Vous citiez le Grand Est et le déploiement de la fibre en général. Concernant le déploiement de la fibre, nous avons et essayons toujours de trouver le bon équilibre entre ce qui peut être financé par le privé et ce qui doit nécessairement intégrer des financements publics. Je ne vais pas juger les réalisations dans chaque région mais il est vrai que, de ce point de vue, les résultats diffèrent en fonction des régions. Notre objectif est justement de permettre, grâce aux crédits prévus dans le plan de relance, d'assurer la généralisation du réseau Fiber To The Home (FTTH) dans toutes les régions, notamment dans celles qui ne l'auraient pas fait dans le cadre du plan actuel. En tout cas, notre objectif est bien d'assurer cette égalité territoriale.
Sur les outils pour protéger les entreprises, un texte réglementaire existe sur l'investissement étranger en France et sur le contrôle des investissements. Ce règlement repose juridiquement sur une exception au traité sur la libre circulation des capitaux. Pour cela, il nécessite de se rattacher à des enjeux de sécurité d'ordre public. Ces dernières années, nous avons beaucoup renforcé ce dispositif, en considérant que la sécurité et l'ordre public devaient être entendus dans une mission assez large. La Commission européenne ne nous a pas contredits sur ce plan. Au-delà de ce qui relevait à l'origine du secteur de la défense et de la sécurité à proprement parler, nous avons introduit tout un ensemble d'autres dimensions. Nous avons introduit toutes les infrastructures de réseaux, de transports et d'énergies. Avant la crise de l'épidémie de covid-19, nous avons étendu le champ à tous les secteurs numériques critiques. Nous avons introduit des secteurs tels que le cloud, le calcul haute performance ou l'espace. Nous avons donc pu élargir ces secteurs. Pendant la crise, nous avons ajouté, pour des raisons évidentes, le secteur des biotechnologies, dans le but d'accroître encore la palette des secteurs protégés. Nous avons également baissé le seuil d'intervention à 10 %. Si un investisseur étranger dans l'un de ces secteurs veut racheter une entreprise française à partir de 10 % du capital, nous avons la capacité de mettre en œuvre ce décret et donc de contrôler l'investissement.
Pour essayer de répondre à votre question, je pense que nous avons fait tout ce qui était possible au niveau national. Il me semble que nous avons maintenant une couverture très large des secteurs sensibles, et donc une capacité à y intervenir.
Au niveau européen, cette démarche est beaucoup moins avancée. Un règlement est entré en vigueur très récemment sur le contrôle des investissements étrangers. Ce règlement est plutôt du ressort de l'échange d'informations que de celui d'un vrai contrôle de l'investissement lui-même. Il me semble que l'Europe doit encore progresser pour, idéalement, aboutir à un dispositif similaire au nôtre, permettant vraiment de contrôler l'investissement et éventuellement d'imposer des conditions à l'investisseur.
Néanmoins, le contrôle de l'investissement ne peut pas constituer la seule réponse. Vous l'avez abordé, nous devons formuler également une réponse en fonds propres. Dans certains cas, il s'agit moins d'exercer un contrôle sur l'investissement que d'être capable d'avoir une offre française de rachat d'une entreprise donnée ou d'une start-up. Nous avons progressé ces dernières années sur ce point, avec la création d'une dizaine de fonds privés, suite au rapport de Philippe Tibi sur le financement des entreprises technologiques françaises. Ces fonds privés sont destinés à investir, en particulier dans les start-up. L'objectif affiché est de stabiliser ces start-up en France, d'éviter qu'elles soient achetées par un acquéreur étranger et d'éviter, comme on le voit souvent, que cet achat s'accompagne finalement d'un transfert de tout ou partie de l'entreprise à l'étranger. Nous avons donc une réponse privée, structurée ces deux dernières années et maintenant significative. Nous avons aussi une réponse publique, bien sûr historique avec BPI, mais complétée pendant la crise avec le fonds French Tech Souveraineté. Ce fonds répond exactement, je crois, à l'objectif de votre mission. Il permettra d'apporter, pour l'État, des solutions en fonds propres, notamment pour des start-up stratégiques selon nous et sur lesquelles nous voudrons pouvoir intervenir en fonds propres pour permettre leur développement ou, de manière défensive, pour éviter qu'elles soient rachetées par un acteur étranger.
La question du partage de la valeur est très large. Soit par l'intermédiaire de la BPI soit de fonds publics tels que French Tech Souveraineté, l'État intervient en capital et est donc finalement rémunéré pour la réussite de l'entreprise. Pour le reste de nos investissements, notamment pour tout ce qui soutient financièrement l'innovation – axe important que j'ai évoqué – dans les entreprises privées, il nous semble que le retour sur investissement est très fort pour l'économie. C'est le cas dans la mesure où, évidemment, on ne finance que des projets et des innovations se réalisant en France. Il nous semble que la valeur économique créée par ces acteurs, plus forts et plus compétitifs, sera très importante pour le tissu économique. De notre point de vue, c'est l'essentiel du retour sur investissements sur l'État. En tout cas, parmi nos préoccupations, nous devons nous assurer, pour chaque projet individuellement, que les financements apportés auront bien un effet concret sur l'économie.
