Intervention de Rémy Ozcan

Réunion du jeudi 22 avril 2021 à 9h30
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Rémy Ozcan, président de la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB) :

Je tenais tout d'abord, M. le député, à vous remercier d'avoir instauré une mission d'information sur ce sujet d'une importance cruciale pour l'avenir de notre pays.

La FFPB vise à structurer et professionnaliser l'écosystème français de la blockchain, trop fragmenté jusqu'alors. Consciente que son utilisation dépasse largement la sphère des cryptoactifs, notre fédération a adopté une approche plurisectorielle afin de permettre à toute entreprise, quel que soit son secteur d'activité, d'identifier des cas d'usage concrets de la blockchain, pour en tirer parti.

Malgré sa récente création en juillet 2020, notre fédération regroupe déjà un grand nombre d'entreprises œuvrant dans plus d'une dizaine de secteurs, dont l'énergie, les télécommunications, l'économie circulaire, l'assurance et le luxe – preuve de la diversité des cas d'usage de la blockchain. La présence, parmi les membres de la FFPB, de grandes entreprises, telles qu'EDF, Orange ou Suez, intéressées par cette nouvelle technologie, atteste le dynamisme de notre industrie. Il me semble important d'en identifier les forces et les faiblesses pour proposer des recommandations à même d'accompagner son évolution, en lui assurant le soutien des pouvoirs publics.

L'usage de la blockchain concerne de nombreuses questions, dont celle de la valeur juridique en tant que preuve des informations inscrites dans un registre de blockchain, ou encore celle de la souveraineté numérique. Avant de saisir les spécificités de cette technologie, il apparaît indispensable d'en comprendre la nature, les cas d'usage, et en quoi elle nous offre une formidable opportunité de nous réapproprier notre souveraineté dans l'espace numérique, l'un de ceux où la souveraineté de notre nation doit justement le plus se manifester.

La technologie blockchain correspond à ce que l'on qualifie d'Internet de la valeur. Elle permet d'échanger des actifs d'un usager à un autre, comme Internet permet de transmettre des informations de pair à pair, indépendamment de la localisation géographique de chacun, sans passer par un intermédiaire de confiance. La blockchain autorise une forme de collaboration horizontale, via le partage d'informations en toute sécurité, sans que leur intégrité puisse être remise en cause. Bien que le degré de maturité de cette technologie rende dès aujourd'hui possible son utilisation massive, elle continuera de se développer jusqu'à ce qu'elle puisse se déployer à l'échelle mondiale en 2022. En somme, la blockchain, loin d'être encore contestée, fait aujourd'hui figure d'évidence dans un certain nombre de secteurs, comme nous le rappelle d'ailleurs régulièrement l'actualité.

Par rapport à d'autres technologies existantes, la blockchain présente l'avantage de garantir l'intégrité des données et des informations inscrites dans son registre, du fait de ses composantes intrinsèques : la cryptographie, la signature électronique, la distribution du registre et la décentralisation des validations. La Russie et Israël utilisent essentiellement la blockchain à des fins de cybersécurité.

La seule question qui se pose encore porte donc sur l'usage réservé à la blockchain. Dans quel objectif les entreprises et les pouvoirs publics français s'en saisiront-ils ? Certains pays y recourent par souci de traçabilité, d'autres, comme l'Australie ou les États-Unis, dans le secteur financier. La blockchain apparaît en tout cas comme le moyen le plus rapide, fiable et sécurisé de transférer des actifs ou des données partout dans le monde.

Il me semble essentiel de situer la discussion dans son contexte géopolitique. Depuis l'avènement d'Internet et l'émergence de technologies disruptives, les principales luttes d'influence politique et économique se déroulent dans l'espace numérique, largement dominé par les États-Unis et la Chine. En tant que technologie d'infrastructure, la blockchain offre une formidable opportunité de redistribuer les cartes en réaffirmant la souveraineté de notre nation à travers celle de l'Union européenne.

Nous reviendrons sans doute sur la façon concrète dont la blockchain permet aux entreprises et aux pouvoirs publics de récupérer cette souveraineté érodée au fil des ans, au fur et à mesure des virages technologiques que nous avons manqués, tels celui d'Internet ou du cloud.

Mon optimisme foncier me convainc que nos faillites passées ne nous condamnent pas forcément à un nouvel échec à l'approche du virage de la blockchain. Malgré la rapide mobilisation des pouvoirs publics autour de cette nouvelle technologie, notre écosystème doit encore évoluer, si nous voulons qu'il atteigne son apogée.

