Intervention de Emmanuelle Wargon

Réunion du jeudi 13 juin 2019 à 9h00
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je rappellerai au préalable que nous agissons dans le cadre du plan climat, qui place la France parmi les trois pays européens les plus ambitieux en matière de lutte contre le changement climatique. Par ailleurs, si notre action vise la transition écologique et énergétique, à la fois dans son enjeu économique, technologique et en termes de filières, comme vous l'avez rappelé, nous nous efforçons évidemment de ne pas perdre de vue l'enjeu social, l'accompagnement des territoires, et en particulier celui des ménages en situation de précarité.

L'un de nos objectifs est de travailler le plus possible avec les acteurs des différentes filières de la transition énergétique pour se donner des objectifs les plus clairs et les plus précis possibles, ainsi que la feuille de route pour les atteindre. Priorité est évidemment donnée aux économies d'énergie et à la réduction des énergies fossiles. Pour ce qui est des énergies renouvelables (EnR), un effort particulier est réalisé sur les filières déjà compétitives ou proches de l'être, c'est-à-dire la chaleur renouvelable, le solaire et l'éolien. Par ailleurs, nous assistons à l'émergence des filières nouvelles que sont l'éolien en mer, le biogaz et le froid renouvelable.

Les moyens mis en œuvre sont très significatifs. Ainsi, pour l'électricité renouvelable, le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) qui sera prochainement adopté – en même temps que la loi relative à l'énergie et au climat – prévoit 5 à 8 milliards d'euros de dépenses annuelles, avec des calendriers d'appels d'offres précis, à la fois pour les ENR électriques et pour le biogaz. Le fonds chaleur, qui était doté de 200 à 250 millions d'euros, a été porté à 307 millions d'euros et atteindra 350 millions d'euros en 2020. Globalement, sur la période de la PPE, il y aura 30 milliards d'euros de nouveaux engagements pour les ENR électriques et 8 milliards d'euros sur le gaz renouvelable. Enfin, il me paraît important de souligner que la filière arrive progressivement à maturité, puisque les nouveaux projets d'électricité renouvelable seront près de dix fois plus compétitifs que les projets disponibles quand nous avons commencé à soutenir cette filière.

Nous travaillons beaucoup avec les parties prenantes de chaque filière, afin d'essayer de trouver les mesures les plus concrètes et les plus opérationnelles. Intervenant à la suite de Sébastien Lecornu, secrétaire d'État auprès de Nicolas Hulot, j'ai repris les groupes de travail existants sur l'éolien, sur le photovoltaïque et sur la méthanisation, et j'en ai moi-même créé un récemment sur les réseaux de chaleur et de froid renouvelable. Tout ce travail a abouti à la constitution d'un plan de libération des énergies renouvelables présenté au premier semestre dernier et comprenant dix mesures opérationnelles pour l'éolien, quinze propositions pour la méthanisation, et une quarantaine de propositions pour le solaire ; quant aux mesures relatives aux réseaux de chaleur et de froid, elles sont en cours de construction avec les acteurs concernés, notre objectif étant de les consolider avant la trêve estivale.

Pour ce qui est de la rénovation visant à l'amélioration de l'efficacité énergétique, qui est aussi un sujet très important, nous avons déjà mis en œuvre un nombre assez significatif d'actions, qu'il s'agisse de l'accélération de la mobilisation des certificats d'économie d'énergie ou du plan de rénovation énergétique du bâtiment, et nous sommes en train de travailler au renforcement de cette mobilisation, en particulier pour les passoires thermiques et pour la lutte contre la précarité énergétique. C'est là typiquement un sujet qui pourra donner lieu à des amendements et à des actions concrètes dans le cadre de la loi énergie-climat qui sera en discussion en commission des affaires économiques la semaine prochaine après son examen par la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire saisie pour avis – nous avons l'intention de proposer des mesures particulières pour l'immobilier de l'État et les bâtiments des collectivités territoriales – et, par ailleurs, nous allons travailler en étroite concertation avec les collectivités territoriales dans le cadre de la mobilisation nationale pour l'emploi et la transition écologique et numérique lancée par le Premier ministre.

Les territoires jouent un rôle absolument essentiel dans les actions de transformation énergétique et, plus largement, écologique. La transformation énergétique et écologique se fait d'abord grâce à l'impulsion nationale donnée par l'État à la fois sur les normes, sur les financements et sur la vision. Elle se fait ensuite avec les collectivités territoriales, qui sont à la manœuvre pour faire aboutir les projets. Enfin, elle se fait avec les citoyens : l'un des enseignements du grand débat, c'est que, même s'ils sont parfois un peu compliqués, les sujets de la transformation énergétique et écologique ne concernent pas que les techniciens, et qu'en la matière nous avons vraiment besoin de partager la vision, les enjeux et les actions avec nos concitoyens. De ce point de vue, je trouve très intéressante l'idée d'une consultation telle que vous l'avez réalisée, dont vous parliez en introduction.

