Intervention de Andres Sutt

Réunion du mercredi 9 juin 2021 à 9h35
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Andres Sutt, ministre du commerce et des technologies de l'information de la République d'Estonie :

Le sujet du numérique prend effectivement une importance croissante et la covid est d'ailleurs à l'origine d'une utilisation nettement plus large du numérique de notre part. Cette évolution va de pair avec un plus grand besoin de cybersécurité.

Je souhaite d'abord présenter le contexte de mon pays et les étapes que nous avons franchies en Estonie. L'Estonie est célèbre pour son développement numérique et elle accorde une grande importance à ce sujet. Notre population est peu nombreuse. Nous sommes convaincus que le numérique constitue un moteur de la croissance non seulement pour nos entreprises mais aussi pour notre société.

En Estonie, la société numérique et le numérique ne se sont évidemment pas construits en une journée. Ce long processus s'est développé au cours des vingt dernières années, de façon graduelle, permettant à la société et aux entreprises de devenir beaucoup plus efficaces. Actuellement, 99 % des services publics sont en ligne en Estonie. Il s'agit d'un point très important pour le développement du pays. Cette évolution a fait entrer la population estonienne dans un monde numérique. Cette transformation numérique et technologique est bénéfique pour tous.

Plus généralement, si nous voulons que l'Union européenne devienne un leader mondial dans le domaine du numérique, il faut absolument faire en sorte que nous disposions d'un marché unique numérique. La souveraineté numérique est également essentielle et il nous faut identifier les technologies clés et les domaines d'action fondamentaux de manière à pouvoir être innovants dans tous ces domaines.

Il est également important que notre positionnement soit équilibré, que nous connaissions nos forces et nos faiblesses et que nous bénéficiions d'un environnement où l'innovation soit favorisée par l'Union européenne. Cela signifie en particulier que notre souveraineté dans le domaine du numérique doit nous aider à accroître encore notre compétitivité. Nous ne devons pas nous isoler mais nous appuyer sur nos forces pour construire une compétitivité européenne par rapport au reste du monde.

Nous devons aussi nous assurer d'être correctement positionnés dans la chaîne mondiale d'approvisionnement. Nous connaissons tous les avantages de disposer d'un marché libre, équilibré et ouvert. Un tel marché doit exister dans le domaine des services numériques. Plus nous pourrons progresser au niveau européen sur ce point, plus nos entreprises, nos villes et nos citoyens pourront en bénéficier. Nous disposerons ainsi d'une position compétitive dans le monde.

Les Premiers ministres du Danemark, de l'Allemagne, de la Finlande et de l'Estonie ont envoyé une lettre au président de la Commission pour proposer de renforcer et d'accélérer la souveraineté numérique de l'Union européenne. De plus, une bonne et solide coopération avec nos alliés stratégiques dans le reste du monde constitue un point très important.

Nous nous sommes beaucoup préoccupés de la numérisation des services publics. La pierre angulaire de notre politique a été la création de systèmes de communication extrêmement résistants, avec une colonne vertébrale juridique vraiment solide.

Par exemple, en Estonie, la carte d'identité est obligatoire et nous l'avons rendue numérique. Notre « mantra » pour réaliser cette numérisation a consisté à utiliser des systèmes simples et non une grande base de données qui se serait avérée extrêmement lourde. La simplicité est en effet essentielle, ainsi que la rapidité et l'interopérabilité des différentes bases. Des milliers d'organisations privées et publiques utilisent ce système pour échanger des données.

La cybersécurité représente une autre priorité. En tant que ministre, l'une de mes priorités vise précisément à assurer que tous nos systèmes fonctionnent bien et en toute sécurité. Dans ce sens, nous avons suivi un certain nombre de principes clés. En particulier, nous avons évité l'existence de doublons. Avons-nous réussi à 100 % à créer un système simple et efficace ? Probablement pas et il reste bien entendu des améliorations à opérer.

Dans le passage des anciens aux nouveaux systèmes et dans la transition vers les nouveaux services numériques, la transparence et la confiance du public étaient nécessaires. De même, il était indispensable que les entreprises et les citoyens retrouvent leurs données et y accèdent sans difficulté et que nous nous appuyions sur un environnement ouvert qui puisse facilement être utilisé par le Gouvernement, les citoyens et les entreprises.

Enfin, une valeur clé de notre point de vue tenait au fait que le système devait être centré sur l'utilisateur : son utilisation devait être facile et il devait permettre d'améliorer la vie quotidienne de nos citoyens et de nos entreprises.

Nous avons tiré de notre expérience un certain nombre de leçons. La première est l'importance de la simplicité. Pour cette raison, nous avons dû progresser étape après étape, en évitant le développement d'un énorme système qui serait très lourd et probablement peu efficace. Avancer petit à petit est une méthode qui s'est révélée efficace, mais il est essentiel qu'au final, le design soit bon et le système globalement bien conçu. Les plateformes partagées ont permis une implémentation plus rapide et efficace. Enfin, la confiance du public et la transparence sont des points clés.

