Intervention de Julien Nocetti

Réunion du jeudi 11 mars 2021 à 14h00
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Julien Nocetti, docteur en sciences politiques, chercheur associé à l'institut français des relations internationales (Ifri) :

La question de la régulation des GAFAM est aussi très sensible aux États-Unis. Je suppose que vous avez en tête le rapport de David Cicilline rendu public à l'automne dernier, du nom de ce député américain porteur de ce rapport très conséquent sur le démantèlement – c'était l'une des conclusions phares du rapport – des géants du numérique, qui fait suite à un travail parlementaire très fouillé sur les pratiques des Big Tech. On se rend bien compte que les différentes menaces pesant sur les GAFAM sont évoquées avec plus de bruit qu'en Europe ou dans d'autres régions du monde. Peut-être est-ce en interne et par le pays dont sont originaires ces acteurs que pourraient venir les menaces les plus sérieuses. De même, nous avons tous ici en tête les différentes auditions du patron de Facebook, Mark Zuckerberg, par le Congrès américain. Nous l'avons vu répondre, penaud et parfois livide, aux différentes accusations parfois véhémentes des parlementaires américains.

Cette tendance n'est pas à sous-estimer, car elle ne relève pas seulement d'une scénarisation. Sans nier l'existence d'une part d'affichage politique en interne, il existe indéniablement une insatisfaction par rapport à ce que ces géants du numérique sont devenus. Cette insatisfaction n'est pas nécessairement partagée par toutes les tendances politiques, mais l'aile la plus à gauche du parti démocrate soutient des positions extrêmement virulentes vis‑à‑vis de ces acteurs, comme en témoignent notamment les propositions de démantèlement soutenues par Elisabeth Warren. La plupart de ces propositions n'ont que très peu de chances d'aboutir, en l'absence de consensus bipartisan sur la majorité des thématiques numériques.

Cela dit, l'enjeu le plus saillant sur lequel ces acteurs pourraient être attaqués est celui du respect de la concurrence, que le législateur américain a toujours à cœur, suite à des décennies de pratiques déjà éprouvées dans ce domaine. Il ne serait pas surprenant qu'un acteur comme Facebook, aussi majeur soit-il, finisse par être scindé, pour des raisons concurrentielles, mais aussi politiques, en plusieurs entités, sachant que ce sujet fait l'objet de discussions répétées au sein même des États-Unis. En tout état de cause, cette possibilité ne relève pas du simple fantasme.

Il conviendra donc de scruter, avec l'installation progressive de la nouvelle administration, l'expression de différentes tendances en son sein. La vice-présidente Kamala Harris ne disposera-t-elle pas d'une voix politique plus importante d'ici un ou deux ans ? Personne ne le sait à l'heure actuelle, mais qui nous dit que son propre regard sur les GAFAM ne va pas l'emporter ? Nous savons qu'elle nourrit plutôt, de par son expérience d'élue californienne, une forme de proximité avec la défense des intérêts de ce secteur, qui est au demeurant tout à fait classique. Quoi qu'il en soit, nous sommes à un moment charnière. L'administration Biden va désormais se concentrer sur des questions de politique intérieure, et il est vrai que cette insatisfaction et ce poids politique démesuré acquis par les GAFAM ne laisseront pas d'autres choix au législateur américain que d'agir dans les quatre ans à venir.

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