Je suis le conseiller développement économique de Régions de France et en charge également du numérique. Nous travaillons régulièrement avec les collectivités et nous travaillons d'ailleurs de façon plus fluide horizontalement avec les collectivités que verticalement avec l'État.
Le numérique est une compétence très largement partagée par les collectivités. En fonction des compétences qui nous sont dévolues par le législateur et le code général des collectivités, nous avons des entrées variables sur le numérique. L'entrée se fait par les infrastructures, avec des compétences très partagées, et surtout par les usages. La question de la souveraineté est donc particulièrement importante pour nous.
Les régions sont le chef de file du développement économique depuis la loi NOTRe ; elles partagent cette compétence avec les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Elles ont également des compétences en matière d'aménagement du territoire à travers les schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire ( SRADDT ). Elles sont gestionnaires des fonds européens. Notre entrée sur le numérique est donc multiple.
Les principaux chantiers sur lesquels nous sommes actuellement mobilisés concernent les infrastructures fixes avec le déploiement du très haut débit. Nous sommes aussi très intéressés par l'achèvement des réseaux d'initiative publique, avec en particulier des discussions entre l'État et les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Bretagne. Les régions sont partenaires sur le mobile à des niveaux variables mais apportent un appui aux collectivités infrarégionales pour le déploiement.
Toutefois, ce qui de par nos compétences nous mobilise le plus aujourd'hui est la question des usages. Elle est liée aux enjeux de développement économique et de souveraineté que vous avez évoqués. Nous travaillons avec la filière et les opérateurs en réfléchissant sur les enjeux économiques, les enjeux industriels particulièrement dans le contexte de la relance. La numérisation des entreprises, la digitalisation des très petites entreprises (TPE) et des PME constituent un chantier majeur pour l'État, les collectivités et les régions. Nous travaillons avec l'État sur le dispositif France Num et sur les nombreux dispositifs déployés par les régions dans le cadre de plateformes de e-commerce ou de la mise en place du chèque numérique. Nous travaillons aussi autour des enjeux de l'industrie du futur.
Dans le cadre de ce travail partenarial, les enjeux de gouvernance du numérique nous paraissent très importants. C'est pour nous un angle mort du code général des collectivités territoriales.
Les enjeux de l'industrie du futur portent sur les 10 000 diagnostics déployés avec l'État, sur la stratégie de filière, sur l'intelligence artificielle, sur la cybersécurité et sur le numérique éducatif. Cette question a pris toute son importance dans la crise que nous traversons. C'est encore une compétence partagée, les régions intervenant sur les lycées, les équipements, l'acquisition et la maintenance des infrastructures.
La souveraineté numérique comporte bien sûr des enjeux de sécurité, de résilience, de maîtrise. Il s'agit d'enjeux d'intégration et de maîtrise des technologies, par nos acteurs économiques mais aussi par les administrations, par nos filières, par les citoyens. C'est un enjeu de résilience et de capacité de nos réseaux à supporter la charge. Nous avons bien vu au moment de la crise quels étaient les acteurs, les régions ou les départements qui étaient les plus résilients, notamment sur le très haut débit. C'est aussi un enjeu de protection des infrastructures et des données. Nous lions également à la souveraineté numérique des enjeux d'inclusion. Cela touche même directement à la question de l'intégration républicaine. Nous avons aussi des enjeux de structuration de filière et d'innovation.
En ce qui concerne l'international, le numérique comporte un enjeu de « hard power » qui est notre capacité à déployer des infrastructures résilientes et à être pionniers dans le développement de technologies nouvelles. Il comporte aussi un enjeu de « soft power » qui est la question de notre capacité à discuter, à imposer des taxes et une fiscalité aux GAFAM, à établir un dialogue équilibré avec les opérateurs.
La France n'est pas forcément au point sur la cybersécurité. L'enjeu n'est pas de se substituer à Kaspersky. Nous pouvons créer des leaders nationaux sur ces sujets et c'est l'objectif des stratégies de filière, du quatrième plan d'investissements d'avenir (PIA), des stratégies d'accélération dans le cadre des investissements d'avenir. Toutefois, l'important est la capacité à discuter avec les fournisseurs d'équipement et de matériel, la capacité à défendre nos intérêts, sans forcément maîtriser nous-mêmes les technologies.
La souveraineté numérique est donc un enjeu de développement économique, social et environnemental ainsi que de sécurité nationale face au risque croissant de contrôle de la vie privée. L'approche doit être intégrée et transverse, plus intégrée que l'approche trop éclatée que nous avons aujourd'hui. Les enjeux autour du déploiement de la 5G doivent nous inviter à nous organiser collectivement pour piloter et mettre en œuvre ces chantiers.