Intervention de Yoann Kassianides

Réunion du jeudi 14 janvier 2021 à 9h30
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Yoann Kassianides, délégué général d'ACN :

Je souscris aux propos que les deux précédents intervenants ont tenus, tant sur les problèmes qui se posent que sur les avancées que nous relevons.

Organisation professionnelle, l'ACN représente les entreprises de la filière de la confiance numérique en France. La filière de la confiance numérique renvoie notamment à l'identité numérique et à la cybersécurité. Elle se révèle des plus présentes, vivaces et performantes en France. Elle a généré quelque 13 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2019. Elle comprend de nombreuses entreprises, dont des numéros un mondiaux, des ETI, de jeunes et petites entreprises innovantes (startups). Elle dispose d'un véritable savoir-faire. Il convient de ne pas l'oublier. L'attention tend à se centrer sur le seul marché du numérique grand public où, de fait, les acteurs français sont moins présents. Ce seul constat ne saurait conduire à tirer la conclusion de leur absence totale du secteur du numérique.

Au sein de l'ACN, une vision large de la notion de souveraineté prévaut. Nous l'entendons d'abord comme le pouvoir suprême reconnu à une nation. Ce pouvoir implique une compétence exclusive sur un territoire donné. À l'évidence, la définition se complexifie en matière numérique. Dans ce domaine en effet, la notion même de territoire apparaît plus difficile à cerner. Une certaine agilité intellectuelle et juridique s'avère nécessaire pour y transcrire le concept traditionnel de souveraineté.

Nous livrant à ce travail, nous aboutissons à assimiler la souveraineté numérique nationale, d'une part, à la capacité pour un État à exercer ses attributions de souveraineté dans l'espace numérique, d'autre part, à sa faculté à utiliser et à protéger contre d'éventuelles attaques des moyens numériques propres qui autorisent cet exercice. En d'autres termes, nous retenons la possibilité pour l'État d'employer des outils numériques au service de ses prérogatives régaliennes.

Quoiqu'étendu, cet ensemble conceptuel demeure opérant. Il permet de regrouper toutes les actions et conclusions utiles à la préservation de la souveraineté nationale.

Pour l'échelle européenne, pertinente de nos jours compte tenu de la concurrence internationale et de la dimension des blocs tant économiques que géostratégiques en présence, nous préférons, à l'ACN, employer l'expression d'« autonomie stratégique ». Celle-ci nous paraît mieux préserver la logique juridique. Nous ne perdons pas de vue que traditionnellement le droit réserve le concept de souveraineté aux seules entités étatiques. L'Union européenne ne revêt pas la qualité d'un État au sens strict. Divers traités internationaux lui ont plutôt délégué une partie des prérogatives de ses États membres.

Comment la notion de souveraineté numérique, ainsi que son pendant d'autonomie stratégique, se traduisent-ils ?

Dès lors qu'il exerce des missions régaliennes de manière numérique, il importe que l'État veille concomitamment à disposer des outils appropriés et à conserver l'exclusivité de sa compétence.

À titre d'exemple, je citerai l'identité et l'état civil. La transposition numérique de l'état civil pose une difficulté. Nous remarquons que de nombreuses identités cohabitent dans le domaine numérique. Parmi elles, les plus pertinentes ne sont pas celles que les États européens contrôlent.

Si l'État entend poursuivre sa mission déterminante d'identification de ses ressortissants, le sujet de l'identité numérique devient central. Des travaux en ce sens se poursuivent. Leur résultat devra se matérialiser à brève échéance, tant les acteurs privés qui, la plupart étrangers, développent leur propre identité numérique, progressent avec célérité. Les outils permettant d'exercer des prérogatives régaliennes sont à considérer prioritairement.

Une autre manière de préserver la souveraineté nationale ou l'autonomie stratégique européenne consiste à s'appuyer sur des acteurs à la fois disponibles et performants.

Il convient de plus que l'État entretienne une vision stratégique. Elle suppose la mise en cohérence de l'ensemble des actions qui relèvent du numérique, au regard de la sécurité, de la confiance et de la souveraineté.

Le numérique reste encore trop diffus. Nous le retrouvons dans toutes les applications et interactions sociales et économiques. Chaque sujet spécifique dispose encore de ses propres développements numériques et d'un traitement local. Un effort de cohérence s'impose. Le numérique, la confiance dans le numérique, constituent des axes d'attention prioritaires. Les affrontements à venir s'effectueront dans le domaine numérique. Pour l'État, prendre l'initiative requiert ici une exigence de transversalité et d'homogénéisation. Une vision de surplomb, un niveau décisionnel adéquat, doivent nous garder de l'actuelle dissémination des décisions, assurément contreproductive.

Dans l'initiative publique, la question de la souveraineté numérique prend toute sa place quel que soit le secteur d'activité considéré. Elle semble d'emblée évidente en matière de défense ou de sécurité nationale. Elle apparaît de prime abord moins nettement dans d'autres domaines de l'action publique mais ne s'y impose pas moins. À notre avis, et peut-être sous forme d'études d'impact, l'attention à la souveraineté mérite de concerner tout processus de décision ayant trait au numérique. En ce sens, nous la rapprocherions des préoccupations d'ordre environnemental, elles-mêmes nécessairement transversales et impliquant une étude préalable des effets des décisions à prendre. Une approche de ce type nous aurait évité bien des désagréments et débats.

En dernier lieu, lorsque l'État se comporte en qualité d'acheteur, il se doit de faire montre d'exemplarité. Il s'agit évidemment qu'il se conforme aux préoccupations de souveraineté numérique, mais encore qu'il s'assure, au-delà de la seule origine nationale du produit acheté, que l'action qu'il mène aide à conforter une filière par nature stratégique puisqu'elle lui apporte les outils à même de maintenir sa souveraineté en conservant la maîtrise de son espace numérique. Outre la prise en compte de la nationalité du produit, l'État s'attachera par exemple à l'existence d'un environnement connu et de confiance, ou simplement à celle d'un approvisionnement interchangeable, sans tension ni contrainte.

Vous l'aurez compris, le message que nous entendons porter devant vous consiste d'abord à ce que la considération de la souveraineté embrasse l'ensemble des initiatives publiques qui comprennent une dimension numérique ; c'est-à-dire vraisemblablement toutes les actions publiques, tant nous imaginons mal que cette dimension en puisse désormais être absente.

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