La coopération entre le privé et le public a, elle aussi, été fondamentale dans ce domaine du numérique. Nous pensons qu'il s'agit de l'un de moteurs du développement d'une société numérique. Des amendements ont récemment été apportés à notre législation de manière à ce que le Gouvernement puisse mettre à disposition de tous des logiciels libres pour travailler. Les codes sont ainsi totalement ouverts : les entreprises les connaissent, peuvent les utiliser et les modifier pour participer au développement de nouvelles solutions et de nouveaux produits. Nous avons besoin de cette souplesse. En particulier, dans les processus d'achat, ces partenariats nous permettent de travailler ensemble à des solutions conceptuelles. Tous les codes sont stockés dans des bases de données. Ils peuvent être utilisées aussi bien par les services publics que par des organismes privés. Les entreprises conservent les références de leur travail qui peut bénéficier à tous et être utilisé pour tous les développements ultérieurs.

Nous pensons qu'il est essentiel de construire un service numérique public qui ne s'assimile pas à « une énorme machine » mais un service qui bénéficie de la coopération avec le privé et l'industrie. Cette coopération entre le public et le privé nous permettra en effet d'aboutir à de meilleures solutions.

En ce qui concerne l'éducation et les compétences dans le domaine numérique, nous devons nous assurer que le plus grand nombre de citoyens puisse apprendre à utiliser le numérique et les technologies modernes. Nous travaillons à inclure dans ces démarches le plus grand nombre de personnes, par exemple en apprenant la robotique aux enfants. Ceux-ci sont, certes, habitués à se servir du numérique mais il ne s'agit pas uniquement de l'utiliser à des fins ludiques : ils doivent en réalité en avoir une compréhension qui leur permette également de créer et d'innover. Nous avons également mis en place des initiatives telles que le Digital girls squad : il s'agit d'une association qui encourage les jeunes filles à travailler dans le domaine du numérique et les aide à se familiariser avec ce secteur.

L'Intelligence artificielle prend de plus en plus d'importance. Nous devons donc nous y adapter. Nous avons besoin de connexions Internet extrêmement rapides et efficaces. En Estonie, la densité de population est très faible et nous voulons être certains que toutes les écoles, toutes les maisons, tous les appartements, tous les ménages aient accès à une connexion de qualité et rapide.

L'apprentissage tout au long de la vie est fondamental. Nos concitoyens doivent comprendre qu'ils devront apprendre durant toute leur vie. La société numérique ne sera une réussite que si les citoyens peuvent utiliser tous les moyens numériques existants. Nous avons donc mis en place des programmes d'enseignement tout au long de la vie.

En ce qui concerne l'initiative européenne de Data governance Act (DGA), Digital market Act (DMA) et Digital services Act (DSA), nous approuvons totalement la création d'une économie européenne des données numériques. Nous avons en effet besoin d'être compétitifs à l'échelle mondiale et de telles initiatives peuvent nous permettre de l'être.

Nous exprimons toutefois quelques préoccupations. En particulier, cette approche européenne doit bien prendre en compte la gouvernance des données et nous offrir l'occasion d'innover. Il convient d'éviter un excès de réglementations mais plutôt d'assurer une fluidité qui permette l'efficacité. Nous devons également être certains que le système ne désavantage pas les petites et moyennes entreprises (PME), qu'il ne décourage pas les start-up. Les PME et les start-up sont en effet des éléments critiques pour le développement de notre économie et pour sa croissance.

L'ensemble du développement du système numérique doit avoir lieu horizontalement, c'est-à-dire en tenant compte de tous les aspects de notre économie et en créant des incitations – telles que des instruments financiers – pour encourager l'adoption de solutions numériques.

L'interopérabilité des données au niveau européen est aussi importante. Nous serons forts si nous parvenons à créer une économie numérique solide qui s'applique à l'ensemble de l'Union européenne. Nous approuvons le DSA qui constitue à notre avis un moyen d'harmoniser tous les services au niveau de l'Union européenne. Il est également essentiel pour nous que nous puissions éliminer les contenus illégaux sur la toile et ailleurs. La clarté et la transparence juridique sont nécessaires pour y parvenir. Nous sommes prêts à coopérer avec tous les États membres pour renforcer le principe du pays d'origine.

Même si tous les États membres ne partagent pas cette opinion, nous pensons important d'établir un lien entre la taille des entreprises et les règles applicables de manière à ce que les PME et les start-up ne soient pas pénalisées par un fardeau administratif excessif qui entraverait leur utilisation du numérique. De façon générale, un bon équilibre est nécessaire entre la taille des entreprises, leur capacité à accéder à des marchés plus lointains et plus grands et leur responsabilité en matière de sécurité. Le secteur du marché numérique doit se protéger, offrir un niveau de sécurité satisfaisant pour être bien utilisé, tout ceci devant se fonder sur des preuves et des éléments probants. La protection des données est essentielle pour la réussite.

Les gate keepers ont un rôle important à jouer pour la confiance, la sécurité, la protection des données et l'adoption par les utilisateurs de ces moyens en ligne dans un monde qui devient de plus en plus électronique.

Comme dans tout domaine, le secteur du numérique devra être doté d'une réglementation évolutive, qui tienne compte des changements extrêmement rapides qui se produisent dans ce domaine. Sur un marché qui évolue très vite, la réglementation doit elle-même s'adapter en conséquence. Les réglementations doivent donc être dynamiques et à l'écoute de l'évolution du marché numérique.

Enfin, nous devons travailler à une large harmonisation au sein de l'Union européenne. Si le marché européen du numérique est fragmenté, ses avantages seront dilués. Nous avons aussi besoin de construire nos forces et de tirer parti de nos avantages dans le marché du numérique en Europe. L'Union européenne constitue en effet un marché de 500 millions d'habitants. Elle représente ainsi un très grand bloc commercial – le troisième au monde – et nous devons être leaders dans ce secteur du numérique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.