Intervention de Édouard Geffray

Réunion du mardi 4 mai 2021 à 10h10
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Édouard Geffray, conseiller d'État, directeur général de l'enseignement scolaire (ministère de l'Éducation nationale) :

La thématique de la souveraineté numérique revêt une grande importance pour le ministère, qui s'est beaucoup penché sur ce sujet.

Notre audition intervient dans un contexte de forte sollicitation numérique du ministère. En mars 2020, celui-ci a mis en place une continuité pédagogique pratiquement immédiate et globalement réussie. L'outil « ma classe à la maison » existait déjà avant la crise sanitaire. La création d'un tel service avait en effet été ordonnée, suite au cyclone Irma, dans l'hypothèse où des établissements ne pourraient accueillir les élèves. Nous ne pensions évidemment pas, alors, que douze millions d'entre eux devraient y recourir un jour.

Lors du confinement, nous avons mis en place un éventail de services d'une ampleur inédite, dont les Espaces numériques de travail (ENT) et les cours Lumni en ligne et à la télévision. À ma connaissance, aucun autre pays n'a réagi aussi vite ni de manière aussi extensive. Nous avons en outre été parmi les premiers à lancer une alerte sur le mirage du numérique, signalant que les outils numériques, à l'appui des professeurs, ne sauraient en aucun cas les remplacer. La circulaire du 28 février 2018 indiquait ainsi que le professeur assurait la continuité pédagogique au moyen de dispositifs lui servant d'appui.

Il convient de le souligner, car cela rejoint votre première question sur ce que recouvre la notion de souveraineté numérique et ce que nous sommes en droit d'en attendre en matière éducative. Au risque d'enfoncer une porte ouverte, je dirai que j'entends, par souveraineté, la capacité à décider de sa destinée, ce qui suppose à la fois la capacité d'exercer un jugement libre et une volonté non contrainte, que ce soit au niveau d'un pays, d'un peuple ou d'un individu, et celle d'agir en conséquence en construisant cette destinée. Deux aspects se conjuguent ici : le jugement et l'action.

En ce qui concerne le jugement, le principe de la souveraineté, appliqué à la sphère éducative, à l'ère numérique, recouvre l'enjeu de former des citoyens, ce qui passe par la formation des professeurs autant que des élèves. Il faut inculquer à ceux-ci l'esprit critique, la capacité de distanciation et la connaissance des outils numériques, tels que l'Intelligence artificielle ou les algorithmes, pour qu'ils comprennent comment le monde se modélise et comment leur volonté peut s'en trouver influencée. En somme, ils doivent parvenir, si ce n'est à se détacher des paramètres pesant sur leurs choix, au moins à en prendre conscience. Si vous le permettez, je glisserai ici une référence à Auguste Comte : il faut savoir pour prévoir et prévoir pour pouvoir.

Chaque futur citoyen doit se doter d'une culture numérique. L'univers numérique suppose des modalités particulières d'exercice de l'esprit critique. La question des moyens de traduire nos valeurs dans le monde numérique se pose au quotidien. Chacun détient, en tant qu'utilisateur, un pouvoir, certes asymétrique mais toutefois réel, qu'il exercera comme il se doit, pour peu qu'il ait reçu une formation adaptée. Nous en revenons dès lors à la formation au numérique des élèves, qui suppose aussi bien une éducation aux médias d'information, via la lutte contre les fausses nouvelles, par exemple, qu'une formation plus technique.

Je distinguerai à présent trois champs de la souveraineté, en ce qu'elle touche à la capacité d'action.

La souveraineté juridique équivaut à la capacité de faire appliquer son droit sur son territoire. Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) européen en fournit un exemple abouti. Aujourd'hui, ce RGPD, extrêmement novateur lors de son instauration, protège les données de tout ressortissant de l'Union européenne, y compris lorsqu'elles circulent à l'étranger. J'estime ce point fondamental.

La souveraineté technique repose sur le recours à des outils qui nous appartiennent en propre. J'emploierais plus volontiers à ce propos la notion d'autonomie stratégique. Elle correspond à la capacité d'assurer un service de masse à tous, ainsi qu'à en limiter la vulnérabilité face à des menaces ou des paramètres extérieurs.

Enfin, j'assimile la souveraineté des usages à la capacité d'inculquer à chacun les compétences nécessaires pour agir dans l'univers numérique en maniant avec aisance les outils correspondants.

Je distinguerai deux champs d'application à cette souveraineté des usages. Commençons par nous pencher sur la pratique des métiers au quotidien. Nous avons tout à l'heure souligné le caractère essentiel de la formation des professeurs. Depuis un an, 200 000 d'entre eux se sont formés, via Canopé, notre plateforme de formation continue, aux usages du numérique et à l'enseignement à distance. S'appuyer sur le numérique ne se limite pas à faire la classe en mode virtuel, mais implique d'utiliser l'ensemble des outils numériques pour faciliter l'apprentissage des élèves.

Le programme Pix certifie le niveau des élèves en fin de troisième et de terminale, de manière à ce qu'ils puissent évoluer, au quotidien, dans l'univers numérique en y exerçant leurs droits et devoirs et, partant, une forme de souveraineté. Veiller à la protection de ses propres données rend capable d'exercer une influence déterminante sur le cours numérique de son existence.

À cette dimension quotidienne de la souveraineté des usages s'ajoute un enseignement de spécialité visant à former des élèves et des professeurs experts en numérique. La spécialité Numérique et sciences informatiques (NSI), créée en 2018 à l'occasion du nouveau baccalauréat, est aujourd'hui assez prisée, puisque 9,5 % des élèves la suivent en première. Elle a donné lieu à la création d'un Certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (CAPES) NSI, que suivra, en 2022, une agrégation NSI. Les professeurs déjà employés par l'Éducation nationale qui réussiront ce concours de haut niveau recevront de surcroît un diplôme interuniversitaire, élaboré avec 22 institutions partenaires d'enseignement supérieur en France. J'estime très intéressant de pouvoir former des spécialistes du numérique représentant près de 10 % d'une génération de lycéens généraux, dans la mesure où nous construisons ainsi une capacité d'action, de création et de développement autonomes pour l'avenir.

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