Les ventes liées et les ventes forcées sont du domaine de la concurrence. Je ne sais pas s'il faut légiférer, mais ces pratiques devraient être dénoncées. Elles ne sont pas saines. La législation concerne plutôt la protection des données sensibles. La législation devrait imposer la transparence pour qu'il y ait une liberté de choix de bout en bout et imposer des critères de réversibilité. Il faut éviter de lier systématiquement un éditeur de logiciel SaaS avec un cloud imposé dans lequel vous n'avez pas le choix. La législation semble nécessaire puisque certains acteurs ne le respectent pas.
Je ne sais pas s'il faut légiférer pour empêcher les vouchers pour les start-up. Certaines pratiques incluent des notions d'exclusivité dans le temps, ce qui entraîne comme l'a dit Gilles Babinet, le « syndrome de l'héroïne ». Une fois qu'une start-up a commencé à mettre le doigt dedans et qu'elle est liée à un fournisseur par un contrat d'exclusivité pour quatre ou cinq ans, il est très difficile de revenir. Le coût pour en sortir est élevé. Nous voyons effectivement un certain nombre de start-up revenir en disant que les notions d'adhérence et de lock up sont dangereuses pour elles. Elles veulent des stratégies multi-cloud et reviennent vers des acteurs comme OUTSCALE ou nous-mêmes. Cette notion d'exclusivité à long terme, associée à ce voucher, n'est pas saine en matière de compétitivité. Même si au début, ce dispositif donne des capacités de développement, il n'est pas pérenne.
Il est nécessaire de clarifier ces règles du jeu. L'État doit participer à cette pédagogie. Les élus doivent s'intéresser à ces sujets. Il faut comprendre que ces sujets sont complexes : l'IaaS, le PaaS, le SaaS… Nous sommes assez mauvais dans la pédagogie et d'autres ne font pas l'effort. Nous devons le faire auprès des citoyens, des représentants de la nation. L'État doit participer à la clarification pour donner tous les éléments. Mon message n'est pas de dire que nous voulons de l'exclusivité, du protectionnisme. Nous voulons au contraire un cloud ouvert, réversible, transparent, qui donnera les garanties légales, techniques et financières à l'ensemble des acteurs pour pouvoir protéger leurs données dans le cadre européen, en dehors des solutions extraterritoriales. Il ne s'agit pas de choisir un acteur dans chaque pays qui deviendra l'acteur référent et qui aura le monopole. Si aujourd'hui les hommes politiques ne décident pas de protéger, il y aura de facto des monopoles extrêmement puissants, avec des acteurs qui sont aidés. Dans certains domaines, l'informatique ou le digital, il n'y a plus qu'un ou deux acteurs au niveau mondial. Prenez le search ou les grands domaines digitaux autour des réseaux sociaux.
Le cloud doit rester un secteur concurrentiel et ouvert et qui respecte les valeurs européennes de protection des données. Le cadre juridique que nous demandons est exactement celui-là. Le risque est de voir une prédominance d'un certain nombre d'acteurs qui vont préempter un marché extrêmement intéressant, d'un point de vue financier, le fameux « pétrole du 21ème siècle ». Mais il y a des enjeux éthiques. Où sont les données de santé ? Comment sont-elles traitées ? Qui a le droit d'en faire quoi ? La régulation de ces données doit être à l'agenda des représentants européens et français. C'est également un enjeu géopolitique. Nous l'avons vu pendant la crise. Comment s'effectueront les allocations des ressources digitales pendant des crises de cette nature ? C'est devenu une question géopolitique. Le fait que la présidence américaine ait décidé de supprimer TikTok prouve l'existence de ces enjeux.
Le Cigref a clairement dit que les grandes entreprises étaient inquiètes des décisions d'arbitrage qui seraient prises sur les composants, les logiciels, les bandes passantes, sur les sujets d'allocations des ressources, dans des situations de pénurie ou de crise. Il est important que l'Europe se saisisse de ce sujet et garantisse une ouverture et une compétitivité de l'ensemble du marché, plutôt que de le refermer avec quelques acteurs, et fasse en sorte qu'il y ait une indépendance, une souveraineté, une possibilité de choisir. Sur ces sujets, nous militons avec OUTSCALE ou avec des acteurs en Allemagne, en Italie, en Espagne, avec lesquels nous avons monté des partenariats.