Eutelsat est un opérateur de télécommunications par satellites. Notre métier consiste à apporter des services de télécommunications dans le monde entier, là où les opérateurs terrestres éprouvent des difficultés à offrir les leurs. Il peut s'agit de zones géographiques à très faible densité de population ‒ zones dites de déserts numériques ‒, ou de zones inaccessibles par nature aux télécommunications terrestres, tels que l'espace aérien pour les avions en vol ou la pleine mer pour les navires.
Quoique peu connue du grand public, la société Eutelsat représente, avec près d'1,3 milliard d'euros de chiffre d'affaires, le troisième opérateur mondial de son secteur. Elle compte 1 200 employés. Modeste en comparaison de son chiffre d'affaires, son effectif atteste de la forte valeur ajoutée de son activité. Plus que le nombre, celle-ci requiert une ressource extrêmement qualifiée et spécialisée. J'y reviendrai au sujet de la formation que vous avez abordée dans vos questions.
En outre, l'organisation d'Eutelsat s'avère des plus ouvertes à l'internationalisation. Plus de cinquante nationalités la composent. Son siège se situe en France, à Issy-les-Moulineaux, où il vient de s'installer. Son principal téléport, ou lieu de réception des signaux produits par sa flotte de satellites, se trouve à Rambouillet, en région parisienne.
À ce jour, Eutelsat exploite une quarantaine de satellites dits géostationnaires. De taille importante, d'un poids de cinq à six tonnes en moyenne, ces satellites évoluent à 36 000 km d'altitude, en orbite autour de la Terre, selon une vitesse de rotation qui lui est identique. Ils demeurent donc à une position fixe par rapport à la surface du sol. Une telle fixité facilite les services de télécommunication.
Eutelsat est présente dans 150 pays.
Historiquement, notre cœur de métier consiste en la diffusion de chaînes de télévision. Premier acteur mondial à égalité de cette activité vectrice d'information, de culture et de divertissement, nous distribuons 7 000 chaînes de télévision. Grâce aux satellites, environ un quart de la population mondiale les reçoit.
Depuis quelques années, notre activité prend un nouvel essor. Au-delà de la télévision, elle s'adresse de plus en plus au marché de la connectivité. Dorénavant, la promesse devient celle de l'Internet accessible en tous lieux, y compris là où les opérateurs terrestres ne peuvent, pour des raisons physiques ou économiques, le proposer.
En conséquence, nous avons engagé avec nos partenaires une stratégie d'innovation et d'investissement. Il s'agit de financer les infrastructures de télécommunications spatiales à mêmes de fournir des services Internet de haute qualité à un prix acceptable aux populations des zones où les opérateurs terrestres ne parviennent pas à se rendre.
Je reprendrai un exemple que vous avez cité dans votre introduction. Nous avons récemment mis en orbite le satellite Konnect. Notre partenaire Thales Alenia Space en a assuré la fabrication, Arianespace s'est occupée de son lancement. Il permet de proposer à nos concitoyens un service Internet performant, distribué par la société Orange, d'une capacité de connexion de 100 mégabits par seconde (Mb/s). Son prix mensuel de 39,90 euros équivaut aux offres de télécommunications terrestres. De ce point de vue, une initiative de bout en bout française contribue à réduire la fracture numérique sur notre territoire. Rassemblée dans toute sa chaîne de valeur, l'industrie française a ici produit un service assurément innovant et utile.
Je répondrai maintenant à vos questions.
Sur les aspects de souveraineté, de perturbation de notre secteur d'activité et de stratégie d'innovation, il faut à l'évidence reconnaître une profonde évolution de notre champ concurrentiel. Ainsi que je le signalais, le marché des opérateurs de télécommunications par satellites se déplace vers les enjeux de connectivité. Les dernières générations de satellites sont en mesure de connecter à l'Internet de haut débit et à des prix compétitifs, tant dans les pays émergents que dans les pays développés, de vastes segments de population qui ne l'étaient pas. Étendu, le marché qui s'ouvre répond à un besoin indéniable et d'une importance cruciale. Il suscite bien des convoitises.
De nouveaux acteurs apparaissent. Forts d'investissements puissants, ils font montre d'une ambition marquée. Ils s'efforcent de capter la demande universelle de connexion par les satellites. La situation de concurrence exacerbée favorise sans conteste l'innovation et la qualité du service proposé. Ma remarque vaut évidemment bien au-delà des seules frontières françaises.
Au regard de la souveraineté nationale et européenne, la difficulté s'avère de deux ordres.
En premier lieu, les services de connectivité proviendront toujours plus d'un nouvel outil, les constellations en orbite basse.
