Intervention de Julien Nocetti

Réunion du jeudi 11 mars 2021 à 14h00
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Julien Nocetti, docteur en sciences politiques, chercheur associé à l'institut français des relations internationales (Ifri) :

Ces questions recouvrent à nouveau des enjeux éminemment politiques, dont les impacts se feront ressentir jusqu'en Europe. D'abord, il est amusant de constater que cette problématique des semi-conducteurs émerge après deux ou trois années de tensions extrêmement vives entre Américains et Chinois. À l'origine, ce sont surtout les enjeux de propriété intellectuelle et de cybersécurité qui caractérisaient ces tensions. L'intelligence artificielle s'est ensuite retrouvée au cœur de la rivalité sino-américaine, au point de cristalliser un certain nombre de peurs – notamment de déclassement – chez les Américains, eu égard à la montée en puissance de la Chine. Plus récemment, le dossier de la 5G a provoqué un regain de tensions entre les deux acteurs, avec notamment les performances internationales de la société Huawei. De ce point de vue, l'enjeu des semi-conducteurs est particulièrement intéressant. Comme je l'indiquais précédemment, cet enjeu fut très longtemps occulté, surtout par les Européens, mais aussi par les Américains, qui n'avaient peut-être pas mesuré les ambitions chinoises d'autonomisation technologique en la matière.

Sans revenir en détail sur la stratégie de Pékin, différents plans ont été annoncés par les dirigeants chinois dans le domaine des technologies et des semi-conducteurs. Le plus fameux, « Made in China 2025 », consiste à acquérir une forme de souveraineté, disons de maîtrise, sur la plupart des technologies dites critiques. Plusieurs technologies clés ont ainsi été identifiées comme extrêmement vitales pour l'avenir de la Chine. En l'occurrence, les semi-conducteurs avancés, notamment ceux intégrant de l'intelligence artificielle, sont perçus comme à l'avant-garde de ce que la Chine doit maîtriser et produire massivement. Pourtant, du côté chinois, l'objectif est loin d'être atteint. Malgré les montants faramineux parfois avancés par les autorités de Pékin, la Chine ne maîtrise pas, à ce stade, les composants les plus sophistiqués, dont la miniaturisation est poussée à son paroxysme et qui peuvent être intégrés au sein des produits et des services les plus sensibles. De ce point de vue, les Chinois affichent encore, aujourd'hui, un déficit de souveraineté.

Du côté américain, la situation est paradoxale. Certains acteurs comme Qualcomm, Apple et Intel jouissent d'une forme de leadership sur certaines parties de la chaîne de valeur des semi-conducteurs, en particulier dans leur design. En revanche, les Américains ne maîtrisent pas l'ensemble du spectre et dépendent de chaînes de valeur tout à fait globalisées, comme je l'indiquais précédemment. C'est d'ailleurs pour cette raison que le géant américain Nvidia a tenté, l'été dernier, de racheter le britannique ARM, qui est extrêmement avancé dans la construction de semi-conducteurs. L'accord a semble-t-il capoté pour diverses raisons. Néanmoins, cette tentative montre bien que les Américains sont devenus extrêmement susceptibles sur cet enjeu des semi-conducteurs et cherchent à mettre certains de leurs alliés sous pression, notamment en Asie. Je pense notamment à Taïwan, qui revient en force dans cette géopolitique des technologies, et qui héberge notamment la société TSMC, leader mondial de la fonderie et de la production de ces composants. Durant sa présidence, Donald Trump a cherché à relocaliser, sur le territoire américain, précisément en Arizona, une partie de la production de TSMC. J'ignore si l'accord sera ou non maintenu par l'administration Biden, mais force est de constater que cet enjeu fut véritablement, durant plusieurs années, au centre de l'agenda bilatéral sino-américain et des tensions géopolitiques en matière de technologies.

De son côté, l'Europe commence à mesurer l'intérêt de cet enjeu. Il est tout à fait logique, d'ailleurs, que l'actuelle présidence portugaise du Conseil de l'Union européenne l'ait inscrit dans les premières lignes de son agenda politique.

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