Intervention de Fabrice Brégier

Réunion du jeudi 25 mars 2021 à 14h00
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Fabrice Brégier, président de Palantir France :

Pourquoi opposer court terme et long terme ? Il faut être pragmatique. Les besoins sont flagrants. En tant que politiques, vous les voyez tous les jours. Ce n'est pas que la France est en retard, la situation est la même dans beaucoup de pays, y compris aux États-Unis. Des technologies existent pour faire un bond en avant. Il faut s'assurer qu'elles sont réversibles, que les données sont protégées. Ce point doit faire l'objet d'approbations par les services compétents. En revanche, pourquoi avoir une vision de long terme qui empêche d'agir pendant des années ? Si nous avions procédé ainsi dans l'aéronautique, nous n'aurions pas eu Eurocopter, qui s'appelle maintenant Airbus Helicopters, que j'ai eu l'immense honneur et plaisir de diriger pendant quatre ans. Nous n'aurions peut-être même pas eu l'aventure nucléaire. Il faut donc être pragmatique, répondre à des besoins qui sont très importants pour l'État français, en ayant la certitude que l'on peut changer de solution.

Dans une entreprise, si j'ai un logiciel Microsoft et que je veux passer à une suite Google, parce que Google a innové, ce n'est pas gratuit. L'entrepreneur le fait parce que c'est son intérêt et qu'il peut le faire. Il faudra cependant qu'il forme ses personnels à la nouvelle suite. Ce sont des coûts marginaux par rapport à ce dont nous parlons.

Ce n'est pas à moi de définir ce qui est à la fois souverain et français ou européen dans la souveraineté numérique, mais j'ai quelques pistes. Avec l'écosystème pour développer les start-up françaises, nous avons un atout fantastique. Ce n'est pas juste du marketing. Nous avons encore la chance d'avoir des ingénieurs de très haut niveau et reconnus comme tels par les Américains et les Britanniques. Beaucoup d'entre eux se lancent dans des start-up. Beaucoup échouent, certains sont sur le point de réussir. Il faut leur offrir un environnement qui ne soit pas seulement financier. J'ai la prétention de penser qu'une solution comme Palantir peut les aider à se développer, y compris à l'international, alors que nous ne sommes pas du tout sur ce créneau.

Le cloud souverain est une bonne chose. Doit-il exclure des solutions américaines ? Non, mais il revient à l'Europe et à personne d'autre de définir des règles. De même, nous avons des compétences de cyber, mais nous n'en sommes pas un acteur. La cybersécurité doit être nationale. On ne confie pas la protection d'un pan aussi important à des acteurs étrangers. Malgré mon côté européen, du fait de mes onze ans à la tête d'Airbus, j'aurais tendance à dire que ce domaine doit être français.

Voilà des thèmes, et il y en a d'autres, dans lesquels la France devrait investir massivement. Le peut-elle partout ? Peut-elle remplacer Palantir ? Peut-être. Peut-elle remplacer Google ? Vraisemblablement pas. Il faut choisir ses combats. En France, nous avons l'intelligence, mais nous n'avons pas tous les moyens. Le Quantique est un excellent exemple. Il n'y a pas de retard à rattraper. Nous avons des atouts. Nous investissons plusieurs milliards d'euros et le projet fonctionnera.

Il ne faut pas se tromper avec ce discours indiquant que la souveraineté correspond au tout français. Cela ne marchera pas, dans le numérique ou d'autres domaines. Prenez cette réussite fantastique qu'est le groupe Safran dans l'aéronautique, que je connais encore mieux que le digital. La réussite de Safran vient d'une association à 50/50 avec General Electric (GE), les vilains qui ont racheté Alstom. Cette association a permis à Safran de devenir leader des moteurs de l'A320 et du Boeing 737 et d'en faire un énorme groupe, si performant dans l'aéronautique. Quand j'étais Airbus et que j'achetais un moteur, je savais qu'il était 50 % américain et 50 % français. En 100 % français, il n'y aurait pas eu de moteur. Il faut donc être pragmatique dans ces domaines, avec les règles que vous avez évoquées.

Vous avez raison, notre développement en Europe a d'abord eu lieu au Royaume-Uni. Il y a environ 600 ingénieurs au Royaume-Uni. Ils développent une grande partie du logiciel Foundry. En France nous en sommes presque à une centaine d'ingénieurs, en Allemagne aussi. Nous avons des équipes dans d'autres pays européens, notamment en Europe du Nord. Sur les 2 500 à 3 000 employés de Palantir, je dirais que 1 000 employés sont européens. Nous sommes donc loin d'un groupe dirigé des États-Unis par les États-Unis. J'ai une très forte autonomie d'action, et j'espère de parole, dans ce groupe sur le périmètre de Palantir France.

Enfin, vous avez totalement raison sur la dimension d'efforts commerciaux. Je n'ai pas de vendeurs, mais j'ai une stratégie commerciale, c'est évident. Nous avons adopté celle-ci, car dans le big data, vous avez des dizaines, voire des centaines d'acteurs, vous avez de grands noms. Dire que Palantir peut aider les clients à faire mieux qu'avec ces acteurs est très difficile. Tout le monde a les mêmes explications : « On intègre les données, on vous les nettoie, on vous les met à disposition, vous en tirez de la valeur », si ce n'est que nous le faisons, rapidement, à grande échelle, sans limites. Notre but est de le démontrer d'abord au client. Que ce soit un gouvernement ou une entreprise, nous cherchons un cas d'usage autour de la donnée qui nous permette de faire la différence. À partir de là, nous commençons à discuter d'un partenariat éventuel.

Nous n'avons pas énormément de clients dans le monde. Nous en avons beaucoup plus que ce qui est cité, car il revient aux clients de divulguer leur relation commerciale avec nous, mais ils sont quelques centaines. Nous n'avons pas vocation à avoir un marché de très grande masse. Nous ne sommes pas Salesforce, qui vend des solutions adaptées, y compris à de petites entreprises. Nous nous adressons plutôt à des entreprises de taille assez importante ou pour des problématiques gouvernementales complexes.

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