Pour l'heure, comme la plupart de ses concurrents, Eutelsat utilise de volumineux satellites géostationnaires, éloignés du sol et fixes par rapport à lui. Appelée à s'y substituer, la technologie des constellations en orbite basse arrive progressivement à maturité. Elle repose sur une approche toute différente. Les satellites évoluent alors beaucoup plus près de la Terre et tournent autour d'elle. Dans ce cas, apporter un service constant suppose de couvrir l'orbite d'un nombre élevé de satellites. De flottes de quelques dizaines de gros satellites, nous passons à une logique de centaines, voire de milliers ou même de dizaines de milliers d'objets en orbite basse.
En comparaison du système géostationnaire, le léger avantage de l'orbite basse tient à la latence. Recevoir un signal d'un satellite géostationnaire nécessite 0,4 seconde ; pour un satellite en orbite basse ou très basse, la communication devient quasiment instantanée, de l'ordre de 10 ou 14 millisecondes. Elle équivaut à celle de la fibre optique.
Son inconvénient majeur réside dans le fait que les constellations en orbite basse n'excéderont pas un nombre fort restreint. Le spectre des fréquences qu'elles utilisent s'avère en effet lui-même contraint par nature. Quoiqu'elle puisse être amenée à évoluer encore, l'estimation la plus communément admise aujourd'hui prévoit un maximum de cinq ou six constellations. Au-delà, l'orbite atteindra son niveau de saturation.
L'espace des constellations en orbite basse étant limité, ou « fini », il en résulte que les positions à y prendre deviennent rares, donc onéreuses. Les acteurs nord-américains, dont SpaceX d'Elon Musk, Amazon de Jeff Bezos avec Project Kuiper et la société canadienne Telesat, les Anglais avec OneWeb, ainsi que les Chinois, se préparent à occuper des positions dans l'orbite basse. La place des Européens se réduit, voire est menacée. Nous ne pouvons en effet exclure que l'ensemble de l'espace de l'orbite basse fasse l'objet d'une captation par des puissances non européennes.
En second lieu, l'attention doit porter sur le financement des opérations que je viens de décrire. À ce stade, vous pourriez vous interroger sur la raison pour laquelle Eutelsat, un des chefs de file mondiaux d'une activité rentable, ne développe pas directement sa propre constellation en orbite basse.
La réponse renvoie au coût extrêmement élevé des objets en orbite basse. La mise au point d'une constellation en orbite basse suppose un investissement d'environ 5 milliards d'euros en moyenne. En regard de notre chiffre d'affaires, que je vous ai précédemment indiqué, la disproportion est flagrante. Un investissement de cette envergure ferait peser un poids économique et un risque commercial beaucoup trop lourds sur une société de la taille d'Eutelsat. Elle ne peut, en l'état, mener seule une telle entreprise.
En comparaison, nos concurrents y parviennent grâce au soutien massif de leurs institutions nationales, en particulier celles des États-Unis d'Amérique. Outre qu'elles portent la marque de l'incontestable dynamisme entrepreneurial de l'industrie américaine, les initiatives d'Elon Musk, Starlink pour les constellations en orbite basse et SpaceX pour les lanceurs, bénéficient du soutien déterminé et coordonné des institutions de ce pays à son industrie spatiale. Ce soutien permet ici au promoteur des initiatives de prendre une position clé dans le domaine des fréquences et de l'orbite basse.
Trois agences américaines contribuent à leur financement : celle de l'armée, la Defense Advanced Research Projects Agency ( DARPA, l'agence du département de la défense), la National Aeronautics and Space Administration ( NASA, l'agence fédérale en charge du programme spatial civil) et la Federal Communications Commission ( FCC, commission fédérale des communications) avec son programme de réduction de la fracture numérique aux États-Unis. Elles y contribuent à hauteur de plusieurs milliards de dollars. Leur engagement témoigne de la perception, par la puissance publique, de ce pays de l'importance des nouveaux systèmes que nous évoquons et de la nécessité d'en financer puissamment la mise en œuvre.
Pour la Chine, du fait de données publiques moins accessibles, les avancées n'apparaissent pas avec la même évidence. Cependant, tant les déclarations de ses autorités que les échanges avec nos interlocuteurs et pairs Chinois montrent une volonté non moins marquée de déployer les nouveaux systèmes.
Pour sa part, Eutelsat prend activement part au consortium dont la Commission européenne a encouragé la création. Communément, ce projet spatial reçoit souvent le nom de son principal instigateur, le commissaire Thierry Breton. Il poursuit pour objectif de développer une constellation de satellites propre à l'Union européenne ou, au moins, d'identité européenne. Par rapport à ses concurrents, il introduirait une logique novatrice de systèmes complexes mêlant orbites basse, haute et moyenne.
Sans rien augurer, les réserves à formuler tiennent ici à la célérité des décisions et à la portée des projets de l'Union européenne, qui ne s'avèrent pas toujours conformes aux exigences des marchés des techniques de pointe. Ceux-ci se caractérisent par la rapidité de l'innovation et l'ampleur des moyens engagés. Il convient de ne le pas perdre de vue.