Un rapport et plusieurs propositions parlementaires sont intervenus à ce sujet. Votre collègue, M. Jean-Michel Mis, avait proposé, à l'occasion de la loi PACTE, d'introduire dans le code civil une disposition visant à donner une force probante aux enregistrements sur une blockchain.
Je formule à ce sujet plusieurs remarques. Le déploiement de la technologie de la blockchain demeure limité en dehors des cryptomonnaies ou des actifs numériques. Cela étonne, dès lors que la blockchain est connue et commence à être maîtrisée par tous. Du point de vue des usages, la blockchain pose la question de la conservation de l'information, de son intégrité et de sa datation. Elle ouvre la possibilité de la digitalisation de l'activité contractuelle par les smart contracts.
En ce qui concerne la force probante, la consécration d'une forme d'intégrité des données pourrait être intéressante. Le code civil permet d'ores et déjà d'utiliser une signature électronique avancée qui permet de garantir l'identité du signataire et de faire le lien entre la signature et l'acte. Il est possible à des prestataires de services de confiance de combiner leurs services avec des services de blockchain privés. La question de la consécration de la force probante sur des blockchains publiques se pose : elle pourrait être intéressante, au moins s'agissant d'une présomption quant à la datation de l'enregistrement et quant à l'intégrité de l'information, mais non une présomption quant à l'identité de celui ou celle ayant enregistré l'information – car cet élément ne peut pas faire l'objet d'un contrôle s'agissant d'une blockchain publique, sauf si un intermédiaire intervient pour délivrer des clés d'identification.
Il pourrait être intéressant de réfléchir à l'intégration d'un régime de smart contracts. L'autonomisation d'un certain nombre de contrats a vocation à intervenir, s'agissant des clauses contractuelles pouvant faire l'objet d'une mise en œuvre automatique, comme, par exemple, les conditions suspensives d'obtention d'un prêt. Le smart contract ne serait-il alors qu'une déclinaison de clauses contractuelles dans la blockchain, ou peut-on imaginer un contrat entièrement codé ? Cette seconde option poserait des questions de transparence, de compréhension par les parties et d'expression du consentement par les parties. Dans un premier temps, on pourrait imaginer la consécration de l'utilisation de smart contracts, c'est-à-dire d'exécution automatique de contrats sur une blockchain. Cela permettrait de lever un certain nombre d'incertitudes quant à l'inexécution éventuelle du contrat, mais pose, dans le même temps, des problèmes en ce qui concerne sa suspension éventuelle. Cela soulève beaucoup de questions qui mériteraient une vraie réflexion.
Le prochain congrès annuel des notaires aura pour thème l'homme, le numérique et le droit. Les notaires proposeront notamment un premier clausier de smart contracts, sur des opérations simples (conditions suspensives, terme d'un contrat, paiement d'une somme d'argent), qui ne requièrent pas d'information ou d'exécution extérieure de la part d'une personne. Cela pose une première brique de réflexion intéressante.
En France, en ce qui concerne les faits juridiques, un enregistrement sur une blockchain peut parfaitement être invoqué devant une juridiction, en vertu du principe de non-discrimination des documents électroniques instauré par le Règlement européen eIDAS. Une révision du Règlement eIDAS est envisagée, notamment pour y intégrer les blockchains. Jusqu'à présent, le Règlement eIDAS traite de l'identification électronique et des services de confiance, qu'il envisage de manière centralisée. Il est envisagé d'intégrer la blockchain dans ce Règlement : cela poserait davantage de questions pour les blockchains publiques que pour les blockchains privées.
En France, contrairement à la Belgique, nous n'avons pas profité de l'adaptation du droit français au Règlement eIDAS pour intégrer un statut des prestataires de confiance ou des tiers de confiance numériques. Il pourrait être intéressant de le faire. J'en veux pour exemple la consécration du coffre-fort numérique comme service de confiance en France. Le pouvoir réglementaire n'a pas indiqué qui peut proposer un service de coffre-fort numérique et quel est son statut. Il pourrait être intéressant de consacrer un régime général, peut-être dans le code de commerce, de l'activité de services de confiance en ligne. Cette activité pourrait être entendue soit de manière restrictive (c'est-à-dire tous les services de confiance au sens du Règlement eIDAS ou ajoutés par le législateur interne), ou bien plus largement : le tiers de confiance pourrait être celui qui propose des services de confiance ou la certification d'information par voie électronique. Cela peut être intéressant à l'occasion du déploiement des blockchain qui proposent des services de conservation d'actifs numériques, en rattachant les prestataires de services d'actifs numériques à cette catégorie des tiers de confiance.
Cela ferait apparaître un acteur qui bénéficierait d'un statut sur lequel le législateur pourrait s'appuyer pour de nouveaux usages à consacrer par la suite : des garanties financières de responsabilité, de respect des données à caractère personnel, de cybersécurité, qui seraient variables selon la qualité du tiers de confiance. On pourrait par exemple imaginer que les notaires puissent être tiers de confiance pour la certification et l'authentification d'information. On pourrait également imaginer que les prestataires de services qualifiés au sens d'eIDAS bénéficient de ce statut pour les services donnés. Cela permettrait d'agréger un certain nombre d'acteurs sous une qualification unique. Le législateur pourrait ensuite consacrer de nouveaux services de confiance se rattachant à cette catégorie de tiers de confiance bénéficiant d'un régime unitaire.