À vous écouter, Palantir serait une entreprise franco-française. Il manque tout de même des éléments de contexte importants. Cette entreprise a été fondée après les attentats du 11-Septembre, avec des fonds d'In-Q-Tel, le fonds d'investissement de la CIA. Le palantir, pour une personne qui serait familière de l'univers du Seigneur des Anneaux, c'est cette pierre qui permet de voir partout, tout le temps. Ce nom signe tout de même un pedigree.
S'agissant de souveraineté ou de sentiment d'appartenance à une nation ou à une valeur, je relisais avant cette audition la documentation qu'avait fournie Palantir à la Securities and Exchange Commission (SEC), l'autorité des marchés financiers américaine, juste avant son introduction en bourse. Je lisais la lettre qu'avait transmise Alex Karp, le patron de l'entreprise. Il écrivait que les solutions logicielles de Palantir étaient utilisées par les États-Unis et leurs alliés. La formulation m'a quelque peu interpellé, parce qu'elle montre que nous sommes face à une entreprise américaine qui évolue dans un environnement constitué de pays considérés comme amis.
Après avoir lu cette petite phrase, me sont revenus immédiatement en mémoire les propos de Jean-Jacques Urvoas, qui n'était pas encore garde des Sceaux à l'époque, mais président de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Il avait déclaré : « Les États-Unis n'ont pas d'alliés, ils n'ont que des vassaux et des cibles. » Il ne parlait pas spécifiquement du renseignement, mais c'est particulièrement vrai dans ce domaine.
Dans ces conditions, je m'interroge sur l'obédience d'une société comme Palantir, qui a comme membre fondateur Peter Thiel. Il est le grand argentier conservateur de la Silicon Valley, mais il a le droit d'avoir l'appétit et les affinités politiques qu'il souhaite. Nous ne sommes pas face à quelqu'un qui est anodin. Dans des écrits de 2009, il a, par exemple, fait des déclarations indiquant que la liberté et la démocratie n'étaient pas forcément des valeurs très compatibles. Il est un libertarien, avec une vision assez absolutiste. Je me souviens également d'une interview qu'il avait donnée sur Reddit en 2014. Il y expliquait que Palantir n'était pas une façade de la CIA, la CIA était une façade de Palantir. Il pouvait s'agir d'une provocation, mais ces propos interpellent malgré tout. Ils peuvent susciter une forme de méfiance.
M. Fabrice Brégier nous a également expliqué que Palantir était l'anti-GAFA, mais Peter Thiel siège au conseil d'administration de Facebook. Nous avons appris ces derniers mois qu'il avait financé la société Clearview, à hauteur de quelques millions de dollars, ce qui n'est certes pas grand-chose. Elle fait de la reconnaissance faciale. En aspirant des visages sur Internet, elle a construit la plus grande base de données de reconnaissance faciale, vendue ensuite à des forces de police, ce qui a suscité plusieurs contentieux.