir le contact avec notre père. On nous disait qu'il ne fallait pas s'inquiéter, qu'il était en pleine santé et participait à des activités – alors qu'il n'en faisait plus aucune puisqu'ils le laissaient dans sa chambre du matin jusqu'au soir. Nous avons appris plusieurs fois de suite qu'il ne mangeait plus. Jusqu'à ce jour où une aide-soignante a téléphoné à ma sœur, probablement parce qu'elle ne savait pas comment faire et qu'il n'y avait pas de médecin. Vous trouverez facilement l'enregistrement de cette conversation sur le site du journal Le Parisien et sur YouTube : l'aide-soignante demande que faire, car mon père ne pouvait plus parler, et on entend comme les halètements d'un chien. Ma sœur a demandé qu'on lui passe une infirmière ou le standard, pour essayer de faire quelque chose. Il n'y a jamais eu de suite.

Nous avons compris que notre père allait très mal, alors qu'on nous avait dit qu'il allait parfaitement bien. Nous avons fait des pieds et des mains, nous avons fait jouer nos relations pour que je puisse m'introduire dans l'EHPAD – et j'emploie le verbe « s'introduire » sciemment – équipé de gants, d'une blouse et d'une charlotte. J'ai vu mon père qui agonisait. Mais il respirait parfaitement, ce qui me laisse penser qu'il n'avait pas le covid. Il n'y avait pas d'assistance respiratoire. Il ne répondait pas aux stimuli et il est décédé vingt-quatre heures plus tard.

On ne nous a présenté ni excuses ni condoléances. On nous a rendu ses affaires dans des sacs poubelles, plusieurs semaines plus tard, au fin fond d'un parking – comme s'il était un pestiféré.

Évidemment, nous n'avons jamais récupéré son dossier médical. Quelques jours après, on nous a même réclamé 200 euros au titre d'une erreur de facturation. J'ai répondu que la directrice pouvait aller se faire... je m'arrêterai là.

C'est notre drame. Et je ne veux absolument pas que mes enfants aient à subir cela le jour où, malheureusement, ils auront des décisions de ce genre à prendre.

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