Intervention de Pr Thibault Douville

Réunion du jeudi 11 mars 2021 à 11h00
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Pr Thibault Douville, professeur des universités, directeur du master Droit du numérique à l'Université Caen Normandie :

C'est une question difficile. Tout dépend des ministères et des services concernés. L'État mène une politique volontaire d' open data – c'est-à-dire d'ouverture des données – depuis bientôt vingt ans et cela commence à porter ses fruits. Un service public de la donnée a été créé et l'on constate aujourd'hui la mise à disposition d'un certain nombre de bases de données.

Votre question porte peut-être davantage sur les données que l'État collecte et traite dans ses activités. Ces données sont-elles valorisées et pourraient-elles l'être davantage ? Une récente initiative du ministère de la justice donne des clés de compréhension à ce sujet. Le décret DataJust de mars 2020 vise à mettre en place un traitement automatisé de données à caractère personnel. Un algorithme, établi à partir de décisions judiciaires, permet, par exemple, d'établir un barème d'indemnisations en matière de dommages corporels, de faire de la prospective et de l'analyse de moyens des juridictions, d'informer les justiciables concernant leurs droits et, potentiellement, l'indemnisation à laquelle ils peuvent prétendre. Cela favoriserait la mise en place de mécanismes de règlement extrajudiciaire des litiges. Cette initiative du ministère de la justice consiste à valoriser des données existantes, avec un objectif d'ordre à la fois opérationnel, prospectif, d'information et de pédagogie auprès des citoyens.

Ce modèle peut être dupliqué. La prospective et l'analyse de données peuvent, évidemment, être utiles à l'État – l'État le fait d'ailleurs déjà dans certains ministères et a vocation à le faire davantage. Cette initiative est également le moyen, pour l'État, de garder la main sur ses données et d'éviter que des acteurs privés ne s'en emparent. Les legal tech, par exemple, développent leurs activités sur des données judicaires : par son initiative, le ministère de la justice propose un service étatique et garde ainsi la main sur ses données. L'utilisation et la valorisation des données sont également un moyen de favoriser la confiance. La crise du COVID a montré que l'ouverture des données sanitaires était un très bon moyen de donner aux citoyens une prise sur l'évolution de la situation sanitaire. Plusieurs cas de réutilisation de données ouvertes par l'État ont ainsi été salués.

Les moyens posent problème dans la valorisation de la donnée. Nous en sommes toujours là. Nous avons créé le Health Data Hub ; il aurait été possible de prévoir une modernisation et une uniformisation des systèmes d'information des hôpitaux pour permettre une valorisation des données stockées localement, mais la difficulté est l'éclatement des suites logicielles utilisées dans les différents services des hôpitaux. En matière judiciaire, la même difficulté se pose : l'absence de rénovation du parc informatique et l'absence de matériel suffisant et à jour bloquent le développement de nouveaux usages. La mise à disposition de l' open data des données en matière judiciaire est aujourd'hui bloquée par la constitution de bases de données progressives. Nous sommes confrontés à un vrai problème d'investissement dans les politiques numériques, ainsi que de normalisation, d'uniformisation et de rénovation numérique de l'État. Cela bloque un certain nombre d'initiatives que l'État pourrait lancer et cela est dommage.

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