Depuis le 23 décembre 2020 et la remise du rapport d'Éric Bothorel, je passe une partie importante de mes journées à construire la mise en œuvre de ses recommandations, qui me paraissent essentielles pour l'État. Une grande partie d'entre elles, d'ailleurs, dépasse le strict champ de la donnée ou des codes sources. C'est le cas des compétences de l'État en matière de numérique : cette question entre en résonance directe avec le programme Tech.gouv et constitue un coup de projecteur important sur nos actions.
Je reviendrai aux données et aux codes sources. Ces deux notions cousines se traitent de manière différente.
Il est évident que le partage de la donnée entre les administrations contribuerait directement à la simplification des démarches pour les citoyens. Il s'agit du principe du « dites- le nous une fois » : si la donnée existe dans la sphère fiscale, il est absurde que l'État la demande à nouveau dans la sphère sociale, alors que la donnée est facilement partageable. Le premier champ essentiel concerne donc la circulation de la donnée au sein de l'État. En plus de simplifier la vie des Français, cette circulation permettrait de construire des politiques publiques proactives. Pourquoi demander à un citoyen de conduire une démarche, alors que l'État sait, par exemple, qu'il est bénéficiaire par défaut d'une prestation sociale ? Une nouvelle politique publique plus motrice pourrait donc se construire en partageant mieux la donnée au sein de l'État.
La donnée prend également beaucoup de valeur quand elle est partagée avec l'écosystème qui gravite autour de l'État : la société civile, les entreprises du numérique ou les individus. Pendant la crise sanitaire, on a constaté que la transparence des données en matière de contamination était essentielle. L'État publie les données de contaminations et les rend largement partageables afin que de nouveaux services puissent éventuellement se développer à l'initiative de la société civile. La mise à disposition des données permet ainsi leur valorisation.
L'approche du logiciel libre se développe depuis plusieurs décennies déjà. Dans certains champs, il est devenu la référence : c'est le cas des OS des infrastructures ou de l'hébergement du web. Ce levier favorise le partage. J'expliquais tout à l'heure qu'il était extrêmement compliqué, du point de vue du droit, de partager des solutions entre l'État et les collectivités territoriales. En revanche, il est très simple de le faire avec des logiciels libres. Si l'État produit un logiciel libre et qu'il choisit de reverser le code qui a été élaboré par ses services en open source pour que d'autres puissent s'en servir à nouveau (des collectivités territoriales ou bien des entreprises) et qu'ils enrichissent ce socle, alors tout le monde est gagnant. Le logiciel libre revêt donc un potentiel important. Il ne faut pas pour autant être naïf : des enjeux économiques majeurs existent en la matière. Des sociétés ont fondé leur modèle économique sur les services existants autour du logiciel libre. Au début des années 2000, certains pouvaient encore avoir l'illusion que le logiciel libre était gratuit. Ce n'est pas le cas. En revanche, il permet potentiellement de partager. Et ce partage a beaucoup de valeur.
Si le logiciel libre permet de partager, des solutions propriétaires le peuvent également, à la condition qu'elles se conforment aux bonnes pratiques édictées par l'État. Il s'agit en particulier de la mise à disposition d'interfaces de programmation d'application (API), qui permettent de consommer directement les données dans les logiciels ou de déclencher des transactions et offrent l'interopérabilité des solutions. Plusieurs leviers rendent donc possible la transformation numérique : ces leviers s'appuient aussi bien sur l'écosystème du logiciel libre, que l'État a tout intérêt à soutenir, que sur l'écosystème des éditeurs privés, qui ont adopté un autre modèle économique mais qui sont également en mesure de proposer des solutions extrêmement attractives et très ouvertes.