Le rachat d'ARM est évidemment très préoccupant. Il s'agissait d'un acteur européen très important sur l'architecture de calcul. Nous avons engagé une discussion avec la Commission européenne pour évaluer la pertinence de stimuler l'émergence d'un nouvel acteur d'architecture européen. En effet, aujourd'hui, nous ne pouvons plus considérer qu'ARM répond à notre objectif de souveraineté numérique. Il s'agit d'une discussion très récente, en cours. Cette question se pose légitimement, de notre point de vue.
Nous n'avons, aujourd'hui, pas la taille critique pour envisager la création d'une BPI européenne et des investissements considérables de ce type. Je crois que nous avons finalement, au niveau national, des outils permettant de répondre à peu près aux enjeux. Néanmoins, nous n'avons pas ces outils au niveau européen. Il s'agit d'un sujet sur lequel il n'existe pas de consensus européen. Je pense qu'un certain nombre d'États membres ne partageront pas l'idée que des volumes très importants de financements publics doivent être mobilisés dans des cas de ce type. Un débat européen doit donc avoir lieu, avant de progresser véritablement sur ce sujet.
Concernant l'extraterritorialité, une augmentation très forte de lois extraterritoriales – promulguées à la fois par la Chine et par les États-Unis – a été constatée ces dernières années. S'agissant de la Chine, nous l'avons constaté à travers l'application d'un certain nombre de sanctions étrangères, y compris les sanctions dites « secondaires » permettant finalement d'interdire une activité économique avec un pays sanctionné, sans qu'il n'y ait aucun lien avec les États-Unis. Un acteur européen peut être interdit même s'il n'existe aucun lien avec les États-Unis. Ce dispositif, purement extraterritorial, a été utilisé ces dernières années. Nous avons observé d'autres développements avec le Cloud Act, que j'ai déjà mentionné. Plus récemment, nous avons vu des restrictions d'exportation des composants, notamment de microélectronique. Ces restrictions sont très préoccupantes pour nos acteurs. Il s'agit là aussi d'un cas d'extraterritorialité dans lequel un acteur européen peut se voir interdire de commercer avec un acteur chinois, par exemple, alors même que ce commerce est tout à fait licite au regard de la législation européenne.
Nous portons ce sujet à Bruxelles, avec les autres États membres, pour essayer de mobiliser l'ensemble de l'Union européenne sur une réponse à ce sujet. La réponse serait d'abord diplomatique. Il s'agirait ensuite d'examiner quelles sont les possibilités en droit. Il n'existe pas de réponse facile sur ce sujet pour avoir une réponse juridique permettant d'assurer la continuité des opérations commerciales. Finalement, la réponse de long terme est la souveraineté et la capacité à avoir la dépendance la plus faible possible par rapport à des acteurs non européens, dans nos productions et notamment dans le domaine du numérique en Europe. Ces restrictions américaines à l'export doivent nous encourager à poursuivre nos efforts pour combler les segments des chaînes de valeur numériques sur lesquelles il n'existe pas d'offre européenne. C'est cela qui permettra d'éviter cette dépendance. On voit bien le lien entre ce sujet et la souveraineté numérique.
Concernant l'extraterritorialité sur le cloud, j'ai évoqué la réponse que nous essayons d'apporter, avec le cloud de confiance. Ces derniers mois, nous avons pu matérialiser des offres non soumises à la législation américaine sur le Cloud Act. Ces offres permettront d'assurer aux clients européens que leurs données, hébergées dans des solutions de cloud, ne seront pas accessibles pour les autorités américaines dans le cadre du Cloud Act. Cela nous semble être la réponse technologique à l'extraterritorialité de cette loi.
Il n'existe pas de réponse facile concernant le Privacy Shield. Nous voyons potentiellement les conséquences de cette décision de justice sur la sécurité juridique des données. Il s'agit en même temps d'un sujet assez systémique. Nous poursuivons les discussions, à la fois avec l'Union européenne et avec les autorités responsables de la sécurité et de la protection des données européennes, afin de définir une réponse adaptée. Il n'existe pas encore de solution évidente pour rétablir rapidement une sécurité juridique complète sur ces sujets. L'essentiel reste à faire pour déterminer en quoi consisterait une solution pérenne, d'une part, et une solution transitoire, d'autre part, pour assurer la transition vers un nouveau cadre juridique assurant le même niveau de protection que le Privacy Shield.