Intervention de Brigitte Bourguignon

Réunion du mardi 8 mars 2022 à 21h30
Commission des affaires sociales

Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie :

Madame la présidente, chère Fadila, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, j'aimerais d'abord vous faire part de mon émotion, qui est sincère, à l'exposé du bilan des travaux de cette belle commission, que j'ai présidée avant d'en céder les rênes à Fadila Khattabi. Je garde de cette législature le souvenir d'une commission engagée, mobilisée dès les premiers jours, avant les autres. Nous nous sommes particulièrement attachés à renforcer des droits sociaux, réactiver un modèle social français et protéger les plus fragiles contre les aléas de la vie.

Tandis que le mur démographique n'a jamais été si proche, j'espère ne vexer personne en disant que le pays n'était pas préparé. Il était sans cap ni moyens. Nous avons hérité d'une situation préoccupante, au regard du sous‑investissement public et de l'attractivité des métiers, ce qui a incité cette commission, sous ma présidence, à explorer les solutions les plus indiquées pour faire évoluer les politiques publiques consacrées aux EHPAD, et plus largement au secteur du grand âge et de l'autonomie.

Nous sommes réunis ce soir pour évoquer, au terme de vos travaux, les axes retenus par le Gouvernement pour renforcer les contrôles et la transparence dans les EPHAD après le scandale Orpea. Toutefois, permettez-moi d'élargir la focale.

Ma nomination est intervenue dans le contexte que chacun ici connaît, au terme de la première vague de covid‑19. Cette période a montré que le secteur du prendre soin était totalement mobilisé au service de nos aînés, même au plus fort de la tourmente. Leur dévouement exigeait une première reconnaissance, qui a pris la forme de la prime covid pour celles et ceux qui exercent en établissement ou à domicile. Malheureusement, cela n'avait rien d'évident, tant ces acteurs ont été invisibles pendant des décennies. Comme l'ont rappelé vos rapports et les dernières missions « flash », l'enjeu était de donner une pleine attractivité à ces métiers. J'en ai fait ma priorité et le fondement de la réforme.

Dès ma nomination, j'ai veillé à ce que les accords du Ségur de la santé, négociés entre Olivier Véran et les partenaires sociaux, intègrent bien les personnels exerçant dans nos EHPAD, afin qu'ils bénéficient les premiers de ces revalorisations salariales historiques. Elles étaient légitimement attendues, depuis longtemps, par ces professionnels. Ce chantier a débouché sur des extensions progressives et sur la tenue, il y a deux semaines, de la conférence des métiers de l'accompagnement social et médico‑social, qui a entériné des revalorisations substantielles pour les quelques professions du secteur de l'accompagnement des personnes âgées qui n'en avaient pas eues, notamment les médecins coordonnateurs en EHPAD. Près de 3 milliards d'euros par an sont engagés pour la revalorisation salariale des professionnels exerçant en soutien à l'autonomie des personnes âgées.

Mon combat pour ces métiers ne se limite pas aux seules revalorisations salariales, si essentielles soient-elles. Il était nécessaire de mieux parler de ces métiers. À ma prise de fonctions, on me parlait encore d'« aide ménagère » en lieu et place d'« aide à domicile » ou d'« auxiliaire de vie », et on me disait que travailler en EHPAD équivalait à se résigner à une carrière courte, difficile, maltraitante. Ce constat a nourri une de mes convictions les plus fortes : pour enclencher un cycle vertueux, il faut arrêter de dénigrer ces beaux métiers. Défendons‑les pour donner envie aux jeunes de les rejoindre, revalorisons-les et protégeons ceux qui les exercent !

J'ai donc lancé le plan d'action pour les métiers du grand âge et de l'autonomie dès le mois d'octobre 2020, pour développer les formations, répondre aux urgences en matière de ressources humaines – il y en avait –, agir pour de meilleures conditions de travail et ouvrir de nouveaux postes de soignants en EHPAD – 20 000 depuis le début du quinquennat. Ce plan, nous l'avons construit avec Myriam El Khomri, dont le rapport a été salué sur tous les bancs de cette commission. Je suis heureuse de pouvoir dire que nous avons concrétisé l'immense majorité de ses propositions, ce qui était nécessaire pour répondre au constat que vos dernières missions « flash » ont dressé à leur tour.

J'ai aussi été nommée pour engager une révolution du grand âge, sous le beau mot d'ordre d'autonomie. Cette révolution de l'offre, qu'impose la transition démographique, suppose d'écouter d'abord le souhait des Français de vieillir chez soi le plus longtemps possible. Ce fameux « virage domiciliaire », déjà engagé dans les pays d'Europe du Nord, restait timide dans notre pays. Il était temps ! La réforme, désormais, est irréversible.

Je me suis battue pour revaloriser ces professionnels, reconnaître l'importance de ces métiers dans le quotidien de nos concitoyens les plus vulnérables et répondre à leurs souhaits. Ce combat a débouché sur des avancées concrètes pour les métiers de l'aide à domicile.

