Intervention de Isabelle Schwartz

Réunion du jeudi 17 février 2022 à 9h05
Commission des affaires sociales

Isabelle Schwartz :

Bien évidemment, le choix de l'établissement est fait avec intelligence et discernement. Il ne s'agit pas d'envoyer ses parents à l'hôtel : on cherche une structure médicalisée – même si les EHPAD sont non pas des hôpitaux mais des structures de surveillance.

Ma mère s'était cassé le col du fémur quelques mois auparavant. Elle était dans un centre de soins de suite. Il fallait qu'elle rentre à son domicile, mais je devais faire des aménagements et avoir la certitude que quelqu'un serait auprès d'elle vingt-quatre heures sur vingt-quatre ; or, je ne l'avais pas. On m'a dit qu'elle devait quitter le centre Clinea. Celui-ci jouxtait Orpea, et les deux établissements appartenaient au même groupe. C'est le directeur du centre qui m'a dit de mettre ma mère dans cet EHPAD. Je lui ai répondu que, dans ma famille, nous ne mettions pas les vieux en EHPAD. J'avais toujours juré que ma mère resterait à la maison, comme avant elle tous les autres membres de la famille. Mais j'ai fait pleinement confiance à cette personne. On m'a fait visiter la chambre, qui était identique à celle du centre de soins de suite, et on m'a dit qu'il y avait un médecin coordonnateur, des infirmiers de nuit, une surveillance nuit et jour.

J'avais spécifié que, de mon côté, je pouvais être contactée vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Tous mes patients pourront l'attester : même à mon cabinet, j'avais mon téléphone en permanence à côté de moi. Je le surveillais, prête à bondir. J'avais du personnel qui allait voir ma mère dans la journée. Elle n'était donc pas abandonnée, et j'avais pris soin de choisir une structure médicalisée.

Ce n'était pas du snobisme, il ne s'agissait pas d'avoir un cinq-étoiles ou un quatre‑étoiles, mais je voulais une belle structure : quand nos parents ont vécu dans un certain cadre, nous n'allons pas les mettre dans un établissement nettement inférieur. L'une des choses les plus importantes à observer, pour moi, c'était la propreté de l'établissement. J'avais tout vérifié : les sanitaires, le fait que la douche soit adaptée, les toilettes. Le lit était tout petit. La chambre faisait à peu près 11 mètres carrés, salle de bains comprise. C'était minuscule. Il est difficile, pour une personne vivant dans un appartement normal, de se retrouver enfermée dans un tel espace de vie. Disons que c'est un peu plus beau qu'une chambre d'hôpital.

J'ai donc utilisé mon discernement avant de confier ma mère à cet établissement. J'ai fait confiance à la direction. C'était un déchirement de mettre ma mère vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans un établissement, j'éprouvais un sentiment de culpabilité terrible, mais ce n'était que pour quelques mois. Il est vrai qu'il y a eu le covid-19, mais cela n'explique pas tout.

Ma mère était directrice d'hôpital. J'ai vécu dans les hôpitaux étant petite ; je sais comment cela fonctionne. Je me souviens des gardes qu'elle assurait le dimanche et la nuit : on l'appelait et elle descendait dans les services. Les mal-fonctionnements dont nous parlons commencent au niveau de la direction. Quand le directeur d'un établissement contrôle ses employés et ses médecins, fait des tours, encadre, de tels dysfonctionnements ne se produisent pas. C'est une pyramide : la déficience vient d'en haut.

Certains membres du personnel soignant sont dévoués, gentils, mais d'autres sont méchants et jaloux du fait que l'on dépense autant pour des personnes âgées : « On paie 6 000 euros par mois pour eux, quand nous, nous sommes au SMIC et que nous avons des enfants ! » Ils habitent souvent très loin de l'établissement où ils travaillent et ont de longs temps de trajet. L'idée que des personnes âgées se fassent dorloter leur déplaît. Ce qui est inadmissible, c'est qu'aucune explication ne soit fournie lorsque l'on porte à notre connaissance certaines chutes.

Moi non plus je n'ai pas voulu lire le livre car je voulais être totalement objective.

J'ai saisi maître Saldmann en 2020, car j'avais déjà reçu à ce moment-là des courriers en recommandé. Je n'ai pas porté plainte immédiatement parce que ma mère était mourante. Nous avons réussi à la maintenir pendant un an. J'y allais tous les jours. Pendant ses deux dernières années, j'ai mis ma vie entre parenthèses. En tout et pour tout, j'ai pris deux fois cinq jours de vacances pendant cette période. Ma vie privée et familiale est passée au second plan car je voulais soutenir ma mère. Je ne regrette rien, c'est un choix que j'ai fait et dont je suis fière.

Quand elle était chez elle, elle n'a jamais eu un seul bleu sur les bras. Elle n'est jamais tombée non plus. J'en arrive donc à m'interroger sur les traces qu'elle portait. Je ne dis pas que les personnels frappent les résidents, mais ils doivent les tenir fermement, et les personnes âgées marquent plus. Et puis, pourquoi ces chutes à répétition ? Ne leur donnerait-on pas des produits pour qu'ils soient plus calmes – est-ce qu'on ne les abrutirait pas ? Je me pose la question. Je n'ai aucune preuve, bien sûr, et je ne suis pas le genre de personnes à porter des accusations sans en avoir. Du reste, je suis là non pour accuser mais pour témoigner.

