Intervention de la ministre déléguée

Réunion du mardi 8 mars 2022 à 21h30
Commission des affaires sociales

la ministre déléguée :

Je veux bien que l'on s'appuie parfois sur les constats dressés dans un livre publié après trois années d'investigations. Je sais aussi que votre commission et vos missions « flash » ont réalisé un travail fouillé. Pour autant, j'ai entendu, ces dernières semaines, de nombreux propos qui m'ont beaucoup choquée et interpellée. Après avoir lancé les inspections, je me suis tue, puisqu'il ne m'appartenait plus de commenter ces allégations, mais peut‑on vraiment faire comme s'il ne s'était rien passé entre 2017 et 2022 ? Dès mon élection à la présidence de votre commission, j'ai créé une mission « flash » sur la situation des EHPAD, qui a conclu à un manque de moyens et de personnels – vous le savez aussi bien que moi – mais qui n'a jamais parlé d'un système, encore moins d'un système Orpea. J'ai ensuite demandé à deux députées, dont l'auteure du rapport de 2017, d'être rapporteures d'une mission d'information sur le même sujet, dont les conclusions ont été remises en 2018 à Agnès Buzyn, alors ministre des solidarités et de la santé. Dans les LFSS qui se sont succédé, nous avons amélioré les choses, en finançant notamment 10 000 postes dès 2018. Des contrôles ont été menés – l'un d'entre eux, en 2019, portait justement sur les ressources humaines de l'établissement cité dans le livre de M. Castanet.

Je rappelle en outre que nous avons subi, pendant deux ans, une pandémie. Les contrôles ont alors été réduits et certains établissements ont été fermés – il ne s'agissait pas d'enfermer les gens pour le plaisir, mais de protéger nos aînés alors que nous traversions une crise sanitaire, à un moment où nous ne connaissions pas encore bien le virus et où nous ne disposions pas de vaccin. On ne peut pas s'appuyer sur la diminution du nombre de contrôles pendant ces deux années pour affirmer qu'aucun contrôle n'est mené ou qu'aucune sanction n'est prononcée en France. Aujourd'hui encore, nous fermons des établissements et nous suspendons des autorisations.

Il faut regarder les choses telles qu'elles sont. C'est un peu trop facile que de faire croire à l'opinion publique que nous – députés, ministres, responsables politiques – nous serions réveillés, un beau jour, en découvrant qu'il y avait un problème. Dans cette commission en particulier, nous avons énormément travaillé sur le thème du grand âge. D'ailleurs, qui s'est intéressé à ce secteur et m'a interrogée à ce sujet au cours des deux dernières années ? Personne ! Les questions portaient sur la crise sanitaire, sur la vaccination – c'est normal – et sur beaucoup d'autres choses, mais jamais sur l'énorme chantier du grand âge que nous menions en parallèle.

Alors que nous ne sommes pas encore tout à fait sortis de la crise, nous avons décidé d'agir dans le cadre de LFSS, parce qu'il était urgent d'œuvrer en faveur du maintien à domicile. Le tout‑EHPAD n'est pas la solution ; ce n'est pas non plus l'option que les Français choisissent pour leur vieillesse. Nous sommes en train de construire tout un panel de solutions : dans le cadre de la réforme de l'autonomie, nous voulons améliorer les aides à domicile, mais aussi les logements intermédiaires ainsi que les EHPAD de demain ouverts sur le domicile.

Dire qu'il ne s'est rien passé serait renoncer à tout ce que vous avez-vous‑mêmes voté ces derniers mois et ces dernières années. Permettez-moi de rappeler que toutes les mesures de ce « paquet » sur l'autonomie ont été adoptées par l'Assemblée nationale à l'unanimité – je ne m'attribue pas ce succès, je vous l'attribue. Je déplore donc qu'au cours des dernières semaines, personne n'ait essayé de défendre ce bilan plus que positif, salué par le secteur du grand âge.

Maintenant, comment renforcer les contrôles et améliorer la transparence des établissements ? Ces dernières semaines, j'ai mené plus de deux cents auditions, parallèlement à vos travaux, et nous avons finalement abouti à des constats assez consensuels. Il n'y a pas matière à polémique : nous sommes tous d'accord. Certains voudraient aller plus loin, d'autres moins ; pour autant, les mesures que j'ai présentées ce matin avec Olivier Véran permettront de remédier à l'insuffisance des contrôles. Je vous assure que ces contrôles sont demandés. Cet après‑midi, j'ai réuni en visioconférence l'ensemble des fédérations d'EHPAD et d'aides à domicile pour les informer des résultats des auditions auxquelles elles avaient participé. Elles nous ont toutes remerciés, car elles‑mêmes demandent que des mesures soient prises pour restaurer la confiance avec les résidents, avec leurs familles, et surtout avec les soignants, qui n'en peuvent plus du procès qui leur est fait. Contrairement à nous qui connaissons bien le secteur, le grand public ne fait pas nécessairement la différence entre les institutions et les personnels – soignants, directeurs ou gestionnaires –, qui en souffrent énormément.

Je le répète, notre devoir est de rassurer les résidents, les familles et les soignants. Une fois que nous aurons mis en œuvre ce renforcement des contrôles, il sera temps de passer à autre chose et d'expliquer les autres mesures de la réforme de l'autonomie que nous serons amenés à conduire.