Outre la prime covid, d'un montant de 1 000 euros par an en moyenne, j'ai décidé de l'agrément de l'avenant 43 à la convention collective nationale de la branche de l'aide à domicile, négocié par les partenaires sociaux, qui a permis des augmentations salariales allant jusqu'à 250 euros par mois, soit 15 % d'augmentation pour les 210 000 professionnels de la branche de l'aide à domicile. Il permettra également d'augmenter de 183 euros par mois les personnels des services d'aide et d'accompagnement à domicile des centres communaux d'action sociale, et d'améliorer pour tous les conditions économiques, grâce à un tarif plancher financé par l'État, adopté par l'Assemblée nationale dans le cadre de la dernière loi de financement de la sécurité sociale (LFSS).

Outre ces revalorisations socles, pour lesquels nous avons accompagné les départements, afin qu'ils assument leurs responsabilités en la matière, nous avons harmonisé la capacité à prendre en charge nos aînés, en définissant un tarif national de référence de 22 euros de l'heure, et en créant en complément une dotation « qualité » de 3 euros de l'heure pour financer les mesures d'amélioration de la qualité de vie au travail. Les revalorisations peuvent être directes ou consister en un rehaussement des capacités des structures et une action structurelle d'amélioration des conditions de travail.

Pour être définitivement acquis, le virage domiciliaire doit être pris avec les professionnels du domicile et ceux des EHPAD. Dans cette transformation, l'État est pleinement mobilisé, grâce aux moyens dont nous disposons depuis la création de la cinquième branche de la sécurité sociale, à laquelle vous avez bien voulu affecter un financement dès à présent et, à partir de 2024, l'apport d'une fraction importante de la contribution sociale généralisée.

Lorsque je reconstitue le fil non exhaustif de l'action que j'ai conduite pendant ces deux ans, lorsque je dresse la liste des chantiers et des combats que nous avons menés et fait aboutir ensemble, je ne peux que m'indigner et exprimer ma colère face aux agissements scandaleux reprochés à un groupe d'EHPAD, qui jettent l'opprobre sur tant d'engagements et tant d'avancées au service des personnes âgées. Je ne peux que regretter la vague de discrédit qui s'est abattue sur tout un secteur, faisant payer les agissements inacceptables d'un groupe à tous les professionnels, à tous les directeurs et à toutes les structures.

Ceux‑là mêmes pour lesquels nous nous sommes collectivement engagés, en revalorisant leur salaire et en changeant leur image, sont jetés en pâture avec tous les EHPAD, alors même que nous investissons 2,1 milliards d'euros pour rénover notre parc public ou habilité à accueillir des bénéficiaires de l'aide sociale, et que nous agissons ensemble pour construire le modèle de l'EHPAD de demain : mieux médicalisé, mieux traitant, ouvert sur son bassin de vie, en appui aux professionnels de son territoire, ouvert sur la vie sociale de sa commune ; un EHPAD où des professionnels mieux formés maîtrisent et appliquent les standards de bientraitance dans l'accompagnement quotidien qu'ils procurent.

Nous n'avons pas attendu un scandale, ni la publication d'un livre ou la diffusion d'un documentaire, pour agir. Vous vous êtes saisi de cette question essentielle depuis longtemps, je le dis en connaissance de cause ! En bonne intelligence, vous avez travaillé à ce que nos concitoyens attendent.

Depuis ma nomination, je crois m'être beaucoup appuyée sur vos travaux, notamment pour que l'État s'investisse pleinement sur cette question essentielle. Même si les derniers ont été présentés cet après‑midi, j'ai souhaité que les pistes que vous ouvrez nourrissent notre réflexion, notamment par la voix de votre présidente, avec laquelle j'ai beaucoup échangé au cours des semaines passées. Soyez remerciés de la grande qualité de vos travaux, que j'ai suivis avec attention et dont le Gouvernement s'est inspiré !

Nous y avons travaillé avec vous, ainsi qu'avec les fédérations d'employeurs, les organisations syndicales, les collectifs de familles, les panels de professionnels et les représentants des conseils départementaux. Cette méthode, je ne m'en suis jamais départie.

J'ai annoncé aujourd'hui, avec Olivier Véran, les premières décisions du Gouvernement sur le renforcement des contrôles et de la transparence dans les EHPAD après le scandale Orpea. Je remercie Mme la présidente de la commission d'avoir été à mes côtés pour cet événement, dont je sais que plusieurs d'entre vous l'ont suivi à distance, ce à quoi je tenais. Je n'en souhaite pas moins, et c'est naturel, les présenter devant votre commission pour nous permettre d'en débattre.

Même si les faits incriminés sont déjà anciens, au‑delà des sanctions et des correctifs qu'ils appellent, dans le cadre de l'arsenal de mesures à la disposition de l'État renforcé en décembre 2019, je veux resserrer les mailles du filet, pour créer un choc de transparence et prévenir toute forme de dérive systémique afin de restaurer la confiance.