Je suis une maniaque des photos et des vidéos. Hier soir, en préparant le petit rapport que je devais vous faire, je suis tombée sur des vidéos dans lesquelles ma mère me parlait. J'ai éclaté en sanglots. J'étais à mon bureau, c'était après mes consultations. Elle est décédée le 29 septembre, il y a cinq mois à peine. J'ai vu comment elle était au début : elle riait. Quand je compare avec son état, après… Sa maladie d'Alzheimer s'était aggravée. Elle est restée chez elle trente-neuf jours sans boire ni manger, avec simplement une perfusion sous-cutanée. Si je ne voulais absolument pas la remettre à l'hôpital, c'est parce qu'elle-même ne le voulait pas. Je ne montrerai aucune photo : c'est trop dur. C'est un déchirement. Elle a agonisé. Son visage était celui d'une prisonnière de camp de concentration.

Ma mère aurait survécu à la guerre mais pas à cela ? Non, ce n'est pas possible. Elle avait des troubles cognitifs légers, mais cela n'avait rien à voir avec le syndrome de glissement. On sait comment évolue la maladie d'Alzheimer : il y a des paliers, des chutes.

On m'a empêchée, après sa première fracture, de passer la nuit auprès d'elle. Cela ne me dérangeait pas de m'asseoir simplement par terre et de lui tenir la main. Elle avait besoin de cette tendresse. Le toucher, le regard, c'est important. À la fin, nous ne communiquions plus qu'avec cela. C'est fondamental pour les personnes âgées, comme pour les bébés. J'ai demandé qu'on mette des barrières à son lit, pour éviter qu'elle ne tombe de nouveau ; on l'a interdit.

Le médecin régulateur était vraiment un être inhumain, dépourvu de la moindre empathie. De telles personnes n'ont de médecin que le titre. Moi qui suis une soignante, je bichonne mes patients ; je fais preuve d'empathie, il s'agit d'êtres humains. Dans ces établissements, les gens sont traités comme des choses. Parmi les médecins ou le personnel, il y en a beaucoup qui ne pensent pas qu'ils travaillent sur de l'humain : ils accomplissent de simples tâches. Le pire, c'est que dans le lot, figurent des médecins extérieurs, des gériatres, qui passent voir les patients et que l'on paie en plus. J'ai gardé trace de mes échanges avec le gériatre de ma mère, notamment par SMS. Je lui signale de la constipation, ce qui est très grave chez les personnes âgées : il y a un risque d'occlusion, cela peut être mortel. Or il ne venait pas, ne répondait pas. Ayant des relations dans le milieu médical, j'avais même fait téléphoner un grand chef de service de cardiologie, travaillant dans un hôpital de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Il avait donc appelé le gériatre pour lui dire ce qu'il fallait faire, selon lui, pour ma mère. Le gériatre s'est contenté de me dire : « C'est étonnant, ce chef de service qui me téléphone. Il n'est pas prétentieux ! » Je lui ai répondu qu'il était tout simplement humain, même s'il jouissait d'une renommée internationale. Et lui, ce gériatre, qu'était-il ? Un marchand de soupe ?

Je pense qu'il est possible de changer les choses tout en gardant des structures comme celles-là, mais cela suppose de faire des contrôles et de proposer de vraies formations au niveau de la direction. En outre, le personnel doit être motivé. Dans l'établissement où se trouvait ma mère, il y avait prétendument un infirmier toute la nuit. Je téléphonais tout le temps. Je passais pour une inquisitrice. Il ne répondait pas, ou me disait qu'il ne savait pas. À la première fracture de ma mère, lorsque nous sommes rentrées après avoir passé des heures aux urgences à Ambroise-Paré, je lui dis : « Il faut mettre les choses au point, il va y avoir un traitement. » Il me répond : « Madame, il est vingt heures, c'est l'heure du changement de personnel, je m'en vais. » Et moi : « Comment ? Vous n'attendez même pas l'arrivée du suivant pour lui passer les informations ? » Quand ils ont un tel état d'esprit, on ne peut pas travailler avec les soignants. Lors de la formation, des contrôles psychologiques doivent être faits. Il faudrait établir un profil de personnes capables de travailler avec les personnes âgées.

Ces dernières sont dépersonnalisées : on oublie que ce sont des gens dont certains exerçaient des responsabilité dans la cité et ont fait de grandes choses. Or on les traite comme des débiles, on les met dans un coin. Si par malheur ils ont une certaine personnalité, comme c'était le cas de ma mère au début, on les mate : « C'est une emmerdeuse, on l'enferme. »

Nous savons bien que les EHPAD sont des structures médicalisées et non des hôpitaux ; les deux choses sont totalement différentes. Mais il faut qu'il y ait une vraie surveillance, et cela n'a rien à voir avec le nombre d'étoiles ou la taille de la chambre. Nous sommes prêts à dépenser beaucoup pour nos parents. Ils nous ont donné le jour, nous leur devons la vie ; si nous sommes là où nous sommes, c'est parce qu'ils nous ont élevés, et c'est un juste retour que de les servir jusqu'à leur départ.

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