Intervention de Olivier Micheli

Réunion du jeudi 4 mars 2021 à 14h00
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Olivier Micheli, président de DATA4 :

Ma définition de la souveraineté numérique s'articule autour de deux volets, l'un défensif, l'autre offensif.

D'un point de vue défensif, la souveraineté numérique signifie qu'il est important de conserver la maîtrise opérationnelle du numérique. En cas de crise (de fermeture des frontières, de tension internationale, etc.), il faut s'assurer que les entreprises, les administrations et les citoyens aient toujours accès à leur environnement numérique, et notamment à leur environnement numérique essentiel. En d'autres termes, les entreprises pourront-elles continuer à fonctionner en temps de crise ? Auront-elles accès à leurs applications et à leurs données sans trop de difficultés ?

D'un point de vue offensif, la question est de savoir comment créer des champions numériques européens. La plupart des acronymes connus pour désigner les champions du numérique renvoient à des entreprises étrangères : les GAFAM aux États-Unis ; les BATX en Asie et notamment en Chine. Quand un tel acronyme renverra-t-il à des acteurs majeurs, connus et puissants, du numérique en Europe ?

Il est essentiel de travailler sur ces deux volets.

Disposer de data centers localisés en France constitue à cet égard une composante incontournable de la souveraineté numérique.

Le numérique est souvent considéré comme virtuel, de sorte que la question de la localisation des données ne semble pas se poser. En simplifiant à l'extrême, le numérique peut être décomposé en trois couches : les infrastructures numériques, incluant les réseaux et les data centers ; les équipements informatiques, incluant les serveurs et les systèmes d'exploitation (qui sont hébergés dans les data centers ) ; enfin les applications, que nous utilisons quotidiennement. Les applications étant installées sur des serveurs, qui sont hébergés dans des data centers, il est indispensable que ces derniers soient bien maîtrisés. Ils constituent le socle du numérique, et si nous soulignons la nécessité de disposer de data centers en France, c'est qu'il est important de pérenniser ce socle sur le sol français, afin, premièrement, ne pas dépendre d'un acteur tiers qui pourrait décider de l'accès ou non aux data centers en cas de crise.

Deuxièmement, il est essentiel de maîtriser la qualité et la continuité du service assuré par les data centers. Un data center doit fonctionner jour et nuit, 24 heures sur 24. Or, sans électricité, les data centers ne fonctionnent pas. Nous maîtrisons en France le réseau électrique français. Nous connaissons ses forces et ses faiblesses. Nous connaissons son état. En revanche, nous ne maîtrisons pas l'état des réseaux électriques dans les autres pays. En Afrique du Sud, par exemple, des coupures d'électricité ont lieu tous les jours. Par conséquent, les data centers n'y peuvent fonctionner que sur des groupes électrogènes. Tous les pays d'Europe ne sont certes pas dans cette situation. En tout cas, les data centers doivent reposer sur des réseaux électriques fiables et pérennes.

Troisièmement, un data center nécessite des capitaux considérables. Il crée des emplois directs et de très nombreux emplois indirects, avec un impact économique fort. Pourquoi laisser ces capitaux partir à l'étranger, alors que la France, du fait de ses atouts (sur lesquels nous reviendrons plus loin), a la capacité d'en attirer énormément pour construire des data centers sur son sol ?

Quatrièmement, conserver les data centers en France permettra d'y disposer d'un bon niveau de connaissances et de compétences. Un data center suppose des techniciens qualifiés et des ingénieurs. Il permet de regrouper au sein d'un même bâtiment un grand nombre de compétences : des ingénieurs et des techniciens spécialisés en génie mécanique et en électricité, des informaticiens, des ingénieurs en télécommunications, des ingénieurs méthodes, etc. Si les data centers partent à l'étranger, la France perdra autant de personnes qualifiées sur ces sujets clés.

Pour toutes ces raisons, nous pensons donc qu'il est essentiel de conserver des data centers en France.

