Je me concentrerai sur les questions de souveraineté et de transformation du marché professionnel.
Nous travaillons d'abord sur l'obtention de la donnée. Ce n'est pas anecdotique car nombre de collectivités ont des délégations de service public, sur l'eau par exemple. Leurs délégataires gèrent et exploitent de nombreuses données. Quand l'acquisition de ces données est possible, elle est souvent payante car elle n'est pas dans le contrat de service public. La société privée prestataire a finalement plus d'informations sur les citoyens que n'en a la collectivité. Notre première couche est donc l'obtention de la donnée et l'obtention d'une donnée qui ne soit pas en silos, qui puisse être interconnectée avec des données sur la circulation, sur les déplacements, sur les transports…
Le deuxième point concerne le stockage et l'utilisation. Les questions de cloud souverain sont tout sauf une lubie. Je le vois d'ailleurs avec les réactions assez épidermiques de certains acteurs privés du cloud. Dès qu'une collectivité évoque la possibilité d'avoir son propre centre de données et se propose de le partager avec d'autres collectivités, elle subit tout de suite des charges dans la presse de la part de ces acteurs privés.
La volonté de voir où sont stockées ces données est de plus en plus forte. Cela peut être chez les utilisateurs ou dans des centres de données pour des raisons de sécurisation. Beaucoup de régions, de départements ou de grosses villes y réfléchissent et cherchent à partager ces structures.
Après le stockage, nous arrivons à l'utilisation. C'est souvent là que la question de la souveraineté est la plus problématique puisqu'il faut disposer d'outils souverains. Je ne connaissais pas le projet NexSIS et je remercie Mme Nouvel d'en avoir parlé. Je connaissais en revanche d'autres projets sur lesquels travaillent des collectivités et nous travaillons également sur d'autres dans le cadre du programme DCANT.
Le dernier point qui est apparu récemment, en 2019-2020, concerne le renouveau des groupements fermés d'utilisateurs (GFU). Les collectivités, en particulier les régions, s'étaient historiquement lancées dans les réseaux à fibre optique autour de GFU pour des mono-usages, notamment pour l'enseignement supérieur. Ces GFU sont ensuite devenus des réseaux d'initiative privée (RIP) lorsqu'il a fallu mutualiser. Beaucoup de gens pensaient que, avec l'arrivée massive de la fibre optique grand public, ces réseaux disparaîtraient mais nous constatons l'inverse. De plus en plus de collectivités souhaitent se réapproprier ces réseaux pour être maîtres de ce qui circule dedans, de la manière dont elles le font circuler et de la manière dont elles le sécurisent.
Par exemple, si un département ou une grosse commune ayant plusieurs sites à gérer passe par un prestataire de télécommunication qu'il ne connaît pas vraiment, qui a peut-être des actionnaires étrangers, qui utilise ses outils de protection et stocke de différentes manières, il faudra gérer autant de points de connexion que de sites, qui sont autant de points à sécuriser et à superviser. Beaucoup de collectivités avaient donc historiquement conçu des réseaux GFU dans des logiques d'économies mais nous voyons aujourd'hui apparaître des GFU sécurisés. Tout transite ainsi par la direction des systèmes d'information (DSI) d'une grosse collectivité, par des liens propres, plutôt que d'avoir à gérer plein de sites diffus. La DSI active elle-même le service, met tout en place et, entre le bâtiment et la DSI, il n'existe aucune sortie. Toutes les sorties se font au niveau de la DSI ce qui permet de concentrer la sécurisation et les sauvegardes en un seul point.
Ce phénomène s'accélère même dans certains territoires qui avaient abandonné cette logique. Par exemple, les Hauts-de-Seine avaient revendu tous leurs réseaux fiber to the home (FttH), fiber to the office (FttO). Ils reconstruisent aujourd'hui un réseau propre pour maîtriser l'intégralité de la chaîne, avec derrière les questions du stockage de la donnée, des redondances. En gérant toute la donnée de tout un territoire se pose la question de l'opportunité d'avoir son propre centre de données.
Sébastien Soriano, le président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), soulignait que, depuis quinze ans, les réseaux d'initiative publique sont la seule preuve tangible de succès de cette transformation du marché professionnel. C'est pour nous un motif de satisfaction, mais très relatif au sens où cela ne concerne que très peu de territoires et un nombre marginal d'entreprises.
L'AVICCA et ses adhérents s'investissent donc aussi beaucoup dans des solutions plus générales comme celle de Kosc Télécom que nous avons soutenue dans toutes ses péripéties ces dernières années. Ils ont un modèle très proche de celui des réseaux d'initiative publique qui permet vraiment la transformation. Si vous ne changez pas de connexion, ce qui est difficile, si vous n'avez le déclic de changer d'opérateur et de partir vers un opérateur qui connaît bien votre marché, votre filière, votre fonctionnement, vous restez dans une sorte de ronronnement de confort, vous ne vous développez pas, vous ne vous numérisez pas et vous ne changez pas vos pratiques. Je parle de manière générale de l'économie, y compris des commerçants et des artisans, pas seulement des grandes entreprises et du secteur high tech.
Ainsi, hier, j'ai discuté avec mon coiffeur qui n'accepte toujours pas les paiements sans contact. Il m'a expliqué qu'il le fera l'année prochaine mais qu'il faut pour cela qu'il change de banque, d'opérateur, afin que les clients puissent payer avec leur téléphone mobile. Imaginez l'effort à faire pour changer de système !
Ce changement est difficile pour tout le monde, pour les particuliers lorsqu'il faut changer d'opérateur et pour les entreprises aussi. Plus les entreprises sont de petite taille, plus il est difficile d'évoluer. L'oligopole qui tient le marché n'a évidemment pas trop envie de changer les choses. On ne réveille pas un client qui dort ; c'est une devise du marché des télécoms. Nous essayons de réveiller tout le monde, nous secouons régulièrement ce marché. Nous sommes aussi derrière nombre d'actions pédagogiques.
Pour finir, un point du plan de relance nous embête beaucoup. Nous sommes très satisfaits du volet sur la transformation-numérisation des entreprises et des collectivités. Toutefois, sans connexion, cela ne sert à rien. Si nous ne prenons pas en compte cette rupture en termes de connexion, toutes les animations pédagogiques sur le terrain ne serviront à rien et nous gaspillerons de l'énergie, de l'argent. Connectons nos entreprises et nos activités comme nous le faisons pour nos administrations sinon nous allons droit à l'échec et nous rendrons moins efficient l'argent public investi dans le reste du plan de relance.