En tant que praticien, je crois qu'il convient de distinguer la maîtrise des besoins et la maîtrise des procédures. S'agissant de la maîtrise des besoins, il existe en droit de la commande publique l'obligation de déterminer le besoin en amont de toute procédure de mise en concurrence. Cela suppose que l'acheteur public est omniscient. Or, vous ne pouvez commander que ce que vous connaissez. Nous sommes une nouvelle fois face à la logique de la demande qui est un peu antiéconomique, puisqu'en principe, c'est l'offre qui crée la demande. Si vous ne savez pas ce qui existe, vous ne pouvez pas le commander. Nous sommes donc face à un véritable problème, spécifiquement dans le domaine informatique, de non-maîtrise par les acheteurs publics de leurs propres besoins. Ils ne les maîtrisent pas parce qu'ils ne savent pas ce qui existe et ne savent pas quoi commander.
Il existe un certain nombre de techniques qui fonctionnement plus ou moins bien, telles que la méthode agile. Je considère qu'elles sont peu efficaces, car elles conduisent à contractualiser à nouveau après la passation du contrat. Elles peuvent également conduire à des contentieux d'exécution sans fin. Une technique permettant d'améliorer la maîtrise par les acheteurs publics de leurs propres besoins en matière d'informatique est d'encourager le sourcing, c'est-à-dire de permettre à des opérateurs économiques, en les encadrant davantage et sans favoritisme, de proposer des solutions qu'ils ont conçues. À un moment donné, lorsque la discussion s'arrête, on lance la procédure dans le respect du principe d'égalité. Quoi qu'il en soit, il est très important que les acheteurs publics maîtrisent mieux leurs besoins. La prise de risque n'est pas tolérable sur ce point, car faute de maîtrise, ce qu'ils commandent ne correspond pas à ce qu'ils obtiendront. Ils devront alors changer les besoins en cours d'exécution du contrat lorsqu'ils s'apercevront que ce qu'ils ont commandé ne correspond pas à la totalité de leurs besoins.
Le deuxième problème est la maîtrise des procédures. Prendre des risques est difficile lorsque toute la matière est pénalement sanctionnée. Quand vous examinez les arrêts de la Cour de cassation en matière de favoritisme, la moindre irrégularité est constitutive d'une infraction. Alors même qu'aux termes de l'article 432-14 du code pénal, le délit est constitué par le fait d'avoir procuré ou tenté de procurer un avantage à autrui par violation des règles garantissant l'égalité et la liberté d'accès aux contrats de la commande publique, la Cour de cassation a complètement « écrasé » la première condition sur la tentative ou l'octroi d'un avantage injustifié. Elle considère que toute violation des règles de passation induit obligatoirement un avantage injustifié. L'écrasement de la première condition entraîne un élargissement du champ du délit. De fait, la moindre irrégularité peut conduire au délit de favoritisme. J'ai soulevé une question prioritaire de constitutionnalité concernant l'écrasement de la condition tenant à l'avantage injustifié, mais il est peu concevable qu'un acheteur public prenne un risque, alors qu'on lui explique que, s'il commet la moindre irrégularité, il risque de tomber sous l'accusation de favoritisme.
Même dans les marchés à procédure adaptée, les acheteurs ne bénéficient pas de la liberté que le code leur octroie. Alors qu'ils pourraient rencontrer les opérateurs, afin d'éviter les risques, ils font de l'appel d'offres ouvert, car c'est la voie la plus commode. Quant à l'UGAP, elle fonctionne bien pour les fournitures standards, mais elle n'est pas le bon instrument pour les solutions innovantes, car ils ne connaissent pas forcément tous les besoins de leurs clients. À mon sens, la meilleure perspective pour maîtriser les besoins consiste à encourager une meilleure connaissance de l'offre par le sourcing.