De plus, nos voisins européens s'organisent. Ils ont compris l'importance des data centers. Ils ont compris que les infrastructures numériques comprenaient les réseaux de télécommunications, qui sont clés, mais aussi les data centers, et ils cherchent désormais à attirer des capitaux pour en construire davantage sur leurs territoires.

La filière des data centers en France dispose d'abord d'une très belle association professionnelle, France Data Center, qui comprend plus de 100 membres. Elle existe depuis douze ans et est aujourd'hui très bien organisée, puisqu'elle regroupe l'ensemble des acteurs majeurs du data center en France. Elle a pour objectif à la fois de développer des connaissances et des savoirs, de partager des bonnes pratiques et de travailler à des sujets clés comme l'optimisation de la consommation électrique, l'impact environnemental, etc.

200 data centers commerciaux, mutualisés pour un grand nombre de clients, sont localisés en France, d'une manière qui reflète parfaitement l'organisation très centralisée de notre pays, puisque 75 % de l'activité des data centers est réalisée à Paris et en région parisienne. C'est là que les développements les plus importants ont lieu, même si des développements plus modestes existent aussi en région.

Au total, la France compte environ 5 000 data centers, en comptant les data centers commerciaux et tous les data centers privés : ceux des collectivités locales, des administrations, des entreprises, etc., pour lesquels des salles blanches de quelques mètres carrés seulement sont parfois nécessaires. Cette filière est très active. Elle investit beaucoup, à hauteur d'environ un milliard d'euros chaque année sur le territoire français.

Par ailleurs, la France a la chance de disposer de champions mondiaux dans le secteur des data centers, et ce, sur l'ensemble de leur chaîne de valeur : en amont, avec les concepteurs et constructeurs avec Schneider, Saft (très belle société de batteries), Bouygues, Imogis, etc. ; ensuite au niveau de la maintenance en condition opérationnelle des data centers avec Engie ; enfin, en aval, avec les opérateurs utilisateurs. Or, pour être fort à l'international, il est important d'être fort au niveau national. Pour conserver ces leaders, il est donc essentiel de disposer d'un marché domestique puissant du data center en France, puisqu'il permettra à ces écosystèmes et à ces champions de se développer, de produire de la R&D, et ainsi de s'exporter encore davantage à l'international.

S'agissant de la crise sanitaire, les deux vagues de confinement n'ont pas impacté le secteur de la même manière.

La première vague, de mars-avril 2020, a été difficile à gérer, pour différentes raisons. L'ensemble de l'activité économique de construction a d'abord été arrêtée brutalement. Or, si arrêter des chantiers aussi complexes que ceux des data centers est difficile, les reprendre l'est encore plus : redémarrer un chantier implique des pertes de productivité considérables. Le maintien en conditions opérationnelles des data center s a été difficile également, car un data center ne cesse jamais de fonctionner. DATA4 a donc été obligée de faire venir sur site des employés spécialisés, malgré la crise sanitaire. Or, en mars 2020, la situation était mal connue, les kits de protection étaient peu nombreux et l'anxiété relative à la pandémie était très grande. Nous avions alors demandé au gouvernement son soutien plein et entier à l'égard de notre secteur d'activité. Il s'était en effet engagé auprès des opérateurs de télécommunications, mais non auprès des opérateurs de data centers, et il nous était essentiel de pouvoir continuer à circuler pour accéder à nos data centers. Une grande confusion en avait résulté, même si nous avons finalement réussi à gérer la situation.

Une fois la première crise sanitaire passée, la deuxième vague n'a en revanche pas eu le même impact sur la filière et sur DATA4, et la situation est désormais bien maîtrisée.

Surtout, le trafic internet a augmenté de 30 % durant la crise sanitaire. Du jour au lendemain, toutes les organisations (entreprises privées ou publiques, etc.) ont adopté le travail à distance, et la filière a garanti une continuité de service sans rupture sur l'ensemble du territoire, en parfaite transparence pour l'ensemble des citoyens, des organisations, de l'administration, des collectivités locales, etc. Tout le monde a pu continuer à travailler à distance grâce aux data centers, et nous en sommes naturellement très fiers.

Vous me demandiez également comment renforcer la filière des data centers en France.

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