Intervention de Julien Nocetti

Réunion du jeudi 11 mars 2021 à 14h00
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Julien Nocetti, docteur en sciences politiques, chercheur associé à l'institut français des relations internationales (Ifri) :

Je répondrai en deux temps, en tenant compte des deux dimensions que vous avez évoquées. Je mets de côté la Chine, sur laquelle je reviendrai dans quelques instants, pour commencer par ce premier enjeu plus sociétal. In fine, un développeur de San Francisco partage davantage de points communs avec un fondateur de start-up de Bangalore, un capital-risqueur de Londres ou un hacker de Saint-Pétersbourg qu'avec ses propres concitoyens du Midwest américain. Bien entendu, il s'agit de l'exemple américain, qui est très particulier. Néanmoins, les mêmes fractures territoriales, urbaines et géographiques sont à l'œuvre en France, ainsi qu'au Royaume-Uni, où les fractures sont encore plus marquées qu'en France. Ces fractures sont profondément travaillées par le numérique, par notre dépendance au numérique et par l'emprise de certains acteurs, à commencer par Amazon. C'est un paramètre sur lequel je souhaite mettre l'accent.

Pour ce qui est de la Chine, nous exerçons, depuis notre continent européen, un regard très distancé et sans doute très monolithique et très vertical sur cette Chine numérique. Deux paramètres sont à prendre en compte.

D'abord, les plans quinquennaux et les grandes ambitions et stratégies chinoises en matière d'intelligence artificielle, de numérique ou de semi-conducteurs ne sont pas tous couronnés de succès. Pékin recourt aussi à une stratégie déclaratoire très visible, à laquelle nous donnons beaucoup d'échos, et qui est relayée par les États-Unis, qui en développent une forme d'anxiété. Malgré tout, certains grands plans chinois – notamment dans l'industrie automobile – ont échoué, témoignant ainsi de l'absence de certitudes quant à la réussite de ces grandes ambitions chinoises, qui se heurtent parfois à l'absence de capital humain et d'expertise dans certains domaines de pointe. J'en reviens ici à cette dimension humaine que nous avons longtemps occultée sur les enjeux de numérique, notamment dans le domaine de la cybersécurité.

En outre, la Chine est épisodiquement marquée par l'émergence de contestations. Il est difficile d'y voir parfaitement clair, mais le pouvoir chinois fait parfois face à des foyers de contestation liés à une crise écologique, un accident ferroviaire, sans compter les évènements très particuliers de Hong Kong, dont l'impact fut retentissant. En tout état de cause, le numérique sert aussi aux citoyens chinois, qui ont développé une forme d'ingéniosité en tentant de contourner les mots et termes censurés, et qui emploient tout un vocable dédié afin de contourner cette grande muraille et ce pare-feu à la chinoise, dont le caractère monolithique est effectivement indéniable. Ne sous-estimons donc pas les réponses et les capacités de mobilisation des populations chinoises face aux initiatives très verticales de Pékin.

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