J'aimerais évoquer les constats effectués par la FFPB. Nous avons tout d'abord procédé à un état des lieux de l'écosystème de la blockchain afin d'en identifier les forces et les faiblesses. Les conclusions de notre enquête nationale, close en octobre 2019, ont été remises au secrétaire d'État au numérique, M. Cédric O, qui a bien voulu assister à notre première réunion publique, le 29 octobre dernier, dans les locaux de l'Association française de normalisation (AFNOR), partenaire stratégique de la FFPB.

Cette enquête a d'abord mis en évidence l'intérêt prononcé des grands groupes pour la blockchain. Plus de 55 % des sociétés dont la cote entre dans le calcul de l'indice SBF 120 mènent en ce moment même des projets impliquant cette technologie. Récemment, le groupe LVMH a décidé d'y recourir, après trois années d'expérimentation.

Notre enquête a en outre révélé la commercialisation en bonne voie d'un nombre considérable de produits et de services mobilisant la technologie blockchain. Plus de 69 % des acteurs de l'écosystème français de la blockchain ont déjà développé des solutions commercialisables. Le chiffre d'affaires de près de la moitié d'entre eux dépasse les 500 000 euros.

Le marché de la blockchain se présente essentiellement comme un marché interentreprises (ou B to B ). La plupart des sociétés, quand elles répondent par exemple à un appel d'offres, en sollicitent d'autres pour acquérir auprès d'elles des solutions. 90 % des sociétés de notre industrie proposent des services ou des produits à d'autres entreprises. Plus de 60 % de petites et moyennes entreprises (PME) fortes d'une remarquable expertise dans la technologie blockchain ont conclu, avec de grands groupes, un partenariat qui relève pour elles d'une impérieuse nécessité.

Les investisseurs manifestent un intérêt indéniable pour la blockchain. Plus de 53 millions d'euros, en montants cumulés, ont été, entre 2017 et 2019, investis dans les sociétés de notre industrie, en dehors de Ledger qui a collecté, à elle seule, plus de 69 millions d'euros. Entre 2017 et 2019, les investissements dans ce secteur, aux États-Unis, sont passés de 850 millions à plus de 4,5 milliards de dollars. Une telle croissance spectaculaire se poursuit à l'heure où la pandémie prouve, plus que jamais, la nécessite d'accélérer la numérisation de notre économie.

La France doit augmenter ses capacités d'investissement pour soutenir le développement des entreprises de la blockchain. Nous aurions pu penser que le contexte difficile inciterait celles-ci au pessimisme. Au contraire, 90 % d'entre elles jugent favorables leurs perspectives de développement, qu'elles souhaitent poursuivre en France à court terme. Deux tiers ont déclaré vouloir engager des experts de la technologie blockchain, d'où le besoin d'étendre les offres de formation, afin de niveler par le haut les compétences des futures recrues.

66 % des acteurs de la blockchain se sont déclarés favorables à une volonté de privilégier des blockchains françaises, c'est-à-dire à l'architecture mise au point en France, par une entreprise siégeant en France, grâce à des financements français.

En conclusion, la France dispose d'un écosystème blockchain hétérogène et dynamique, en bien meilleure santé que d'autres secteurs rudement éprouvés par la pandémie. C'est aujourd'hui même qu'il faut soutenir les entreprises françaises du secteur et non dans quelques années, quand des puissances étrangères auront investi le marché. Comprenons bien qu'il ne s'agit pas d'un simple marché de niche comme d'aucuns ont pu le croire. Il représentera en effet plus de 25 milliards de dollars en 2025, selon les prévisions du Forum économique mondial en 2018. L'accélération de la numérisation de l'économie due à la pandémie invite d'ailleurs à revoir ce chiffre à la hausse.

Un immense marché s'étend devant nous. Nombre d'entreprises se mobilisent déjà pour saisir les opportunités liées à la blockchain.

Je voudrais attirer votre attention sur un point fondamental qu'il convient de garder à l'esprit. La technologie blockchain permet de proposer, depuis n'importe quel pays, des produits et des services liés à la traçabilité de produits alimentaires et pharmaceutiques, la certification documentaire, l'échange d'actifs, la numérisation d'œuvres d'art ou encore la création, l'émission et l'échange de cryptoactifs. Nous devons répondre à une question simple, quoique fondamentale pour l'avenir de notre industrie en France : pourquoi une entreprise désireuse de proposer des produits et des services basés sur la technologie blockchain s'établirait-elle en France plutôt qu'ailleurs ? Comment donner aux sociétés l'envie de choisir la France ?

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