Notre objectif est de trouver la bonne articulation entre les dispositifs nationaux – à savoir la PPE et, plus globalement, la stratégie nationale bas carbone – et ceux relevant d'une gouvernance locale – c'est-à-dire les grands outils de planification des collectivités que sont les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) pour les régions et les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) pour les collectivités. Nous allons approfondir le travail visant à la mise en cohérence des différents dispositifs.

Les contrats de transition écologique – lancés par Sébastien Lecornu, et que je m'efforce actuellement de développer – constituent l'un des principaux outils du ministère. Nous avons pour le moment dix-neuf territoires en cours d'expérimentation. Une petite dizaine de contrats a été signée ou est en cours de signature, mais nous avons surtout lancé un nouvel appel à manifestation d'intérêt, avec plus de 120 territoires qui se sont déclarés candidats, et nous espérons en retenir 40, voire davantage si les dossiers le permettent.

Dans tous les cas, ces contrats de transition écologique sont une démarche de co-construction à partir d'un projet de territoire. Il ne s'agit pas d'imposer à un territoire de travailler sur tel ou tel sujet, mais de demander aux communes, aux communautés de communes, aux communautés d'agglomération et parfois même aux départements – c'est le cas pour la Corrèze, avec qui je vais signer un contrat demain – sur quels sujets ils ont envie de travailler, en fonction de l'ADN du territoire. Ces projets de développement économique et écologique peuvent porter sur l'énergie, sur la transition agricole, en matière de transport ou de nouveaux modes de vie – je pense par exemple au développement des tiers-lieux.

Une fois que le projet est à peu près défini, les collectivités, l'État et les acteurs de l'État – je pense à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), mais aussi à la Banque des territoires – travaillent ensemble pour rendre les projets possibles dans le double volet ingénierie et mobilisation des financements de droit commun. La question qui se pose à nous maintenant est de savoir comment ces contrats peuvent trouver toute leur place dans des stratégies associant niveau intercommunal et niveau régional, et dans une contractualisation avec l'État simplifiée.

L'un des enjeux de la mobilisation territoriale lancée par le Premier ministre consiste à trouver l'articulation entre ces contrats et la vision industrielle, ainsi que la vision d'innovation – avec l'appel à projets qui a été lancé pour les territoires d'innovation. Plus globalement, il s'agit de savoir comment, pour le volet transition écologique, des contrats plus globaux pourraient être passés avec l'appui de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) qui va se mettre en place. En d'autres termes, nous cherchons à travailler le moins possible en silos et le plus possible en faisant des contrats le volet écologique d'une contractualisation plus globale. Ce faisant, nous devons veiller à ne jamais opposer écologie, économie et solidarité, car le projet est forcément global : c'est aussi un projet d'emplois, souvent un projet de formation et toujours un projet au service des territoires.

Nous continuons également à travailler sur des points très précis constituant des freins à lever. Je voudrais d'abord évoquer la réhabilitation des friches, un sujet qui est revenu très fréquemment dans le cadre du grand débat. Le sort des friches, industrielles ou autres, est une question à la fois économique, écologique et souvent énergétique. Les friches sont parfois le bon endroit pour implanter du photovoltaïque. Ce sont aussi des terrains sur lesquels les acteurs locaux ont envie d'avancer, parce qu'il n'est jamais bon de laisser trop longtemps un terrain à l'état de friche. Travailler sur les friches permet de ne pas artificialiser de nouvelles terres, ce qui constitue un bel objectif à la fois en termes de lutte contre le réchauffement climatique et de protection de la biodiversité, en ce que cela permet de laisser intactes des terres agricoles ou des terres naturelles. Cela dit, la réhabilitation des friches est parfois compliquée en raison des usages antérieurs qui ont été faits du terrain concerné : en effet, certains usages industriels nécessitent parfois des opérations de dépollution qui peuvent se révéler coûteuses, ce qui implique de trouver un modèle économique adéquat. La réhabilitation des friches nous a donc paru constituer un bon sujet transversal, qui a d'ailleurs été cité explicitement par le Président de la République lors du dernier conseil de défense écologique.

Un groupe de travail sur cette question a été lancé il y a quelques jours, avec des associations de collectivités territoriales, des associations environnementales, des aménageurs publics et privés, ainsi que les services de l'État. Les premiers échanges ont mis en évidence à la fois une connaissance insuffisante du gisement national des friches, qui est estimé en gros à 2 400 pour l'ensemble du territoire, et une grande complexité des procédures administratives. Quatre sous-groupes de travail ont été mis en place : nous attendons leurs premières conclusions en septembre et une feuille de route opérationnelle d'ici la fin de l'année.

