Intervention de Simon Polrot

Réunion du mardi 27 avril 2021 à 10h00
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Simon Polrot, président de l'association pour le développement des actifs numériques (ADAN) :

Il existe une incompréhension des enjeux de souveraineté. Nous parlons beaucoup de monnaies privées pour désigner les crypto-actifs. C'est une erreur fondamentale, parce que les crypto-actifs natifs, comme le bitcoin, sont des monnaies communes, créées par des initiatives, mais n'appartenant pas à une personne en particulier. Des distinctions doivent être faites entre un projet privé comme le Libra et un projet d'initiative privée qui devient un commun, puisqu'une blockchain publique est par nature une open source : chacun peut l'exécuter, participer au réseau et devenir acteur du développement du réseau. C'est une grande distinction, qui n'est pas suffisamment faite. Le niveau de connaissance n'est pas suffisamment important sur cette distinction fondamentale. On confond souvent dans une même catégorie le Libra et le bitcoin. C'est une erreur très significative, en termes de concept.

Le Libra est un projet d'initiative privée de la part d'une Big Tech américaine, sur le sujet fondamental de la monnaie, puisque ce projet s'est constitué avec un objectif monétaire : une monnaie mondiale, qui serait plus ou moins stabilisée avec des paniers de devises. Effectivement, la réaction a été assez naturelle et logique de voir cette nouvelle monnaie comme une menace à la souveraineté monétaire des États. Nous rejoignons les conclusions des institutions sur cette menace : il est tout à fait cohérent de penser qu'une entreprise privée qui créerait une nouvelle monnaie mondiale n'est probablement pas quelque chose de souhaitable. Si cela se fait, il faudra que ce soit dans des cadres extrêmement stricts qui permettent de contrôler le développement de ces initiatives.

Aujourd'hui, le Libra qui s'appelle Diem a été complètement abandonné, en tout cas pour l'instant. Le projet qu'il souhaite lancer en 2022 sera juste un stablecoin dollar, c'est-à-dire un actif qui représentera un dollar. Les enjeux ne sont plus les mêmes : il s'agit d'une monnaie collatéralisée par un dollar, il n'y a même pas de création monétaire. On collatéralise en banque un dollar, et on représente le dollar sur blockchain. Cela pose tout de même des questions d'encadrement, pour être sûr qu'il existe bien un dollar derrière. D'ailleurs, la réglementation européenne prévoit un début de cadre à ce propos, même si elle est très protectrice – un peu trop, à notre sens.

Nous nous trompons en pensant que le bitcoin et ce type d'actifs sont des menaces similaires pour la souveraineté monétaire des États. Dans les faits, sur les blockchains publiques, il y a une très forte demande pour les représentations de monnaies fiduciaires, qui se développent de plus en plus. Plusieurs dizaines de milliards de dollars sont représentés sur la blockchain publique – les stablecoins. Il s'agit de dollars USDT (Tether), USDC (USD Coin), qui sont des représentations de dollars sur la blockchain publique. Nous n'avons malheureusement pas ou très peu d'équivalent européen pour des raisons de clarté réglementaire, de développement du marché. Il s'agit donc aussi d'un enjeu de compétitivité.

Nous portons des messages très ambitieux pour le développement d'une représentation d'euros sur blockchain publique qui doit se faire probablement suivant une initiative publique-privée en Europe, ou a minima avec le soutien des pouvoirs publics. Ce sont des enjeux différents. Un bitcoin ou un ethereum ne vont pas remplacer un euro. Ce n'est ni le même usage, ni la même problématique. Le rôle fondamental de ces crypto-monnaies, comme tezos, est de faire fonctionner un réseau public, et de servir de représentation de valeurs sur ces réseaux. Ce n'est pas vraiment un objectif de monnaie d'échange. Certains le souhaitent, mais ce n'est pas du tout l'usage constaté. Dès qu'il est question des monnaies d'échange, on retombe sur des stablecoins, c'est-à-dire des représentations de dollars ou d'euros, et les enjeux ne sont plus les mêmes. Il s'agit plutôt de garantir que ces représentations sont suffisamment contrôlées et matures. Nous ne sommes pas du tout face à des menaces à la souveraineté monétaire.

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