Nous renforcerons les contrôles menés dans les établissements pour lutter contre la maltraitance. Tous les EHPAD seront soumis à un contrôle systématique dans les deux ans à venir, qui sera réitéré à ce rythme. Nous investissons dans les moyens humains des ARS pour être à la hauteur des attentes légitimes des familles et des résidents. Il ne suffit pas de le décréter ; encore faut-il que ceux qui contrôlent puissent le faire autant que nous le souhaitons. J'invite les conseils départementaux, cotutelle des établissements, à participer à cet effort.

Par ailleurs, je souhaite que davantage de contrôles soient menés de façon inopinée, en cas d'alerte et de manière habituelle. Augmenter la fréquence des contrôles pour tous les EHPAD ne signifie pas stigmatiser tous les établissements. Lors de mes consultations, un directeur d'EHPAD m'a dit : « Les contrôles, c'est bon pour ce que j'ai ». Les contrôles permettent d'accompagner l'établissement concerné vers un meilleur accompagnement des résidents. Nous le leur devons. Ils constituent probablement l'un des meilleurs outils de transformation que nous pouvons leur proposer, dans le respect des compétences de chacun.

En outre, nous devons rendre aux résidents et aux familles le pouvoir d'agir sur leur choix d'établissement. Souvent, on s'oriente vers le plus proche, qui est le seul que l'on connaît. Il faut sortir de ce choix par défaut. Je propose une véritable cure de transparence pour nos EHPAD, consistant à rendre publics et accessibles dix indicateurs clés permettant d'évaluer les établissements et de les comparer pour éclairer le choix. Il s'agit notamment du taux d'encadrement, du taux de rotation des professionnels, de l'absentéisme, du budget quotidien alloué aux repas par personne et de la présence d'un médecin coordonnateur. C'est du concret !

Renforcer les contrôles et la transparence, c'est aussi œuvrer à améliorer l'accompagnement en établissement. Il faut entamer une démarche structurelle visant à renforcer sa qualité. C'est pourquoi nous réformons radicalement le système d'évaluation externe des établissements, pour le rendre totalement indépendant et plus régulier. Une évaluation aura lieu tous les cinq ans. Elle sera plus transparente grâce à la publication des résultats. Cette réforme sera menée sur la base du travail que j'ai confié à la Haute Autorité de santé.

Si le renforcement des contrôles et des évaluations externes est nécessaire, il faut aller encore plus loin. Nous devons renforcer la démocratie au sein même des établissements, en agissant pour une médiation accrue, sur le modèle du secteur sanitaire. Tel est notamment le sens de la réforme du conseil de la vie sociale (CVS) que nous souhaitons. Nous en simplifions les procédures, et surtout nous l'ouvrons à bien plus d'acteurs, notamment les élus locaux, les bénévoles, le personnel soignant de l'établissement et naturellement les résidents ainsi que leurs familles. Les CVS doivent être des lieux de dialogue, de démocratie, parfois de contre‑pouvoir opposé aux pratiques alléguées de certains groupes commerciaux.

Cette question est bien la plus importante dans le scandale qui nous a toutes et tous marqués : que des groupes commerciaux sacrifient l'accompagnement de personnes vulnérables à la rentabilité de leurs entreprises et aux dividendes versés à leurs actionnaires est inacceptable. Je le dis avec la plus grande fermeté.

L'État, soyez‑en assurés, est décidé à mieux réguler et mieux contrôler les groupes privés commerciaux qui se sont développées dans les années 2000 et ont désormais une place importante dans l'offre. L'État répond présent pour agir fermement. Concrètement, nous mettrons en œuvre une réponse globale, grâce à des outils juridiques et comptables, pour mieux réguler les pratiques tarifaires de ces groupes et assurer la transparence du bon usage des fonds publics qu'ils perçoivent.

Nous proposerons que la loi élargisse les capacités de contrôle des services d'inspection de l'État et de la Cour des comptes non plus aux seules dotations publiques, mais aussi aux tarifs qui sont payés par les résidents des établissements. La Cour des comptes et les chambres régionales et territoriales des comptes – indépendantes en vertu de la Constitution et dont les membres sont magistrats – pourront ainsi pratiquer des contrôles inopinés, ce qui leur est impossible aujourd'hui.

S'agissant du groupe qui est au centre des accusations, la remise des enquêtes de l'IGAS et de l'IGF est attendue pour la mi‑mars. Nous prendrons toutes les mesures de sanction qui s'imposeront contre ce groupe, le cas échéant, y compris sur la dimension immobilière et sur sa fiscalité.

Avec ces mesures, je peux affirmer avec force que le temps du business grand âge est révolu. Grâce à elles, je suis confiante dans notre capacité collective à dépasser le scandale qui menace l'ensemble d'un secteur qui est pourtant essentiel pour nombre de nos concitoyens. Dans ce combat, vous pourrez toujours compter sur mon engagement et sur celui du Gouvernement. Continuons à construire ensemble la réforme de l'autonomie, qui est aussi une révolution de l'âge. Nous partageons cet objectif, rendons‑le concret. Je souhaite qu'au terme de notre échange nous en convenions.

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