Je vais maintenant revenir aux énergies renouvelables, énergie par énergie. Pour le solaire, la PPE prévoit la multiplication par cinq de la puissance installée pour atteindre 40 gigawatts, ce qui va nécessiter une accélération. L'opération de mobilisation appelée « Place au soleil », lancée en juin 2018, repose sur quatre grands leviers : les installations solaires chez les particuliers – avec l'augmentation du soutien de l'État au dispositif thermo-solaire –, les installations chez les professionnels – avec l'élargissement du périmètre de l'autoconsommation collective qui vient d'être voté dans la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE) –, les installations dans le monde agricole – avec le doublement du volume d'appels d'offres pour les installations solaires innovantes et l'augmentation du volume d'appels d'offres de photovoltaïque sur les petites toitures et les toits agricoles – et, globalement, les installations sur le territoire – avec l'exonération de la taxe foncière lorsque le domaine public est équipé de panneaux solaires. Des travaux spécifiques sont poursuivis, et il est tout à fait possible, et sans doute souhaitable, de faire la jonction entre ces travaux techniques et la loi énergie, afin de déterminer si quelques dispositions pourraient éventuellement trouver leur place dans cette loi.

En matière d'éolien terrestre et offshore, la PPE vise une production d'éolien terrestre multipliée par 2,5 pour atteindre 35 gigawatts. Le groupe de travail sur l'éolien terrestre a permis des mesures d'amélioration de l'acceptabilité des projets sur chaque territoire, notamment la réduction des flashs nocturnes, le développement du financement participatif, l'intéressement fiscal des communes d'implantation des projets, et la simplification de mesures administratives. Par ailleurs, comme vous le savez, nous avons supprimé un niveau de juridiction pour le traitement des contentieux, avec comme objectif de diviser par deux la durée de montage d'un projet d'éolien terrestre.

Sur ce sujet, la quasi-totalité des mesures annoncées a été réalisée. J'entends évidemment les préoccupations sur l'acceptabilité de l'éolien terrestre. Il me semble que tous les travaux autour du financement participatif vont dans la bonne direction et que c'est aussi par la discussion sur les territoires qu'on y arrivera – en tout cas, nous sommes prêts à continuer à travailler sur les questions d'acceptabilité.

Pour ce qui est de l'éolien offshore, la renégociation des six premiers champs d'éolien en mer permettra d'économiser 15 milliards d'euros sur l'ensemble de la durée de vie des contrats. Nous allons lancer au moins six nouveaux champs, dont deux – en Bretagne et en Méditerranée – seront flottants. Le ministère a déjà lancé le débat public pour le prochain appel d'offres éolien offshore dans la Manche, et nous sommes en fin de discussion avec la filière pour voir s'il est possible de relever un peu les objectifs de l'éolien offshore. Le Premier ministre a annoncé hier, dans son discours de politique générale, une ambition permettant d'aller à 1 gigawatt supplémentaire pour l'éolien offshore.

Enfin, en ce qui concerne le biogaz, nous avons un objectif ambitieux en volume, mais aussi une contrainte assez forte sur la baisse de coût, qui fait actuellement l'objet d'une discussion avec la filière. Évidemment, le biogaz est un sujet très important, parce que c'est à la fois une énergie renouvelable et une belle opportunité de revenus complémentaires pour les agriculteurs – en ce sens, c'est un vecteur de nature à concourir vraiment à la transition agricole. La discussion en cours avec la filière de méthanisation, qui touche à sa fin, a pour objet de chercher à infléchir un peu la trajectoire de baisse de coût inscrite dans la PPE, qui porte déjà un effort de 8 milliards d'euros au cours des dix prochaines années.

Nous travaillons aussi à la simplification de la réglementation des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) et de la réglementation relative à la loi sur l'eau, à la baisse des coûts de raccordement des installations de méthaniseur au réseau de gaz naturel, à la facilitation de l'accès au crédit, au renforcement des démarches de qualité, à la finalisation du dispositif du droit à injection, prévu dans la loi issue des états généraux de l'alimentation, qui permettra d'accroître les possibilités d'injection. Par ailleurs, le projet de loi d'orientation sur les mobilités prévoit de créer un dispositif de soutien au biogaz non injecté, par exemple celui qui est utilisé comme gaz naturel pour les véhicules.

Enfin, nous visons 34 % à 38 % de chaleur renouvelable en 2030, dont 15 % de chaleur renouvelable dans le neuf en 2020, avec l'augmentation que j'ai évoquée tout à l'heure des crédits accordés au fonds chaleur, et une simplification des règles du fonds chaleur. Pour aller au-delà du simple soutien par le fonds chaleur, j'ai lancé le groupe de travail sur les réseaux de chaleur et de froid que j'ai évoqué précédemment, qui s'est déjà réuni en mars et en mai, et dont nous attendons une vingtaine de pistes de propositions, en cours de co-construction, pour la fin juillet.

Au terme de ce panorama un peu rapide, axé sur la dimension territoriale et sur la dimension « filières », je veux insister sur le fait que nous travaillons à la fois sur la vision, avec les volumes et les montants financiers, et sur les freins opérationnels et la contractualisation territoriale, afin que la vision soit soutenue par des moyens, que les leviers techniques puissent être actionnés, et que nous puissions ainsi atteindre les objectifs de la PPE que nous nous sommes collectivement fixés.

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