Monsieur Martin, monsieur Perrut, vous m'avez interrogée sur les effectifs des personnels en EHPAD. La communication de la mission « flash » sur les conditions de travail et la gestion des ressources humaines dans les EHPAD – que vous avez corédigée, monsieur Martin – propose de définir un ratio minimal d'encadrement. Le financement des établissements est aujourd'hui déterminé en fonction des besoins des résidents : plus ces besoins sont importants, plus le taux d'encadrement est élevé. Rien n'est plus facile que d'annoncer le recrutement de 100 000, 200 000 ou 300 000 agents dans les EHPAD, mais cela ne sert à rien si l'on ne cherche pas à renforcer l'attractivité de ces métiers. C'est ce que nous avons fait et que nous devrions faire encore davantage.

Je me suis rendue au Danemark, que tout le monde prend en exemple, et j'ai constaté que le taux d'encadrement y était inférieur à celui qui existe en France. C'est parfois une question d'organisation. Bien sûr, nous nous employons, de manière pragmatique et très volontariste, à améliorer le taux d'encadrement, mais à un rythme soutenable – je vous défie de former 100 000 personnes à la fois, c'est impossible.

Par ailleurs, l'attractivité des métiers ne se décrète pas. Si nous travaillons à la renforcer, avec le déploiement d'un plan métiers, ce genre de procès ne nous aide pas : il faut, pour recruter, que les personnels soient fiers de ce qu'ils font. La revalorisation des rémunérations, décidée lors du Ségur est une réponse, tout comme l'investissement dans le bâti, qui, en améliorant la qualité de vie au travail, fera demain la différence.

Monsieur Perrut, j'ai annoncé ce matin que tous les EHPAD feraient au moins l'objet d'un contrôle bisannuel. Nous passerons ainsi d'un contrôle tous les sept à dix ans à un contrôle tous les deux ans ; les EHPAD concernés par des signalements récents seront ciblés en priorité. Pour cela, nous allons renforcer les moyens humains des ARS, en recrutant 150 ETP supplémentaires, ce qui n'est pas négligeable.

Les contrôles diligentés par la répression des fraudes seront également plus nombreux : ils porteront sur les contrats de séjour, qui devront être plus lisibles et plus transparents. Les personnes qui placent leurs parents en EHPAD doivent avoir une vision claire des dépenses auxquelles elles doivent s'attendre, en sus des frais d'hébergement – puisque tout est payant dans les groupes privés.

Pour faciliter le choix des familles, le portail d'information pour-les-personnes-agees.gouv.fr publiera dix indicateurs clés – ressources humaines à disposition, coût moyen des repas, etc. Ces indicateurs, monsieur Issac-Sibille, ne concerneront pas les groupes dans leur ensemble, car cela fausserait la donne, mais devront être renseignés par chaque établissement.

Mme Firmin Le Bodo a suggéré la création d'un organisme indépendant de contrôle. Je cherche encore la solution qui serait la plus efficace. Les ARS, qui ont prouvé durant la crise sanitaire qu'elles pouvaient s'adapter, sont, avec les conseils départementaux, les autorités de tutelle des EHPAD. Nous étendons en outre les capacités de contrôle des services d'inspection de l'État et de la Cour des comptes, qui pourront désormais mener des contrôles inopinés et se pencher sur la section « hébergement » – la plus opaque – des EHPAD commerciaux. Il me semble que les garanties d'indépendance sont réunies et que la création d'un organisme indépendant n'est, pour le moment, pas nécessaire.

Comme Mme Dubié l'a rappelé, les EHPAD commerciaux peuvent aujourd'hui remplir des EPRD et des ERRD simplifiés, ce qui leur permet d'effectuer des glissements de facturation de personnels relevant de la section hébergement vers la section dépendance. Nous allons mettre fin à cette procédure exceptionnelle et imposer de nouvelles exigences en matière de comptabilité analytique. Nous aurons ainsi une vision claire de l'affectation des recettes et des dépenses, aussi bien au niveau des établissements que des groupes privés commerciaux. Sur cette base, le contrôle des ARS, des services d'inspection et de la Cour des comptes sera renforcé et étendu.

Monsieur Dharréville, vous m'avez demandé si une plus forte régulation des tarifs d'hébergement permettrait de réduire le reste à charge dans les établissements commerciaux. Nous sommes bien d'accord, il nous faut travailler sur le sujet du reste à charge, très mal vécu par nos concitoyens.

Nous devons aussi lutter contre les entrées subies, qui choquent les patients et leurs familles, en renforçant les dispositifs de maintien à domicile et en permettant le choix de l'établissement dans la plus grande transparence, grâce aux indicateurs de qualité et à des contrats de séjour plus lisibles. Dans cet esprit, la répression des fraudes se penchera notamment sur les dispositions en cas de départ ou de décès, dont certaines sont abusives. Le socle des prestations obligatoires en EHPAD, qui doit comporter l'accès à internet ou le blanchissage du linge, par exemple, devra être complété.

Vous avez demandé que les dépenses de personnel soient mieux encadrées et apparaissent dans les différentes sections tarifaires en fonction de leur finalité. C'est tout l'enjeu des nouvelles exigences en matière budgétaire : les ARS auront une vision plus claire des comptes des établissements et une connaissance précise de la façon dont sont affectées les dotations publiques destinées au recrutement des personnels.

Nous avançons de manière assez consensuelle et je regrette le ton que vous avez employé, monsieur Aviragnet. Je ne serai pas désobligeante en vous rappelant tout ce qui n'a pas été fait avant 2017 et qui nous pousse aujourd'hui à cette situation.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.