La situation venant d'être décrite à l'échelle européenne, je porterai mon analyse au niveau national. Le droit de la commande publique se trouve formalisé dans un code établi en avril 2019, qui soulève certaines questions concernant les outils informatiques. Le droit de la commande publique a été longtemps instable. Plusieurs codes se sont succédé, en 2001, en 2004, puis en 2006, ce qui illustre le caractère difficile à appréhender de ce droit. Lorsque nous discutons avec des chefs d'entreprise, certains disent même qu'ils ne souhaitent plus répondre à un appel d'offres, car le coût de compréhension de la matière juridique, le temps que cela représente, rapportés à la faible chance d'obtenir l'offre, peuvent s'avérer dissuasifs. Il est important de garder à l'esprit que ce droit est susceptible d'évoluer souvent.
La seconde caractéristique de ce droit est d'être paradoxal. D'un côté, il énonce des principes fondamentaux rappelés à la fois par la jurisprudence de la Cour de justice, par le Conseil d'État et par le Conseil constitutionnel. Ce sont notamment les principes d'efficacité de la commande publique, de la protection et de la bonne utilisation de la donnée publique. Les notions de transparence et d'égalité de traitement sont également défendues. De l'autre, le droit de la commande publique énonce des éléments d'une grande précision concernant les délais ou les seuils qu'il est indispensable de connaître, lorsqu'on répond à un appel d'offres. L'écart des grands principes aux détails concrets requiert une attention particulière.
Un premier élément essentiel est l'information des agents publics et des entreprises innovantes. Leurs capacités à concevoir et à structurer un cahier des charges, à rédiger des clauses, à déposer une offre en relation avec l'objectif du marché, sont déterminantes. Lorsqu'une commune de 5 000 habitants cherche à se doter d'un outil informatique innovant, la difficulté est de trouver des agents publics capables de formaliser l'offre. L'accompagnement des maîtres d'ouvrage publics est donc une caractéristique importante. Les observatoires régionaux de la commande publique sont des structures intéressantes. Ils peuvent à la fois accompagner les collectivités et faire office de cellules de réflexion. Les chambres des métiers et les chambres de commerce et d'industrie peuvent également mener des travaux sur le sujet. L'enjeu est la capacité à intervenir au sein du territoire.
Le deuxième élément important est la capacité des services de l'État. Depuis quelques années, ils sont structurés en de nouvelles directions, telles que la direction interministérielle du numérique (DINUM). L'État est détenteur d'une expertise poussée qui doit être sollicitée vis-à-vis des marchés publics.
En troisième lieu, il convient de détailler la relation entre la souveraineté numérique et la notion d'économie circulaire. Il est très important de pouvoir innover sur les territoires à ce niveau. Par exemple, l'hôpital de Metz conduit une réflexion sur la chaleur numérique. On peut également s'intéresser au recyclage des appareils électroniques. La capacité à localiser des entreprises innovantes sur le territoire national me semble déterminante.
Les différents plans de l'État, tels que le plan quantique annoncé par le chef de l'État ou le plan France très haut débit, offrent la possibilité d'obtenir des budgets significatifs pour avancer sur ces questions. Enfin, les centres de données (data centers) publics, qui permettent de localiser une information numérique sur le territoire national ou européen, sont un moyen pour les entreprises françaises ou européennes d'obtenir des marchés. Pour des raisons de sécurité publique, la maîtrise du stockage par les services de l'État, les universités et les établissements publics hospitaliers, est fondamentale. Il est important de pouvoir exiger que les données demeurent sur le territoire national ou européen.
Enfin, le Buy European Act est un enjeu crucial qui doit être appréhendé avec l'AMP au sein de l'OMC. L'alternative est soit de fermer quelques portes aux entreprises américaines et chinoises, soit de se montrer plus diplomate et d'inviter les États tiers à accueillir favorablement les outils numériques européens et nationaux.