Intervention de Valérie Péneau

Réunion du jeudi 1er avril 2021 à 11h00
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Valérie Péneau, inspectrice générale de l'administration, directrice du programme interministériel France Identité numérique (FIN) :

J'émets certaines réserves concernant l'expression « marché de l'identité numérique », car il convient de différencier plusieurs éléments.

En premier lieu, l'État a la responsabilité de protéger les données d'identité de ses citoyens, en lien avec ses missions régaliennes ou relatives à la souveraineté. Ce point se rapporte à ses responsabilités en matière d'état civil et ce depuis la Révolution française.

En parallèle, l'État se doit également de sécuriser l'accès à ses propres services publics, ces éléments entrant dans la sphère des prérogatives de la puissance publique. En ce qui me concerne, je pense que l'accès aux services publics et l'identité numérique permettant d'y accéder sont liés à la notion de service public.

La question de l'accès aux services privés se pose ensuite. Dans ce cadre, les informations revêtent une véritable valeur, que les banques monétisent dans le cadre des KYC (know your customer). Ces éléments relèvent sans doute de données de marché.

Pour autant, il me semble qu'il n'est pas encore possible d'affirmer qu'il existe un marché de l'identité numérique, car sa maturité est encore en construction. Nous avons à ce propos mené des études avec des cabinets de consultants, pour tenter de préciser le modèle économique de ce marché de l'identité numérique. Une étude d'Ernst and Young sur le sujet a ainsi été transmise à la mission parlementaire. Cette étude fait état d'un potentiel de développement économique mais dans des proportions encore limitées.

À partir du moment où l'identité numérique en tant que telle repose sur des titres d'identité, c'est-à-dire la constitution d'un moyen d'identification électronique, celle-ci n'apparaît pas comme une source de marché évidente.

Plusieurs dispositifs existent en France. Notre environnement correspond par exemple aux moyens d'identification électroniques dans le cas d'une identité numérique reliée à FranceConnect. En parallèle, le nouveau référentiel d'exigences applicables aux prestations de vérification d'identité à distance (PVID) de l'ANSSI définit des modalités de vérification d'identité à distance. Celui-ci s'adresse aux acteurs de confiance, sera bientôt « embarqué » par les banques et correspond au marché de la vérification d'identité. Ce dernier est amené à croître, notamment au bénéfice des banques. Quant à elles, les banques se trouvent à cheval entre, d'un côté, des acteurs tiers pour vérifier à distance l'identité de leurs usagers et, de l'autre, l'écosystème FranceConnect, auquel la plupart d'entre elles sont déjà rattachées. La mise en place d'une identité numérique sécurisée pourrait donc les intéresser.

À ma connaissance, l'écosystème FranceConnect n'a pas encore complètement été stabilisé. Le principe défini suppose en tout cas que toutes les identités numériques permettant d'accéder à des services publics soient gratuites. En revanche, l'accès aux services privés connectés à FranceConnect obéit à une forme de marché. Sur ce point, il me semble que les fournisseurs d'identité privée, qui demeurent peu nombreux, pourront librement fixer leurs tarifs. Le sujet de la gratuité du moyen d'identification électronique régalien au bénéfice des acteurs privés n'a en revanche pas encore été tranché.

Les situations varient sensiblement d'un État à l'autre. Au sein du modèle anglais, par exemple, il a été constaté que le marché était insuffisant pour permettre à des acteurs privés de vivre correctement. D'autres modèles s'orientent plutôt vers une forme de partenariat public-privé, avec des redevances ou des indemnisations croisées n'atteignant pas des sommes considérables. Le seul modèle véritablement éprouvé demeure le scandinave, selon lequel les banques produisent nativement l'identité numérique. Ce modèle diffère du nôtre.

En matière d'identité numérique, la légitimité de l'État s'avère donc plus ou moins importante en fonction des cultures. Celle-ci demeure globalement assez forte, comme c'est notamment le cas en Suisse. Cette tendance a également été mise en évidence par le rapport de la mission parlementaire, qui fait état d'une certaine confiance de la part des citoyens envers l'État pour fournir cette brique d'authentification appuyée sur les titres d'identité dans le monde numérique.

Ce sujet fait l'objet d'interrogations depuis trois ans. Peu d'acteurs privés existent dans FranceConnect, peut-être parce que le modèle économique n'est pas encore complètement défini. Toujours est-il que l'identité numérique implique de lourds investissements, alors même que, dans le modèle actuel, le retour sur investissement n'est pas complètement garanti.

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