La nécessité de réguler est une évidence absolue, mais réguler ne sera jamais suffisant, car les modes de régulation traditionnels, hérités du XIXe siècle, n'interviennent plus dans un monde pyramidal, et se heurtent à des résistances sociales et sociétales.
Il convient de réaliser que nous serons bientôt huit milliards d'individus sur la planète, ayant tous l'information à portée de main. L'absence de traitement de l'information peut avoir des effets délétères mais, à l'inverse, il est possible de produire des effets fabuleux, en se dotant effectivement d'une vision politique dans l'utilisation de ces outils, à des fins collectives.
En marge de la règlementation, il nous semble nécessaire de développer une culture du numérique. Il y a longtemps maintenant que les entreprises en France, y compris les PME, se sont lancées dans la compétition du numérique, mais nous n'y avançons qu'à l'aveugle, car les individus qui mettent en place ces systèmes, au sein des entreprises, n'ont pas reçu d'éducation à l'école, quant à l'influence de ces outils sur l'humanité. À titre personnel, je considère que cette éducation numérique manque au secteur public comme au secteur privé, pour opérer les choix allant dans le sens de l'intérêt général.
La culture du numérique constitue un enjeu politique et social majeur et elle inclut la compréhension ou l'apprentissage des aspects techniques de l'outil, des algorithmes, de la signification d'une donnée, et du point de savoir où ces données sont stockées, ou encore du fonctionnement du pagerank de Google.
D'un point de vue politique et civique, il est important de comprendre les enjeux de la collecte des données, en matière de surveillance, de libertés et de protection de la vie privée. L'aspect économique s'ajoute à ces enjeux, mais également un aspect psychosocial avec l'impact des écrans sur le développement cérébral, le changement des rapports intergénérationnels, la communication et le collectif. Nous pouvons regretter que l'histoire des sciences ne soit pas enseignée à l'école, car ne pas comprendre comment une révolution technologique transforme l'humanité mène à être utilisé, soi-même, par les outils.
Nous comprenons cette course au développement du numérique et que l'Europe, face aux États-Unis, à la Chine, se trouve saisie d'un sentiment d'urgence l'incitant à réguler. En ce sens, un malaise profond se déploie dans notre société, et un décalage très important apparaît entre la vitesse de développement de la société du numérique et la compréhension que nous en avons.
Peut-être ces sujets s'éloignent-ils du thème de la mission d'information, mais pour avoir évolué au sein d'une grande entreprise bancaire dix ans durant, en tant que dirigeante des services informatiques, je sais que les choix technologiques que nous opérions étaient guidés par l'efficacité économique et l'immédiateté. Cette efficacité était évidemment une réponse à la puissance des majors états-uniennes, auxquelles, demain, s'ajouteront des majors chinoises. Mais j'affirme que dépendre complètement des outils fabriqués par ces acteurs ne traduirait qu'une vision de court de terme de notre part, quant à la viabilité de nos entreprises. Il est nécessaire d'amener les citoyens à vivre la transition digitale de manière positive, en leur donnant les moyens de la comprendre. Atteindre cet état de compréhension relève de la souveraineté individuelle et collective, et amène à prendre des décisions différentes, selon qu'il s'agit d'un acteur public ou privé.