Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du mardi 17 décembre 2019 à 16h25
Commission des affaires européennes

Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes :

Le Conseil européen des 12 et 13 décembre a constitué le premier rendez-vous avec les nouvelles institutions européennes installées depuis le 1er décembre et a formellement marqué le lancement du nouveau cycle institutionnel. Charles Michel a diffusé un programme indicatif des sessions des chefs d'État ou de gouvernement en 2020 et présenté ses réflexions sur les méthodes de travail du Conseil européen. Il souhaite en particulier améliorer d'abord les modalités de préparation des réunions, grâce à des entretiens préalables et des réunions préparatoires par petits groupes d'États membres sur certains sujets, ensuite les discussions elles-mêmes, qui devraient être plus stratégiques sans se limiter à répéter les positions déjà connues au Conseil européen ou déjà approuvées au cours de réunions thématiques, et, enfin, le suivi et l'harmonisation de la communication, pour que nos messages à destination des citoyens gagnent en cohérence.

Les discussions ont été dominées par le sujet de la lutte contre le changement climatique. Comme ils en étaient convenus en juin dernier, les chefs d'État ou de gouvernement ont endossé l'objectif de neutralité carbone d'ici à 2050. Il s'agit d'un véritable succès pour la coalition de pays ambitieux, menée par la France, qui plaidait depuis le sommet de Sibiu, en mai 2019, pour l'adoption de cet objectif. En s'engageant à devenir le premier continent neutre en carbone en 2050, l'Union européenne donne un signal fort de son ambition climatique. Le Pacte vert présenté par la Commission le 11 décembre nous fournira une feuille de route claire.

Le Premier ministre polonais a sollicité un délai, avant de s'engager sur les modalités de mise en œuvre à titre national de cet objectif, au regard de la situation de départ de son pays et du coût élevé de la transition en Pologne. Cette exemption temporaire n'a pas conduit à repousser l'adoption d'un objectif crucial collectif ; elle n'empêche en rien l'engagement de l'Union européenne. La loi climatique devra être votée à la majorité qualifiée. Nous avons franchi un grand cap. En outre, le Conseil européen est convenu de revenir en juin 2020 sur le cas polonais.

Les conclusions adoptées traduisent assez concrètement ce que nous pouvons faire au niveau européen avec une bonne méthode de travail. Nous devons être lucides sur les demandes légitimes que tel ou tel État membre peut exprimer. La transition énergétique sera en effet plus difficile technologiquement et plus coûteuse pour la Pologne, la République tchèque ou la Hongrie. Nous devons également reconnaître qu'il faut proposer des incitations notamment financières. Ces États demandent, par exemple, à avoir accès aux technologies au fur et à mesure de leur disponibilité. Il faut pouvoir proposer des investissements au‑delà des seuls outils publics, afin de garantir une transition juste et équilibrée. Le travail effectué au niveau diplomatique, pour avoir dans les dix jours avant le Conseil européen une déclaration commune du groupe de Visegrád (V4) et de la France, portant notamment sur le climat, a joué un rôle déterminant pour faire comprendre à nos partenaires que nous étions ambitieux mais aussi réalistes.

Les conclusions rappellent également que les États sont libres de choisir les sources d'énergie qu'ils utiliseront à titre national pour atteindre les objectifs climatiques de l'Union. Certains pays, comme la République tchèque, ont voulu que les engagements pris dans le cadre de l'article 194 du traité de Lisbonne soient rappelés, pour leur permettre de décarboner leur bouquet énergétique en ayant recours à l'énergie nucléaire.

Par ailleurs, le Conseil européen a invité la Commission à préparer avant la COP26 de Glasgow, au terme d'une analyse d'impact approfondie, sa proposition relative à la mise à jour de la contribution déterminée au niveau national (CDN) de l'Union pour 2030, afin de dessiner une trajectoire jusqu'à 2050. Nous souhaitons que la prochaine CDN de l'Union soit rehaussée de manière substantielle, afin d'inciter les grands émetteurs mondiaux à faire de même.

Le Conseil européen a adopté des conclusions sur la Conférence sur l'avenir de l'Europe. Le président du Parlement européen, David Sassoli, a rappelé devant les chefs d'État ou de gouvernement que la Conférence serait l'une des priorités de la législature du Parlement européen et que ce dernier entendait jouer un rôle moteur dans son organisation et son déroulement, aux côtés du Conseil et de la Commission. Les institutions se préparent à l'organiser. Ainsi, une communication de la Commission et une résolution du Parlement européen sont attendues en janvier 2020. Le Conseil européen a demandé à la future présidence croate d'établir une position du Conseil sur le contenu, la portée, la composition et le fonctionnement d'une telle conférence, en coordination avec le Parlement européen et la Commission.

À nos yeux, la Conférence doit examiner trois questions essentielles. D'abord, nous devons changer nos méthodes de travail avec les citoyens. Nous ne devons pas tant créer une nouvelle chambre que prendre en compte la voix des citoyens. Nous pensons que le modèle de la convention climatique française, avec un tirage au sort de citoyens, qui ont travaillé avec des experts, peut permettre de prendre des décisions au niveau européen.

Par ailleurs, nous devons répondre à la défiance démocratique qui se nourrit de plusieurs facteurs. Il faut ainsi examiner le sujet des conflits d'intérêts et de la transparence. Nous avons appelé à créer une sorte de comité d'éthique ou de haute autorité de la vie publique européenne, afin de franchir un cap de crédibilité. Il faut également étudier le financement des partis européens, qui peuvent être soutenus, par des biais détournés, par des entreprises privées voire des puissances étrangères. Pour répondre à la question de l'ingérence étrangère dans nos élections, nous avons proposé la création d'une agence européenne de la démocratie, notamment pour faire de la veille sur les réseaux sociaux. Il nous faudra soulever en outre la question des listes transnationales, qui nous semblent un pas important en vue de la création d'un espace démocratique européen plus intégré. La question des Spitzenkandidaten doit être réglée, afin de rendre l'attribution des postes plus lisible.

Enfin, nous devons nous poser la question de l'efficacité de l'Union. Nos méthodes de décision actuelles nous permettent‑elles de créer suffisamment de souveraineté, de solidarité dans et entre nos pays et dans le monde, et de réactivité ? Il nous semble important de réfléchir à l'efficacité de nos politiques selon des grilles thématiques, à partir d'exemples précis. Les réponses pourront différer en fonction des politiques étudiées. Des grandes questions institutionnelles sont en suspens depuis des années, comme le droit d'initiative du Parlement européen. C'est une chose d'ouvrir le débat théorique sans pouvoir le refermer, mais c'en est une autre d'examiner le sujet pour une politique spécifique. J'ai eu des échanges approfondis avec des parlementaires européens travaillant sur ces questions. Il faudrait que nous puissions prendre des décisions politiques importantes d'ici à 2022, afin qu'elles soient mises en œuvre pour 2024. Nous avons fait des contributions franco‑allemandes sur le sujet, que reprennent beaucoup de conclusions du Conseil. Elles précisent que les parlements nationaux seront associés à l'exercice. Nous associerons évidemment les citoyens également, selon un format innovant. J'ai réuni hier au Quai d'Orsay tous les acteurs français qui ont rendu les consultations citoyennes possibles. Il y a des choses à apprendre d'un exercice, qui a permis d'organiser 1 100 événements en France avant les élections européennes.

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