Comme je l'évoquais dans mon propos liminaire, nous devons bien mesurer l'accélération phénoménale à laquelle nous avons été confrontés depuis à peine dix ans. En l'espace de quelques années, la décennie 2010 a été marquée par le franchissement de certaines étapes vertigineuses en matière de numérique et de technologies. Ce rythme effréné va-t-il se poursuivre à horizon de cinq ou dix ans ? De la réponse à cette question dépendront un certain nombre de paramètres.
Je pense d'abord à un paramètre souvent négligé, qui a pu être rappelé par les patrons de Google ou Microsoft, à savoir nos capacités d'adaptation à nous, citoyens du monde entier, à la magnitude et à la vélocité de ce changement technologique numérique. Il ne s'agit pas de paroles en l'air, mais d'un sujet extrêmement concret. En Europe, et surtout aux États-Unis, où les fractures au sein de la société sont plus nettes et plus mesurables, une partie des insatisfactions prend forme dans les conséquences des changements technologiques. Les principaux thèmes des campagnes présidentielles américaines de 2016 et de 2020 – migrations, travail, rapport à la mondialisation, etc. – étaient très étroitement liés aux conséquences de la numérisation des sociétés, de l'évolution des modes de travail et de tous ces bouleversements technologiques à l'œuvre dans nos sociétés globalisées.
Bien que nous ayons tendance à occulter ce paramètre socio-économique, nous devrons le suivre de manière très stratégique et très politique dans les cinq à dix années à venir, sachant que ces changements technologiques suivent un rythme très véloce, qui plus est avec une extension du champ numérique. Je mentionnais précédemment l'ampleur prise par les questions et les enjeux de l'intelligence artificielle, des réseaux 5G déployés à grande échelle, qui impliqueront des enjeux de libertés fondamentales à l'ère numérique, des enjeux de surveillance – que nous avons malheureusement pu mesurer depuis la crise sanitaire – et des enjeux stratégiques, au sens où les grands acteurs de cette planète technologique n'auront aucune pudeur à s'affranchir des règles de bon comportement et défendront leur propre pré carré et leur propre stratégie. Je ne le dis pas pour m'inscrire dans une posture pseudo-réaliste, mais pour tenter de dessiner une lecture qui se distancie d'une certaine forme d'ingénuité par rapport à ces enjeux. Nous sommes bien dans une logique de rapports assez bruts, et tous les phénomènes que nous pouvons observer depuis quelques années seront nécessairement amplifiés dans les années à venir. Il s'agit donc d'acquérir une compréhension extrêmement fine de ces enjeux, en particulier – c'est l'objet de votre commission et de vos travaux – de ces enjeux de souveraineté extrêmement puissants.